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Actualités - REPORTAGE

La Ligue maronite veut renforcer les liens avec la diaspora Du Liban profond à Mexico City et retour... trois générations après (photo)

Cinquante-quatre jeunes émigrés libano-mexicains ont pris part tout au long d’un mois à un camp d’été organisé par la Ligue maronite, en collaboration avec l’Université Notre-Dame de Loueizé (NDU), dans le cadre d’un programme intitulé « Retour aux sources ». Tous appartiennent à la troisième ou à la quatrième génération d’émigrés. La plupart n’étaient jamais venus au Liban et ne parlent pas l’arabe, mais c’est avec un engouement hors norme qu’ils évoquent leur terre d’origine, les habitudes libanaises préservées au Mexique et la guerre. Qu’ils soient originaires de Zghorta, de Baalbeck, de Beit Mellat, ou d’autres régions du Liban, chacun a une histoire à raconter, une sorte de « success story » celle d’un aïeul arrivé sans le sou au Mexique au début du siècle dernier, fuyant la pauvreté et la famine de la Première Guerre mondiale et qui a fini par réussir. Des histoires qui se ressemblent mais qui sont propres à chaque famille et qui ont été répétées de génération en génération, préservées oralement, probablement pour que les plus vieux retrouvent un peu de leur fierté et pour donner du courage aux plus jeunes. Et bien sûr, pour que l’on n’oublie pas. Si ces jeunes, appartenant à des familles libano-mexicaines aisées, ont choisi de passer leurs vacances d’été à sillonner le Liban, ses sites touristiques et ses églises surtout, c’est pour exaucer un vœu, tenir une promesse qui n’a probablement jamais était faite de vive voix ; ils réalisent ce que leurs pères et leurs mères, nés au Mexique, n’ont jamais pu faire : voir le Liban. Retourner au village, découvrir un pays qui existait dans leur imagination et dans la mémoire de leurs grands-parents et arrière-grands-parents. « Nous ne sommes pas venus vérifier ce que mon aïeule ne s’est jamais lassée de répéter, qu’au Liban les fruits sont plus rouges et les légumes plus grands », indique Zarco Sarkis, en faisant des gestes de la main pour montrer la surdimension des fruits vantés par l’ancêtre. La famille de Zarco est originaire de Zghorta. Pour venir au Liban, le jeune homme âgé de 17 ans a entraîné avec lui un cousin libanais, Juan Pablo Doueïhy, et un ami mexicain, Alberto Leal. « Dès notre plus jeune âge, on nous parle du Liban, les mêmes histoires se répètent de génération en génération ; comment ils ont quitté le pays en bateau pour arriver pauvres sur une terre d’accueil. Ils ne parlaient pas la langue, n’avaient pas d’argent », indique ce jeune homme, qui veut faire des études en droit. « Nous avons préservé nos traditions ; le style de vie des Libanais du Mexique ne ressemble pas à celui des Mexicains, nous vivons toujours dans nos familles et nous mangeons libanais au moins trois fois par semaine », indique-t-il, sans pouvoir expliquer le sentiment d’appartenance qui l’attache à son pays d’origine. « Mes arrière-grands-parents ne parlaient pas seulement de la guerre et de la famine, ils évoquaient aussi les bonnes choses, tout ce qu’il y a de beau au Liban ; je pense que même s’ils ont réussi en terre d’accueil, la nostalgie était toujours là d’un pays qu’ils avaient été obligés de quitter », relève-t-il. « Triste pour Baalbeck, mon village » Nabil Farès, 18 ans, originaire de Beit Mellat (Akkar), indique que son père a quitté le Liban alors qu’il avait 8 ans. « Mes grands-parents et lui s’étaient promis de retourner un jour. Ils n’ont jamais pu le faire. C’est un peu pour eux que je suis là aujourd’hui », dit-il. Comme Dulce Kaddissi, 18 ans, il s’est rendu à Beit Mallat. « C’est comme au Mexique, les Libanais sont partout les mêmes, ils vous reçoivent, vous offrent des fruits et du café, vous donnent ce qu’ils ont, même s’ils n’ont pas grand-chose », dit-il. Edouardo Haddad, 17 ans, est originaire de Bhamdoun, mais le jeune homme ne le savait pas. « Je croyais que j’étais originaire de Baalbeck. Quand j’ai appelé ma mère au Mexique pour lui parler de ma visite de la citadelle et pour lui dire que je suis triste parce que mon village est pauvre et délaissé, elle m’a répondu que j’étais originaire de Bhamdoun », dit-il, amusé par l’histoire. Il explique : « Je viens de découvrir que mon arrière grand-père est de Bhamdoun et mon arrière grand-mère de Baalbeck. » Comme la plupart des jeunes ayant pris part au camp de la Ligue maronite, Edouardo est un Libanais pure souche. D’ailleurs, tous les jeunes interrogés préfèrent se marier un jour avec un Libanais ou une Libanaise du Mexique, soulignant que « les traditions et les styles de vie ne sont pas les mêmes pour les Mexicains et les Libano-Mexicains » . Edouardo raconte l’histoire de sa famille. Son arrière grand-père est arrivé durant la Première Guerre mondiale au port de Vera Cruz. « Il avait pris un bateau de Beyrouth ; ses douze frères et sœurs venaient de mourir dans la grande famine, il n’avait pas un sou en poche et ne parlait que l’arabe. Il ignorait même la destination du bateau. La dernière escale était Vera Cruz ; mon arrière grand-père est descendu, il était seul, ne connaissait personne, n’avait pas d’argent pour manger », dit le jeune homme. « Ensuite il s’est mis à vendre du tissu, il a ouvert une petite échoppe. Avec le temps, il est devenu un spécialiste du textile », ajoute-t-il. Edouardo tient aussi à raconter l’histoire de son arrière-grand-mère, qui est originaire de Baalbeck et qui était partie à l’âge de 8 ans avec sa famille en Argentine, puis de là au Mexique. « Elle a élevé seule ses huit enfants et ses neuf neveux. Aujourd’hui, cette souche de la famille Skaf compte plus de 3 000 personnes à Mexico City », dit-il, fièrement. Juan Pablo Doueïhy, 18 ans, est originaire de Zghorta et suit des études d’affaires internationales. Il appréhendait son séjour au Liban. D’ailleurs à son arrivée à l’aéroport, il s’était demandé comment il allait passer un mois dans ce pays, qui avait l’air fade et triste. Heureusement, ses appréhensions se sont bien vite dissipées, à la plage, en visitant les sites touristiques, en rencontrant des gens. Même si les Libanais ne ressemblent pas parfois à l’idée qu’on se fait d’eux. « Dans certains magasins du centre-ville, j’ai été mal accueilli. Les vendeurs n’ont pas répondu à mes questions », dit-il, avec ses grands yeux bleus et ses cheveux blonds. Mais ce sont les habitants de Zghorta qui l’ont le plus ému. « Je n’ai plus de la famille proche au Liban, ce sont les cousins éloignés qui ont préparé un accueil royal. Ils ne me connaissent pas, ne m’ont jamais vu, ils m’ont invité chez eux, ont demandé des nouvelles de toute la famille », dit-il. « Évidemment, mes grands-parents n’ont pas menti », poursuit-il, racontant une autre histoire, plus vieille, celle de ses grands-parents quand ils sont rentrés au Liban, il y a une cinquantaine d’années, pour le baptême de son oncle. « Les habitants du village les avaient attendus dans la rue, offrant du sirop et des douceurs », dit-il. Il cite aussi un proverbe mexicain : « Si vous n’avez pas d’amis libanais, vous n’avez pas d’amis. » Saint Charbel, deuxième saint du Mexique Juan Pablo sourit, parle spontanément de sa visite du couvent de saint Charbel, à Annaya. « Au Mexique, dans chaque église il y a une statue de saint Charbel ; dans la ferveur des Mexicains, qui ne veulent même pas croire que le saint n’est pas originaire de leur pays, Mar Charbel vient tout juste après la Vierge de Guadeloupe », indique-t-il. Mais ce n’est pas seulement la visite du couvent de Annaya qui l’a marqué. « C’est le fait d’aller dans toutes ces églises et ces couvents et de connaître vraiment mes origines maronites. C’est cela qui a véritablement concrétisé mon sentiment d’appartenance au Liban », dit-il. Effectivement Juan Pablo est parmi les rares jeunes ayant participé au camp qui clament haut et fort leur appartenance au Mexique avant tout. À l’entendre parler, les autres seront encouragés de dire qu’ils ont certes du sang libanais dans leurs veines mais qu’ils se sentent aussi parfaitement mexicains. Juan Pablo, comme les autres, ne quittera jamais le Mexique pour s’installer au Liban. Tous reviendront en simple visite, ils seront même accompagnés de parents et d’amis. Mais un retour au pays est bien difficile à envisager. « Nos arrière-grands-parents sont partis pour fuir la guerre et la famine, c’est le Mexique qui leur a permis de survivre et de réussir. Ils ont été obligés de quitter leur pays. Personne ne le fait de son plein gré et nous, rien ne nous oblige à quitter aujourd’hui le Mexique, où il n’y a ni famine ni guerre », explique Juan Pablo. La guerre, un terme qui hante ces jeunes, alors que les jeunes Libanais de leur âge ont fait le choix de l’amnésie. Étaient-ils au courant des détails de la guerre du Liban, des événements de 1975 à 1990, ou bien parlent-ils de la situation du Moyen-Orient en général ? Non, non et non. Dans leur tête d’immigrés, toutes les guerres se confondent. Et celle qui continue encore de les traumatiser, c’est une guerre qui a été bel et bien oubliée par ceux qui n’avaient pas quitté le pays. Celle-la même qui avait forcé – entre 1914 et 1918 – leurs aïeux à partir, celle qui a fait en sorte qu’ils naissent Mexicains et qu’ils soient condamnés à porter le Liban dans le cœur comme un immense sentiment d’exil. Patricia KHODER
Cinquante-quatre jeunes émigrés libano-mexicains ont pris part tout au long d’un mois à un camp d’été organisé par la Ligue maronite, en collaboration avec l’Université Notre-Dame de Loueizé (NDU), dans le cadre d’un programme intitulé « Retour aux sources ». Tous appartiennent à la troisième ou à la quatrième génération d’émigrés. La plupart n’étaient...