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EN DENTS DE SCIE Très cher mister Jeffrey...

Trente-quatrième semaine de 2004. « Votre département d’État n’ayant heureusement pas eu le très oriental réflexe de juger nécessaire, à cause de quelques exceptionnelles mais néanmoins obscures circonstances, d’amender la coutume, de reconduire pour quatre mois ou quatre ans votre sympathique prédécesseur dans ses herculéennes fonctions, vous voilà, monsieur l’ambassadeur des États-Unis d’Amérique, parachuté pour votre première grande mission diplomatique... à Beyrouth. Dans un pays-message. Le cadeau est de taille. Vous jaugerez cependant assez vite le volume d’arsenic, de ciguë, de vitriol qu’il recèle, à quelques encablures à peine d’une échéance de première classe, éminemment libanaise, dangereusement délibanisée. De Awkar où vous êtes arrivé hier, monsieur l’ambassadeur, et où vous passerez désormais beaucoup de temps, le spectacle est impayable, panoramique ; on discerne parfaitement ce qui se passe plus bas, dans chaque salon, chaque café, chaque couloir ; on écoute comme si on y était le Libanais se livrer à cette seule activité pour laquelle il n’est pas encore taxé (c’est naturel, totalement ignoré, qu’il est, par l’État libanais) : parler. S’exprimer. Partagé entre cette propension naturelle de croire encore, quels que soient son âge et le quartier qu’il habite, au père Noël (déguisé en Oncle Sam, à moins que ce ne soit l’inverse), et sa naïveté toute orientale de croire, toujours, en d’excellentes, respectueuses et équilibrées relations de voisinage, ce Libanais chérit par-dessus tout, monsieur l’ambassadeur, sa lucidité. Et répète à qui veut l’entendre que son pays va, une nouvelle fois, servir de bouc émissaire dans le très métallique bras de fer auquel se livrent désormais au quotidien les États-Unis et la Syrie, notamment par Awkar et Anjar interposés. Dans une déclaration faite avant-hier dans nos colonnes, monsieur l’ambassadeur, vous affirmiez que “les choses ne sont plus ce qu’elles étaient il y a 15 ans”. Comme un délicieux understatement pour booster le travail d’amnésie du Libanais, lui faire oublier le deal syro-US de quand Bush père s’en allait libérer le Koweït ? Comme un mea culpa tout humble, né du traumatisme post-11/9, dont le seul point positif pour les Américains a été de se souvenir que c’est uniquement le modèle libanais, tout entier construit sur la convivialité islamo-chrétienne et l’acceptation de l’autre, qui pourrait être à l’origine d’une contamination positive et salvatrice d’une région en proie à tous les fanatismes ? Vous avez martelé monsieur l’ambassadeur, toujours dans ces colonnes, la nécessaire “liberté de choix pour le Liban”. Magnifique. Mais vous le savez mieux que quiconque : si le Libanais est tout entier concentré sur la désaliénation de la libre décision de son pays de la tutelle et des ingérences syriennes, ce n’est certainement pas pour accepter ou vanter les mérites des immixtions et autres intrusions, américaines, françaises, japonaises, tanzaniennes ou argentines soient-elles. Le Libanais veut simplement que Damas, Washington, Paris, Tokyo, Dar-es-Salam, Buenos Aires et le monde entier comprennent que seul un Liban où la démocratie et l’État de droit sont sacralisés – et traduits, en l’occurrence, par le respect de la Constitution et du principe d’alternance – est capable d’épauler ses voisins arabes, de servir d’exemple à suivre, d’être ce fameux et papal message. Et qu’il aide le Liban à y arriver, sans nécessairement abonder dans des Accountabilty Acts retors, ou cautionner et légitimer les boucheries sharoniennes. Le Libanais, monsieur l’ambassadeur, est conscient des efforts de Washington visant à trouver en Irak, après avoir fait véritablement n’importe quoi, des solutions aux ravages qu’il a provoqués. Et ce Libanais est persuadé que les solutions existent partout ; il souhaite, très cher Jeffrey Feltman, une fois vos lettres de créance présentées au chef de l’État sortant, que vous lui adressiez la parole. Pour lui faire comprendre que vous consacrerez chaque instant de votre escale libanaise à poursuivre, en essayant de la réussir, la dernière volonté diplomatique de votre prédécesseur : convaincre les Libanais de la sincérité et de l’honnêteté des États-Unis. Surhumaine mission ? Sans doute. Surtout si la Floride sera de nouveau, le 2 novembre prochain, au cœur de toutes les polémiques. Bon courage quand même. » Ziyad MAKHOUL
Trente-quatrième semaine de 2004.
« Votre département d’État n’ayant heureusement pas eu le très oriental réflexe de juger nécessaire, à cause de quelques exceptionnelles mais néanmoins obscures circonstances, d’amender la coutume, de reconduire pour quatre mois ou quatre ans votre sympathique prédécesseur dans ses herculéennes fonctions, vous voilà, monsieur...