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Actualités - OPINION

Tabboulé, kebbé, mais encore ?

Par charters entiers, ils accourent en ce moment des States, d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Australie pour d’estivales retrouvailles avec la mère patrie. Ils vont respirer le bon air du pays, visiter le fruste village qui a vu naître leurs ancêtres, admirer le grand chêne à l’ombre duquel l’aïeul entarbouchonné aux grosses moustaches blanches aimait égrener son chapelet d’ambre. Ils iront tous les jours dans les restaurants du bord de l’eau se régaler de tabboulé et de kebbé, et têter voluptueusement un narguilé. Et puis ils repartiront chez eux pleins de souvenirs, surchargés de cadeaux souvenirs, le cœur balançant entre nostalgie et plaisir de regagner le gîte au terme d’un long et beau voyage. Nos émigrés : une vingtaine de millions de Libanais d’origine disséminés aux quatre coins du globe, parfaitement intégrés bien sûr dans leurs pays d’adoption, mais qui restent nombreux à garder, génération après génération, l’empreinte indélébile du cèdre. Nos émigrés, ce n’est pas seulement cinq fois la population du pays : c’est surtout un énorme potentiel politico-financier largement inexploité. Ici et là, se sont hissés à d’importantes positions publiques de lointains enfants du Liban ; des groupes de pression ont même vu le jour, même si leur activité intermittente n’est en rien comparable à celle des lobbies juifs. Et si la saga de l’émigration n’a pas choyé tout le monde, s’il existe bel et bien des oncles d’Amérique absolument désargentés, la fortune a souri à beaucoup de ces audacieux dont certains, dit la légende, ont bâti de véritables empires en commençant par s’en aller, baluchon sur le dos ou présentoir suspendu au cou, proposer leur verroterie jusqu’aux confins de l’Amazonie. Elle pèse une quarantaine de milliards de dollars, la diaspora, elle est généreuse et elle a l’esprit de famille. Tout au long de la guerre, les Libanais des antipodes tout comme les expatriés de proximité travaillant dans le Golfe n’ont cessé en effet, par leurs virements réguliers, d’assurer la subsistance de leurs proches pris dans la tourmente. Ils ont littéralement soutenu ainsi une précieuse, une miraculeuse résistance civile dans une guerre qui, malgré son label, n’avait rien de civil, elle. Ils continuent de rapatrier tous les ans près de quatre milliards de dollars. Que peuvent-ils donner aujourd’hui ? C’était là l’objet du congrès des émigrés pour l’investissement au Liban qui vient de se tenir à Beyrouth et qui a groupé des centaines de participants. Heureuse initiative s’il en est, qui a mobilisé la république au grand complet et à la faveur de laquelle a été annoncé un plan gouvernemental prévoyant l’octroi de cartes d’émigrés assorties de privilèges en matière de propriété et d’exemptions fiscales. C’est fort bien ; mais dans un pays en proie à la crise, ployant sous la dette, il y a davantage à faire que d’encourager les acquisitions foncières et immobilières. Les mezzés, c’est bien agréable, mais ce n’est pas tout : c’est d’investissements productifs que le pays a besoin, et si les émigrés ne manquent pas de bonne volonté, ils ont besoin d’être rassurés : sur leurs placements bien sûr, mais de manière plus générale sur la capacité de l’État libanais, sur sa volonté ou même son souhait de s’imposer en tant qu’État. Le capital qui fait le plus défaut en réalité, c’est celui de confiance. Et s’il est vrai que les virements de la diaspora ont augmenté ces dernières années, ce n’est pas, contrairement aux allégations officielles, en reconnaissance de la remarquable stabilité dont jouit le pays : c’est parce que, du fait de la récession et du chômage, de plus en plus de familles libanaises sont tributaires, pour leur survie, de ces précieux virements de fin de mois canalisés bien entendu par les banques privées, sans que la fameuse stabilité y soit pour rien. C’est parce que, si stabilité il y a, c’est seulement celle de l’anormalité et de la médiocrité. C’est à la classe dirigeante qu’il incombe de s’investir, avant que de s’employer à raccoler les dollars du dehors. Tout autant que les Libanais résidents, les émigrés réclament un État qui fasse pour le moins l’effort de ressembler à un État : un État dont l’armée sert non point à mater les étudiants, mais à protéger les frontières ; un État où des ministres incroyablement irresponsables, entreprenant d’expliciter la pensée présidentielle et beau-paternelle, ne pourraient sortir impunément des énormités du genre « La troupe au Liban-Sud, c’est un service rendu... à Israël » ! Les émigrés réclament un État qui s’en tient lui-même à la loi, qui applique la loi à commencer par la fondamentale, la Constitution, un État qui veille dans les faits, et non dans les harangues, à ce que nul ne se place au-dessus de la loi. Ils réclament un État qui respecte ses propres engagements : qui, à l’ère des privatisations et de la mondialisation, n’offre pas l’affligeant spectacle d’une ruée générale sur les commissions et les monopoles déguisés. Ils réclament la transparence, la suppression du clientélisme et, par-dessus tout, une justice absolument indépendante, blindée contre les interventions occultes. Les massacres confessionnels de 1860, la famine de la Première Guerre mondiale puis la guerre de quinze ans ont rythmé les grandes vagues d’émigration qu’a connues notre pays. La guerre c’est la guerre, avec toutes ses horreurs, ses drames, ses tragédies. Le pire que pourrait retenir l’histoire cependant, c’est qu’en période d’après-guerre et sous le signe mensonger de la discorde et de la « stabilité » retrouvées, l’on continue d’assassiner l’espoir. Qu’en fait d’industrie nationale, on s’évertue en somme à fabriquer des émigrés. Issa GORAIEB
Par charters entiers, ils accourent en ce moment des States, d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Australie pour d’estivales retrouvailles avec la mère patrie. Ils vont respirer le bon air du pays, visiter le fruste village qui a vu naître leurs ancêtres, admirer le grand chêne à l’ombre duquel l’aïeul entarbouchonné aux grosses moustaches blanches aimait égrener son...