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Actualités - CHRONOLOGIE

CONCERTS - À l’ amphithéâtre Aboukhater (USJ) Abdel Rahman el-Bacha joue Rachmaninov : une déconcertante maîtrise (photo)

Un concert exceptionnel qui laisse loin derrière lui tous les récitals de piano où l’on s’est enthousiasmé et applaudi à tout rompre. Un pianiste haut de gamme et un programme rarissime: belle alliance de l’art d’être champion des touches d’ivoire et des partitions éblouissantes où l’on peut facilement se tordre le cou, les doigts et les tendons…. Sur scène (à l’amphithéâtre Aboukhater (USJ) et organisé par Ninar – Espace culturel libanais), une fois de plus, et tout à notre grand plaisir, Abdel Rahman el-Bacha avec sa réserve habituelle, son talent au-dessus de tout éloge, son sens de la modestie sans démonstration inutile et de l’autre côté, cadeau inattendu pour les pianophiles chevronnés, un menu redoutablement difficile et attrayant qu’on croise peu souvent : les 24 préludes de Rachmaninov. Autant de périls et d’écueils à vaincre que de sensibilité à déployer… Il y a là l’ombre des maîtres d’autrefois et un compositeur de génie doublé d’un virtuose émérite qui a écrit ces pages sous l’hypnose d’un médecin qui le guérissait de ses doutes injustifiés... Tout d’abord, un peu en retrait, flotte l’esprit du Cantor entre deux phrases d’une rigueur absolue. Puis se profile la folie romantique et les ténébreuses humeurs d’un Chopin ainsi que le discours ombrageux d’un Liszt. Mélange détonnant et flamboyant pour une narration échevelée combinant subtils contrastes, harmonies audacieuses, rythmes marqués et mélodies soyeuses ou chavirantes. Ces préludes (op. 3 n° 2 en ut dièse mineur, 10 de l’op. 23 et 13 de l’op. 32), fruits d’une passionnante montée de sève créatrice, révèlent avec un éclat particulièrement évident le don remarquable et unique d’un artiste inspiré qui a délibérément entrepris une virée exploratoire des 24 tonalités. Tons mineurs et majeurs pour un voyage sonore presque initiatique. Mais il s’agit aussi là d’une œuvre magistrale qui s’échelonne sur plus de dix-huit ans de labeur, interrompu par le doute et la crainte de voir la source tarir... Malgré toutes les vicissitudes, le cycle s’est refermé et la boucle est ronde comme une lune pleine et argentée. Intériorité et poésie ardente Grande et courageuse plongée sonore pour faire parler et colorer les notes, les timbres, les associations les plus hardies, parfois même les plus insolites. Somptueux monument pianistique, ces 24 préludes sont un vibrant écran sonore pour traduire la tourmente, l’élévation, les tensions irrépressibles, les élans fous, les orages et les accalmies, les fantasmes les plus diaboliques, les tentations les plus diverses, les sensations qu’on n’oublie pas, les désirs les plus troublants, bref l’intériorité bouillonnante et secrète d’un musicien qui croyait ferme à toutes les passions valorisantes. Un peu à l’image de sa musique nourrie d’un romantisme sans borne où l’ange et la bête voisinent, où se côtoient cimes et abîmes, où se succèdent larmes et sourires, où la voilette du deuil couvre les cris de la luxure, où vivre c’est aussi pénible que de mourir… Volcaniques, éruptifs, rêveurs, méditatifs, sereins, angoissés, ludiques, graves, majestueux, faussement légers, torrentiels, d’une poésie ardente ou fébrile, agités, jamais retenus et constamment effervescents, oui ils sont parfaitement inclassables ces préludes à l’élasticité étourdissante. Lyrisme marqué mais aussi souffle absolument russe habité par l’esprit des steppes et des églises orthodoxes où la piété est suivie d’un cortège de cierges qui brûlent et d’encens qui embaume… Chromatismes perlés et lumineux, arpèges accélérés comme le vent qui secoue les arbres, accords riches comme jaillis parfois du ventre de la terre, ces préludes aux ramifications innombrables comme les racines tubéreuses et noueuses des plantes ramènent parfois devant le clavier une nature à l’état sauvage et indomptable… Indomptables sont ces grappes de notes opalescentes qui coulent pourtant de source sûre de sous les doigts alertes et agiles d’un Abdel Rahman el-Bacha d’une déconcertante maîtrise. Tout n’aurait été que pur délice dans cette soirée si ce n’était ce micro qui a éclaté en stridence aiguë au beau milieu du concert, faisant sursauter un pianiste concentré sur son jeu et dérangeant un auditoire religieusement recueilli. Sans parler des deux sonneries de mobile qui ont retenti comme si les Bourses de Wall Street ont pris feu, mais c’est probablement et plus prosaïquement bobonne qui annonce à son auguste mari que le fattouche ce soir ne manquera pas de citron… De toute évidence la civilité de certains mélomanes inclut de répondre à leurs appels (urgents et importants s’il vous plaît!) en plein concert même si c’est Abdel Rahman el-Bacha qui officie! On oublie ces détails insipides et retour aux salves d’applaudissements avec standing ovation spontanée pour cette prestation plus que remarquable d’un moment musical privilégié avec un pianiste qui sait injecter du sang neuf à des partitions dont on s’approche avec infiniment de respect. En bis, en amitié à Walid Hourani (en salle et toujours d’excellente humeur!) et Billy Eidi, qui tous les deux ont interprété il a quelques jours dans leur concert du Albeniz, voilà Abdel Rahman el-Bacha qui offre à son auditoire un magnifique morceau d’Iberia. Têtu, obstiné, obsédant est cet air où flamboie tout le pays des «conquistadors». Du soleil, des roses rouge baccarat, des baisers passionnés. Ce sont des images vives, rougeoyantes et enflammées sur fond de torride sensualité qui font baisser le rideau des notes. Oui, mais on est toujours sous l’emprise de Rachmaninov. On ne chasse pas impunément certains esprits et encore moins certaines atmosphères. Et ce soir on mettra au placard la version de Vladimir Ashkenazy pour mieux garder en tête l’interprétation de celui qui, en 1978, à dix-neuf ans et demi, remportait haut la main le prestigieux concours Reine Élisabeth de Belgique. Égal à lui-même, Abdel Rahman el-Bacha nous séduit toujours. Avec lui, Rachmaninov c’est sublime! Edgar DAVIDIAN
Un concert exceptionnel qui laisse loin derrière lui tous les récitals de piano où l’on s’est enthousiasmé et applaudi à tout rompre. Un pianiste haut de gamme et un programme rarissime: belle alliance de l’art d’être champion des touches d’ivoire et des partitions éblouissantes où l’on peut facilement se tordre le cou, les doigts et les tendons…. Sur scène (à...