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Actualités - ANALYSE

analyse - L’opposition à l’amendement de l’article 49 a transcendé le clivage communautaire Une prorogation en mal de légitimité ?

«Au Liban, il n’y a pas de Constitution, il n’y a que de la politique. » Cette affirmation, on l’a souvent entendue, durant ces dernières années, dans la bouche de plusieurs hommes politiques libanais. À première vue et au sens littéral, elle signifierait qu’au pays du Cèdre, la légalité n’a aucune valeur, et que ce sont finalement les rapports de force d’un jeu politique pragmatique, voire même franchement machiavélique, qui l’emportent à tous les coups sur les principes, les usages, les coutumes constitutionnels. Avec, au final, et uniquement pour sauver les apparences, le maintien d’une similifaçade de légalisme sans aucune profondeur. Et cette approche pourrait bien servir pour expliquer, sans se perdre dans les dédales d’une conceptualisation apparemment bien inutile, les événements des derniers jours : la volonté d’une partie de nos dirigeants, appuyée inconditionnellement par la Syrie, de se maintenir au pouvoir en dépit de tous les usages démocratiques. Mais la problématique libanaise n’est pas aussi simple, et une multitude d’autres paramètres entrent en jeu, du fait des structures socioculturelles et sociopolitiques qui existent au Liban, pays pluraliste, multicommunautaire, à mille lieues du modèle national européen. « Au Liban, il n’y a pas de Constitution, il n’y a que de la politique. » Ce que cette citation suppose, sans le dire, c’est que du fait même de ces structures complexes, il existe au pays du Cèdre des phénomènes sociopolitiques qui prévalent sur l’ordre et l’espace constitutionnels : il s’agit de la légitimité libanaise, fondée sur le consensus et la culture du pacte. Pour consacrer la formule, on se plaît d’ailleurs à reprendre cette citation de l’ancien ministre Hamid Frangié, érigée – sans doute à juste titre – en « règle d’or » du système libanais : « Si les Libanais s’entendent sur le mal, il se transforme en bien. De même, si les Libanais se disputent sur le bien, il se transforme en mal. » Depuis au moins l’indépendance, la culture du consensus, cette légitimité libanaise, a toujours prévalu, dans le discours et dans la pratique politique, sur la Constitution, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il faut user de ces phénomènes pour renverser la légalité, mais au contraire pour la raffermir, pour opérer une réconciliation entre la loi fondamentale et l’âme et l’esprit consensuel du pays. Ainsi l’esprit du pacte de 1943 a-t-il bien plus guidé la marche du système politique libanais et l’organisation des pouvoirs publics que la Constitution de 1926. Par la suite, durant les années de guerre, des efforts ont été déployés, dès 1977, pour réconcilier la constitutionnalité avec la légitimité consensuelle, à travers la déclaration de Dar el-Fatwa signée par l’imam Moussa Sadr et le mufti de la République Hassan Khaled. Cette dynamique débouche, au fil des années, sur le préambule de l’accord de Taëf (indépendamment du jugement qu’il faut porter sur cet accord, qui a fait des concessions majeures sur la souveraineté du Liban). Cet accord a créé un « espace de légitimité » au sein de la Constitution. Preuve en est, l’alinéa j du préambule, qui stipule que « tout pouvoir qui viole le pacte de convivialité devient illégitime ». Grâce notamment à la détermination de l’ancien président de la Chambre, Hussein Husseini, le consensus communautaire entre désormais au cœur de la légalité, et cette fois encore, « l’esprit de l’accord de Taëf » va prévaloir dans le discours politique sur les amendements constitutionnels de 1991. Même si l’application de l’accord, dans la pratique, ne cessera de se heurter à des obstacles de politiques interne et internationale. Dévié de sa trajectoire initiale, Taëf se retrouvera, en pratique, instrumentalisé au profit de certains anciens seigneurs de la guerre et de leur parrain régional, dans une version de l’accord tripartite un peu plus subtile que l’originale. La situation qui s’est installée depuis quelques jours – depuis que le président Lahoud a décidé de proroger son mandat – s’inscrit au cœur de cette équation « légalité-légitimité » au Liban. Sauf que, fait exceptionnel, la légitimité consensuelle communautaire s’est mobilisée pour empêcher une violation de l’article 49 de la Constitution – un article d’ailleurs qualifié de « consensuel », donc d’intouchable, par des ténors de l’opposition, comme Nayla Moawad ou Nassib Lahoud. Le caractère exceptionnel de la situation tient du fait que toute une dynamique transcommunautaire, et donc nationale, s’est mise en place pour contester et, partant, délégitimer la prorogation du mandat Lahoud. Outre l’initiative de la société civile – la pétition pour « la préservation de la Constitution et la défense de la République » signée par des membres de toutes les communautés –, il est désormais incontestable que le rejet de l’amendement fait l’objet d’une entente qui transcende l’ordre communautaire. La position de Bkerké, le communiqué censuré de Dar el-Fatwa et du Conseil supérieur chiite, le refus exprimé par les leaders politiques des communautés sunnite (Rafic Hariri, sommé toutefois d’obtempérer par Damas), druze (Walid Joumblatt) et chrétienne (Kornet Chehwane et Michel Aoun)... Autant d’indices qui montrent que la vieille ligne de clivage islamo-chrétienne, héritée de la guerre et maintenue artificiellement par les décideurs locaux et régionaux, est désormais sérieusement ébranlée. Et que la nouvelle ligne de clivage interne est incontestablement politique, articulée autour du rôle de Damas au Liban. Une multitude de nouvelles donnes que le locataire de Baabda devra méditer et avec lesquelles il devra compter dans un avenir très proche. Michel HAJJI GEORGIOU
«Au Liban, il n’y a pas de Constitution, il n’y a que de la politique. » Cette affirmation, on l’a souvent entendue, durant ces dernières années, dans la bouche de plusieurs hommes politiques libanais. À première vue et au sens littéral, elle signifierait qu’au pays du Cèdre, la légalité n’a aucune valeur, et que ce sont finalement les rapports de force d’un jeu...