Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Pour ne rien changer

Affirmer d’ores et déjà que les meilleurs vont gagner, c’est comme croire au père Noël : déraisonnable. Des localités peuvent basculer d’un camp à l’autre, quelques sièges échoir à des candidats compétents, les élections se dérouler dans des conditions acceptables, rien ne change quant au fond du problème. En effet, comme à chaque scrutin, les dés sont pipés bien à l’avance et les batailles déviées de leur fonction initiale. De municipal, au service du citoyen, l’enjeu, vital pour l’avenir des villes et petites localités, s’est naturellement délité dans les méandres de la politique politicienne, dans les guéguerres entre familles et les luttes d’influence. Des programmes de développement, d’amélioration de la qualité de vie, de protection de l’environnement ? Nenni, ou si peu. D’ailleurs, les clichés, ressassés à longueur de scrutins, l’électeur n’y croit plus depuis belle lurette. Alors, place au cirque électoral bien plus croustillant : manœuvres grotesques, crocs-en-jambe, règlements de comptes par médias interposés. Les candidats y excellent et les électeurs applaudissent, piégés qu’ils sont par les pouvoirs successifs qui ont dénaturé l’essence même du système électoral, en refusant d’adopter une loi plus juste, plus conforme aux réalités politiques et communautaires. Mais quels lendemains pour un pays dont les diverses composantes n’ont plus conscience de leurs droits et devoirs, et se prêtent complaisamment au jeu de la corruption ? Certains candidats n’y ont d’ailleurs pas été de main morte, promettant prébendes aux électeurs dociles et menaçant de leurs foudres les récalcitrants. D’autres, très bien nantis, n’ont pas lésiné sur les moyens. Aux élections précédentes, ce sont les naturalisés qui s’étaient distingués en exécutant, par vagues successives, leur part du contrat. Aujourd’hui, ils sont toujours là, y compris les 3 000 qu’on menace de « dénaturaliser ». Mais le fait nouveau, c’est l’entrée en scène des émigrés : des Amériques, d’Australie, d’Europe, ils affluent pour accomplir leur devoir électoral (sic) avec femme, enfants et bagages, et la promesse d’un séjour tous frais payés. Comment résister à une telle invite, dût-elle émaner d’un illustre inconnu... appelé à devenir un édile illustre ! Dans pareil contexte, comment croire encore aux vieux clichés d’un duel opposants-loyalistes, d’un combat de titans ? D’ailleurs de quelle opposition s’agit-il : celle des aounistes, des Forces libanaises ou de Kornet Chehwane ? Pour l’électeur, c’est finalement blanc bonnet et bonnet blanc. Côté loyalistes, c’est évidemment la parade, et on désigne déjà les vainqueurs sans états d’âme, Hariri se permettant même de faire de l’opposition intra-muros, ce qui lui assure, paradoxalement, la sympathie d’une partie de l’électorat chrétien de Beyrouth. Drôle de paysage dans un pays qui navigue au gré des vents et triste répétition pour des législatives qui risquent fort bien de reproduire les mêmes schémas en 2005. Quinze années de guerre n’auraient-elles donc servi à rien ? Mêmes causes, mêmes effets : les générations de l’après-cataclysme, en qui étaient placés tous les espoirs, émigrent inexorablement vers des cieux plus cléments, désespérant de se faire une place au soleil libanais. Faute de repères, de groupes de pression, de partis émergents bien structurés, ceux qui restent se résignent souvent à leur sort et s’adaptent tant bien que mal à la « formule libanaise » : pistons, clientélisme et vote à la mesure des services rendus ou à venir. Ainsi va la République de Taëf : ankylosée, à la traîne d’un monde qui se métamorphose, toujours en retard d’un train à prendre. *** Au terme du scrutin municipal, les émigrés, électeurs d’un jour, s’en retourneront dans leurs pays d’accueil respectifs, édifiés sur le processus démocratique au Liban. Peu leur chaut, finalement, d’avoir voté pour x ou y, ils auront au moins profité de l’aubaine qui leur a été offerte : une semaine de tourisme aux frais de la princesse. Quant aux Libanais résidents, qu’ils aient voté ou se soient abstenus, ils auront été, une fois de plus, les dindons de la farce. Une farce étalée sur quatre semaines, un mois de mai qui figurera dans les annales libanaises comme le mois des dupes. Dût-on clamer, dans un camp, le triomphe de la démocratie, et dénoncer, dans l’autre, les manipulations et les atteintes aux droits de l’homme. Nagib AOUN
Affirmer d’ores et déjà que les meilleurs vont gagner, c’est comme croire au père Noël : déraisonnable. Des localités peuvent basculer d’un camp à l’autre, quelques sièges échoir à des candidats compétents, les élections se dérouler dans des conditions acceptables, rien ne change quant au fond du problème.
En effet, comme à chaque scrutin, les dés sont pipés...