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Actualités - OPINION

Bons bourreaux

Elle n’a jamais été éclatante de blancheur, la guerre de George W. Bush contre l’Irak lancée en base d’allégations qui se sont avérées fausses et dont les mobiles réels demeurent inavouables. Et voici qu’elle vient de prendre un sacré coup de sale, à supposer naturellement qu’il peut y avoir des guerres propres. Comme l’art, et certains tortionnaires se flattent de l’avoir élevée au rang d’un art, la torture n’a pas de patrie. Elle sévit à l’état endémique en de nombreux lieux dont le Proche et le Moyen-Orient, elle n’a pas toujours épargné notre relatif petit paradis libanais, mais elle peut se produire aussi dans les pays démocratiques. La différence toutefois, c’est qu’en démocratie, la vérité finit tôt ou tard par éclater au grand jour ; des gouvernements sont alors tenus de rendre compte même s’ils jouent les étonnés, des responsables doivent être sanctionnés, des têtes sont vouées à tomber. C’est bien ce qui arrive aujourd’hui aux États-Unis avec l’affaire de la prison d’Abou Gharib où des sévices absolument inhumains ont été infligés à des détenus irakiens, partisans de Saddam Hussein ou islamistes. Ce qui est stupéfiant, c’est que certains des tortionnaires aient poussé le sadisme – et finalement l’inconscience – jusqu’à figurer eux-mêmes sur les photos-souvenir de leurs sinistres exploits. Ce qui est terrible, c’est que ces pratiques étaient monnaie courante depuis plusieurs mois et qu’elles ne se limitaient nullement à la prison d’Abou Gharib. Ce qui est admirable et réconfortant en revanche, c’est que la presse – elle, une fois de plus – se soit chargée de révéler l’horreur aux yeux incrédules des Américains mais aussi des Britanniques, qui auraient tâté eux aussi de la torture. Qu’en ce faisant, les médias ont ébranlé une Amérique moins convaincue que naguère du bien-fondé de l’equipée irakienne il est vrai, mais invariablement unie derrière ses boys envoyés au front. Et que la pression de l’opinion publique, enfin, a été assez puissante pour contraindre la Maison-Blanche à ordonner une enquête approfondie, appelée à s’étendre à l’ensemble du système pénitentiaire en Irak. Ce ne sont pas cependant les quelques limogeages d’officiers d’active ou des services de renseignements qui pourront réparer les dégâts considérables que cause cette affaire à l’Administration US, embourbée dans le conflit irakien et qui de surcroît a choqué le monde en faisant sien un plan Sharon que les ultras du Likoud se sont eux-mêmes chargés de faire capoter. De quelle libération peut-on encore parler quand les libérateurs recourent, dans leurs interrogatoires, aux méthodes de la Gestapo ? Comment la générale Janis Karpinski pouvait-elle, l’été dernier, organiser un tour de journalistes dans la prison « modèle » d’Abou Gharib où l’on torturait allègrement sous Saddam Hussein et où l’on continuait en réalité sous George W. Bush ? Quelle parcelle de légitimité reste-t-il au pieux assaut contre la barbarie de Saddam, de quelle sorte de civilisation les excités du Pentagone se sont-ils fait les champions ? Cela dit, ils n’étaient qu’une cinquantaine hier devant la Maison de l’Onu dans le centre-ville de Beyrouth à dénoncer les tortures en Irak. Rien qu’une cinquantaine, soit un manifestant pour quatre millions d’Arabes. En même temps que leur honneur pourtant, ce sont en réalité les droits de tous les Arabes que défendait aussi, sans le dire, cette poignée de militants libanais des droits de l’homme. Non point évidemment que le monde arabe ne soit pas familier des démonstrations de masse lesquelles, le plus souvent, sont planifiées, orchestrées, encadrées par les gouvernements. On manifeste dans la douleur contre les agressions sionistes, on manifeste dans la rage contre l’invasion puis l’occupation de l’Irak, on manifeste dans la liesse pour célébrer la réélection, à 99,99 % des suffrages, des chefs d’État qui, dans leur infinie bonté, vont jusqu’à soumettre leur providentielle personne au verdict populaire. On manifeste pour d’autres causes, contre maintes autres infamies ; mais descendre dans la rue pour flétrir l’usage de la torture, cela devient plus délicat pour les chefs d’orchestre, même quand l’abomination est le fait des affreux impérialistes yankees. Car qui songerait à aller jeter des pierres chez autrui quand sa propre maison est de verre ? Qui se hasarderait même à donner de la voix, quand les prisons locales résonnent des clameurs des suppliciés ? Absorbée par les préparatifs d’un sommet de pure forme qui se soldera une fois de plus par des résolutions de routine, la Ligue arabe ne pipe mot. La plupart des États arabes font de même ; et si d’aventure l’un d’eux rompt l’assourdissant silence, c’est pour dire, comme pour s’excuser de tant d’audace, qu’il ne peut que condamner de si inhumaines pratiques. « Il ne peut que » : l’admirable, le gigantesque, l’héroïque effort que voilà ! Issa GORAIEB
Elle n’a jamais été éclatante de blancheur, la guerre de George W. Bush contre l’Irak lancée en base d’allégations qui se sont avérées fausses et dont les mobiles réels demeurent inavouables. Et voici qu’elle vient de prendre un sacré coup de sale, à supposer naturellement qu’il peut y avoir des guerres propres.
Comme l’art, et certains tortionnaires se flattent...