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Point de vue Pour ou contre l’abolition de la peine de mort au Liban

Par Hyam G. MALLAT La question de l’abolition ou du maintien de la peine de mort est un sujet continuellement à l’ordre du jour au point qu’on pourrait se risquer à dire que chaque génération en a une interprétation particulière. Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est l’abolition progressive par nombre d’États – dont principalement l’Union européenne – de la peine de mort et le vaste mouvement qui se développe en faveur de cette abolition. Parce que ce sujet interpelle la conscience de chaque citoyen, il est évident qu’une réflexion continue et clairvoyante – surtout au Liban où une proposition de loi réclamant l’abolition de la peine de mort a été présentée – reste toujours souhaitable pour en éclairer tous les aspects. Et tout d’abord, en vue de clore un point fondamental, l’abolition de la peine de mort pour tout ce qui se rapporte aux procès d’intention, de conscience, d’action politique, sociale et économique est chose impérative. Elle est en fait l’expression même d’un niveau de civilisation et de démocratie sur lequel on ne saurait revenir. La mort de Socrate a grandi la figure de Socrate pour les générations futures et non celle de ses bourreaux. Il n’y a pas lieu de s’apesantir sur ce point et on ne saurait qu’admettre le bien-fondé de l’abolition de la peine de mort dans de pareils cas d’espèces – tout en relevant que les États ayant acquis le degré de conscience et de comportement politiques dignes d’une démocratie ont aboli cette forme de sanction depuis longtemps. Et seuls les tristes régimes autoritaires et personnels peuvent se targuer encore de pareilles turpitudes. Reste toutefois le cas des crimes de droit commun crapuleux commis par des individus sur des personnes innocentes dans un but sordide et aboutissant au décès de ces personnes qui sont ôtées à l’affection de leur famille et du service de la société. Quid donc de l’abolition systématique de la peine de mort dans ces cas-là ? On pourra dire évidemment que l’existence de la peine de mort n’a jamais été un moyen de dissuader une personne de commettre un crime. Certes. Mais elle a toujours été quand même un moyen de sanction contre une personne qui, ayant commis l’irréparable dans la société, se voyait poursuivie par cette même société investie du droit de poursuite et de sanctions. Car la peine de mort n’a pas toujours été du ressort et du privilège de l’État – et on pourrait même affirmer qu’au cours de l’histoire les clans, les familles, les individus et les petits et grands potentats et hobereaux locaux ont exercé cette peine de mort bien plus que l’État lui-même. Pour passer donc de la vengeance personnelle – souvent injustifiée – à la reconnaissance du privilège de l’application de la peine de mort par l’État, il a fallu un immense effort de récupération mené par l’État lui-même au nom de la société pour convaincre les citoyens que la vengeance personnelle manque de justice et que l’équité exige qu’une tierce autorité – à savoir une organisation judiciaire légalement reconnue – vienne confronter les protagonistes pour décider ou non de la peine de mort. Au Liban plus particulièrement, il y a lieu de reconnaître que cette peine de mort n’a été prononcée qu’avec beaucoup de circonspection et que des juges investis de ce pouvoir se sont rarement amusés à envoyer à la potence les personnes ayant ôté la vie à d’autres sans des raisons bien justifiées. Et si j’en parle c’est parce que mon père, Georges Mallat, qui a longtemps été juge d’instruction, procureur général, président de la Cour d’assises et président de la Cour de cassation militaire, ne cessait de retourner ses dossiers pour éviter toute erreur aux conséquences définitives. Quand donc la justice s’exerce dans toute sa conscience, la peine de mort n’est plus que l’exception car un tribunal ne saurait condamner quelqu’un à cette peine suprême qu’après avoir exclu toutes les circonstances atténuantes jugées injustifiées. C’est dire que le privilège reconnu à l’État avec la peine de mort constitue un recul majeur de cette vengeance personnelle qui a longtemps été dans l’histoire – et jusqu’à présent encore dans nombre de sociétés particulièrement familiales et claniques – un fléau social considérable. L’instinct de mort, qui est bien connu des psychanalystes et des psychologues, est inhérent à la nature humaine et terriblement dangereux dans son caractère irrationnel et incontrôlable. On n’en veut pour exemple que le crime commis en 1959 en plein Palais de justice à Beyrouth quand un membre des Forces de sécurité intérieure, conscient de son rôle, voyant un homme qui avait abattu son frère des années plus tôt et qui venait juste de sortir de prison profitant d’une mesure de grâce accordée à l’époque, a dégainé son revolver de service et abattu cet homme de plusieurs coups de feu. C’est dire qu’il y aurait lieu de craindre qu’en cas de démission du rôle de l’État dans la peine de mort, cette vengeance personnelle pourrait trouver des raisons supplémentaires pour échapper au contrôle de la société et déraper en un nouveau fléau social que les lois seules ne pourraient juguler. Si nous disons cela, ce n’est pas tant pour défendre la peine de mort – qui ne saurait être prononcée dans une société digne de ce nom que sur une base sans faille et fortement justifiée contre l’assassin – que pour prévenir une légèreté sans sagesse qui, en ôtant à l’État et à la société, surtout en Orient, un moyen de sanction durement acquis dans l’histoire contre la vengeance personnelle, pourrait ne pas nécessairement conduire à une meilleure sécurité dans les rapports et à une société plus saine. Gardons-nous, sous prétexte d’une défense ici illusoire des droits de l’homme, d’en arriver à accorder au bourreau plus d’égards et de droits qu’à la victime.
Par Hyam G. MALLAT

La question de l’abolition ou du maintien de la peine de mort est un sujet continuellement à l’ordre du jour au point qu’on pourrait se risquer à dire que chaque génération en a une interprétation particulière. Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est l’abolition progressive par nombre d’États – dont principalement l’Union européenne – de...