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Actualités - OPINION

Le sens des maux

Libanisation. Ce n’est pas par la grande porte, hélas, que ce néologisme a fait son entrée dans le Larousse, qui en donne cette sombre définition : processus de fragmentation d’un État, résultant de l’affrontement entre diverses communautés ou confessions. Si, dans le passé, le Liban pouvait s’alarmer à juste titre des risques de balkanisation du Proche-Orient, c’est en définitive la libanisation qui, par la plus grande des ironies, s’en est allée faire des ravages en Europe centrale. Et c’est encore de libanisation que l’on s’obstine à parler s’agissant de l’Irak, même si les terribles maux qui frappent ce pays sont loin de se limiter aux tiraillements ethniques ou sectaires. Bien plus douce à l’oreille, même si on a quelque mal à y croire sérieusement, est cette autre forme de libanisation évoquée avec insistance depuis un bon moment à propos de la prochaine élection présidentielle : une échéance devenue depuis longtemps l’affaire d’un peu tout le monde – Syriens et Américains en tête – sauf des premiers concernés, les Libanais. Le mot a fait fortune, il a enfiévré les imaginations, incité pour la première fois des présidentiables à faire publiquement acte de candidature, à présenter même des programmes. Et le paradoxe – ou l’ironie, encore elle – veut que l’auteur du slogan de libanisation ne soit autre que le puissant et jaloux tuteur syrien, responsable au premier chef de cette même et aberrante captation des institutions sur laquelle on affecte aujourd’hui de se pencher avec une belle sollicitude. Autres temps, autres mœurs. En 1995, la Syrie gratifiait d’une rallonge de mandat son fidèle ami le président Élias Hraoui, qui pensait mériter doublement une aussi délicate attention. Sous son régime en effet, le Liban a été solidement amarré à la Syrie à la faveur d’une série d’accords de coordination équivalant à autant de contrats léonins ; et Hraoui avait dû attendre près de deux ans, confiné dans un appartement du bord de mer, pour jouir de la sérénité du palais de Baabda que squattait alors le général Michel Aoun. Toujours est-il que c’est par voie de presse – une petite phrase noyée dans une interview fleuve au quotidien cairote al-Ahram – que le président syrien de l’époque Hafez el-Assad faisait connaître son choix à un Parlement libanais suspendu depuis des semaines à ses lèvres et résolu, malgré maintes réserves bruyamment (et imprudemment) déclarées, à appliquer scrupuleusement la consigne. C’est un suspense peut-être plus soucieux des formes, plus subtil sans doute, mais non moins lourd de sous-entendus, qui a cours cette fois à Damas. En dépêchant dimanche dernier à Baabda Farouk el-Chareh, qui a rendu un hommage des plus appuyés au président Lahoud, Bachar el-Assad a-t-il vraiment annoncé la couleur comme l’assurent à qui mieux mieux les proches du régime ? Voulait-il seulement renflouer, en attendant une décision finale elle-même tributaire d’obscures tractations avec Washington, une option de reconduction qui prenait l’eau de toutes parts ? Qu’a à gagner la Syrie d’un ukase impopulaire nécessitant une nouvelle atteinte à la Constitution libanaise d’autant plus lourde de conséquences qu’elle irait plus loin cette fois qu’une simple extension ponctuelle du mandat présidentiel ? N’aurait-on pas donné ainsi une prime à la stagnation, au dépérissement, au pourrissement de la vie politique, à l’échec d’une expérience entamée il y a six ans ? Et quelle plus éclatante preuve d’échec y aurait-il pour la Syrie elle-même si elle ne devait sa tranquillité libanaise qu’à un homme, un seul, alors que les candidats maronites répondant parfaitement aux normes imposées sont légion ? Toujours est-il que l’incessant défilé dont la capitale syrienne a été le théâtre tout au long de la semaine écoulée ne présage guère d’un changement réel des mentalités, des intentions, des objectifs. Le Raïs ne libanise en rien l’échéance présidentielle quand il convoque pour concertations les seuls amis, alliés ou affidés de la Syrie : dont bon nombre d’ailleurs sont notoirement hostiles à toute reconduction du mandat du président Lahoud ; mais qui tous, et sans exception aucune, ne peuvent faire autrement que se laisser convaincre. Et qui ont même la singulière et candide honnêteté de l’avouer sans le moindre complexe, comme l’a fait le ministre Sleimane Frangié qui parle de s’aligner sur les vents, de « s’adapter » en attendant qu’ait tourné la roue de la fortune. 60, 80, 90 % de chances pour la reconduction comme l’estiment le même Frangié et l’ancien Premier ministre Omar Karamé, qui, dans cette singulière Bourse des actions présidentielles, ne risquent naturellement pas d’être poursuivis pour délit d’initié ? Les cours ont beau monter, seuls pavoiseront les quelques preneurs de bénéfices. Car ce sont les valeurs démocratiques, ou ce qui en tient encore lieu, que l’on pousse une fois de plus à faire le plongeon. Issa GORAIEB
Libanisation. Ce n’est pas par la grande porte, hélas, que ce néologisme a fait son entrée dans le Larousse, qui en donne cette sombre définition : processus de fragmentation d’un État, résultant de l’affrontement entre diverses communautés ou confessions. Si, dans le passé, le Liban pouvait s’alarmer à juste titre des risques de balkanisation du Proche-Orient, c’est...