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Actualités - REPORTAGE

djeddah - À Dar el-Hekma, l’élite des jeunes filles reçoit une éducation de pointe Travailler et conduire, les clés d’un début d’autonomie (photo)

DJEDDAH - De notre envoyée spéciale Scarlett HADDAD Lorsqu’on pénètre au Dar el-Hekma College qui, contrairement à ce que désigne son nom, est une université, il faut laisser derrière soi tous les stéréotypes accumulés en circulant dans la ville. À l’abri des hauts murs, l’atmosphère est détendue, gaie et pleine de mouvement. Étudiantes, enseignantes et personnel administratif, tout le monde s’active comme au sein d’une ruche. Si, parfois, en raison du personnel trop nombreux, flotte l’impression d’un certain désordre, chacun sait ce qu’il a à faire et les étudiantes sont les premières à vouloir le meilleur rendement pour être le plus rapidement possible sur le marché du travail. D’ailleurs, aussi bien la doyenne, le Dr Ibtissam Fakhani, que le PDG, M. Zouheir Fayez, sont fiers d’annoncer que les étudiantes trouvent du travail, avant même d’avoir obtenu leurs diplômes, tant le marché est en demande... (Voir «L’Orient-Le Jour» du mercredi 28 avril). C’est Loujayn (Argent) qui commence par lancer sa bombe. Menue et ravissante avec sa longue chevelure noire, elle affirme que l’Arabie n’est plus un pays riche. Il faut donc désormais que les femmes travaillent pour que les couples et les familles puissent s’en sortir. Étudiante en graphic design, elle a hâte de se lancer sur le marché de l’emploi afin de s’adonner à une activité qu’elle aime, tout en obtenant cette indépendance à laquelle la génération de sa grand-mère n’osait même pas songer. Pour elle, c’est là que doit se situer le combat des femmes, travailler et conduire leur voiture pour être autonomes, c’est la priorité, le reste lui paraissant secondaire. Cette jeune personne déterminée a ainsi donné le ton. Ses camarades, Sarah, Dina ou Khouloud, approuvent vigoureusement de la tête. Mais cela ne les empêche pas de rêver comme toutes les jeunes filles du monde à l’amour. Dans leur univers fermé, les chaînes câblées ont provoqué une sorte de révolution. Grâce au câble, le monde à portée de main Ces jeunes filles qui représentent, malgré des niveaux de vie différents, l’élite de l’Arabie (car on vient de partout dans cette université, la seule du pays à donner de nouvelles formations aux jeunes filles, les sortant des traditionnelles fonctions des femmes saoudiennes), sont aussi les déléguées de leurs sections respectives. Si elles sont fières d’avoir été élues par leurs camarades, elles ne songeraient toutefois pas à réclamer des institutions démocratiques et le droit de vote aux femmes sur un plan national. Leurs responsables non plus, soucieuses de les encadrer pour éviter un quelconque débordement. Pourtant, même pour les jeunes filles d’Arabie, le monde est devenu à portée de main. Si leur série préférée reste Friends, elles affirment ne pas vouloir vivre comme ces jeunes gens. «Nous sommes bien entre nous, disent-elles. La présence de garçons ne ferait que compliquer la situation. Et puis nous n’avons aucune crainte de ne pas nous marier. Alors nous préférons profiter de cette période.» Cela ne les empêche pas de vouloir ressembler aux filles de la télé. Les jeunes Saoudiennes connaissent tout de la mode, des soins de beauté, de l’art du maquillage, etc. Mais ce n’est pas dans les revues de femmes qu’elles trouvent ces secrets, puisqu’elles sont en général rares, sinon totalement interdites. Non, là encore c’est la télé, la première source d’informations et, à un degré moindre, l’Internet. À l’université, son usage est strictement contrôlé, pour éviter toute forme de «chat» ou de «recherche inopportune». Mais, comme le dit avec une sorte de résignation amusée Nada Mardini, responsable du programme MIS (Management Information Systems) et enseignante à l’écoute des étudiantes et du monde, «on ne peut plus vraiment interdire quoi que ce soit de nos jours». D’autant que de nombreuses jeunes filles ont des ordinateurs à la maison et peuvent alors en faire l’usage de leur choix. À Dar el-Hekma, les responsables veulent protéger les filles. Les milliers de livres de la bibliothèque sont ainsi strictement lus et censurés, si le besoin s’en fait sentir. Les tableaux de nus, les tenues extravagantes ou tout ce qui pourrait évoquer une certaine perversion est découpé, ou noirci au feutre, mutilant ainsi de précieux livres d’art. Pour la bonne cause. De même, les ouvrages politiques, généralement tous qualifiés d’«incorrects», sont interdits. Il n’est donc pas question de faire de cette université, la première en son genre en Arabie, un foyer de rébellion. En tout cas, les étudiantes elles-mêmes, ou du moins celles avec lesquelles nous nous sommes entretenues, sous l’œil vigilant mais bienveillant de leur responsable, Nudd, ne semblent pas prêtes à entreprendre la moindre révolution. La « abaya », une liberté plutôt qu’une contrainte Pour elles, la abaya n’est pas une contrainte, mais, au contraire, une liberté. «Souvent, lorsque nous sommes contraintes de faire une nuit blanche avant les examens, nous arrivons à l’université en pyjama, la “abaya” couvrant tout. Nous pouvons ainsi éviter les frais de toilette. La “abaya”, c’est pratique et cela ne nous frustre pas puisque, entre nous, nous pouvons porter des vêtements à la dernière mode. En plus d’être une protection, elle nous permet de nous attacher moins à l’apparence extérieure pour nous soucier de l’essentiel.» Les jeunes étudiantes sont très respectueuses des coutumes de l’islam. Si leurs mères subissaient quelque peu les contraintes, elles affirment agir par choix, peu convaincues des modèles occidentaux. Dina confie ainsi qu’elle a été très choquée de voir un jeune Saoudien, Mohammed Khalawi, qui avait participé à l’émission Star Academy, diffusée par la LBC, enlacer une jeune fille sans avoir avec elle le moindre lien de parenté. Dans ce cas, pourquoi suivre cette émission? Avec un sourire malicieux, Dina répond qu’elle voulait savoir qui serait le vainqueur. Comme la plupart des jeunes filles, mais en Arabie saoudite plus qu’ailleurs sans doute, les filles sont pétries de contradictions, celles d’un régime encore rigide, confronté à la plus grande modernité technologique. Elles essaient de naviguer entre deux mondes, sans les heurter, ni perdre leur identité. À cet égard, l’émission Star academy a visiblement provoqué un séisme au sein de la société saoudienne. Si les critiques ont plu dans les médias et dans la rue, il n’en demeure pas moins qu’elle a été l’une des émissions les plus regardées dans le pays. Et si certains ulémas ont condamné Mohammed Khalawi, lorsque celui-ci est rentré à Djeddah, il a été accueilli en héros et la plupart des jeunes filles souhaitent que leur futur mari lui ressemble... À la question de savoir si elles ne souhaiteraient pas aller au cinéma (les salles de cinéma sont interdites en Arabie) avec des copains, comme cela se fait dans les pays du monde entier, elles répondent: «Pas vraiment. Nous avons tous nos propres DVD, sans compter les chaînes câblées. Nous nous réunissons entre filles et nous regardons ce que nous voulons. S’il y avait des garçons, nous serions moins à l’aise. Chacune voudrait chercher à plaire et, en fait, nous nous amuserions moins.» Le mariage arrangé, la pratique la plus courante Et le mariage? Les jeunes filles y pensent incontestablement. Aucune d’elles ne pourrait concevoir sa vie en célibataire. Mais Loujayn par exemple voudrait le retarder le plus possible, afin de profiter de la vie et d’avoir le temps de se faire une situation. Mais accepteraient-elles que leurs parents choisissent pour elles, comme cela se fait en général? Ne souhaiteraient-elles pas tomber amoureuses? La question les laissent un peu pensives. Et Nudd s’empresse d’intervenir, d’un ton un peu docte. «C’est normal que nos parents choisissent pour nous. Après tout, ce sont les êtres qui nous aiment le plus au monde. Ils sauront trouver ce qu’il y a de mieux pour nous et veiller à notre sécurité matérielle. Ce que nous ne saurons faire nous-mêmes, emportées par nos sentiments.» Les filles approuvent mais ne commentent pas. Au bout d’un silence, Khouloud déclare que si «le choix des parents ne nous convient pas, nous pouvons toujours refuser. Je suis sûre que mon père ne m’obligera pas à épouser un homme qui ne me plaît pas.» Les filles sont convaincues – en tout cas elles le disent – que leurs parents ne leur imposeront pas leur choix. Mais elles savent aussi que les possibilités de rencontres avec des garçons sont limitées au cercle familial. C’est pourquoi elles doivent se résigner à ce que leurs parents choisissent pour elles. L’une d’elles pose toutefois une condition, à laquelle, précise-t-elle, elle ne renoncera jamais: «Je ne veux pas être la seconde ou la troisième épouse de mon futur mari. C’est sûr.» D’autres sont moins catégoriques sur la question. De toute façon, ces jeunes filles, âgées entre 18 et 22 ans (toutes les formations de l’université durent quatre ans), estiment avoir encore du temps avant de songer à ces choses-là. Le plus urgent pour elles est maintenant d’obtenir leur diplôme et de trouver du travail. Commencer par s’imposer sur le marché du travail Sultana a achevé ses études en Interior design l’an dernier. Et elle travaille déjà dans une compagnie saoudienne. Elle adore son job où elle côtoie d’ailleurs des hommes, bien que les filles soient installées dans une salle à part. «Mais les va-et-vient sont incessants», précise-t-elle. Épanouie, sûre d’elle, cette jeune fille débordante de charme dégage une énergie positive. Elle ne se sent nullement frustrée et accepte les contraintes imposées par une religion à laquelle elle adhère, tout en refusant l’extrémisme aveugle. «Vous vous faites des idées sur nous, dit-elle. Nous pouvons vivre dans un climat d’ouverture. Tout dépend de l’éducation familiale. Mes parents m’ont inculqué les principes de tolérance et nous voyageons souvent, notamment au Liban. Nous essayons ainsi d’avoir le meilleur des deux mondes. Mais je dois vous dire que certaines scènes vues au Liban me paraissent très choquantes. Je n’ai certainement pas envie de vivre comme cela.» Sultana confie que la seule chose qui lui manque véritablement c’est de conduire une voiture, au lieu de devoir toujours dépendre d’un chauffeur. D’ailleurs, la conduite est aujourd’hui la grande cause des femmes saoudiennes. Elles ont même formé une délégation pour plaider cette cause auprès du prince héritier Abdallah, qui reçoit une fois par mois les femmes afin d’écouter leurs doléances. Malheureusement, les membres de la délégation se seraient disputées devant lui, le poussant à reporter pour l’instant l’examen de ce dossier. D’ailleurs, le sujet provoque une polémique. Certaines femmes se demandant comment elles pourraient conduire avec la abaya et le voile, d’autres redoutant les accidents, la quête d’un parking ou les crevaisons. Quant aux hommes, ils ne voient pas tous d’un bon œil cette revendication féminine, qui pourrait selon eux en déclencher d’autres et entraîner un processus qu’ils ne souhaitent pas vraiment. Si les jeunes filles ne le disent pas clairement, leurs aînées affirment que l’élan de la modernisation est irréversible. «Il faut simplement lui donner du temps pour qu’il se fasse en douceur et ne soit pas noyé par une vague de protestation masculine», disent certaines d’entre elles. La vice-doyenne, chargée des questions académiques, le Dr Suzanne Fakhani, raconte ainsi qu’il y a deux mois, le forum économique de Djeddah s’est tenu en présence de personnalités du monde entier, dont l’ancien président américain Bill Clinton et le Premier ministre libanais Rafic Hariri. Des Saoudiennes y ont pris la parole, la tête découverte. Ce qui était une grande première en Arabie. Le Dr Suzanne Fakhani ne dit pas que cela avait suscité une vive polémique dans la presse, les médias saoudiens critiquant violemment ces femmes. Pour elle, ce qui compte, c’est que cela se soit produit. Course contre la montre Mais ni les enseignantes ni les étudiantes ne songeraient à émettre la moindre critique à l’adresse de la famille royale. D’ailleurs, le frère du roi, l’émir Abdel-Mégid, gouverneur de la région de La Mecque (qui englobe Médine et Djeddah), est le président honoraire de Dar el-Hekma, puisqu’il est celui d’el-Elm Foundation, dont émane l’université. Et aussi bien le prince héritier Abdallah que l’émir Sultan et le fils du roi, l’émir Abdel-Aziz, sont venus sur place inspecter les locaux et parfois échanger des propos avec des étudiantes, rougissantes et émues. D’ailleurs, les cérémonies de promotion se déroulent toujours en présence d’un membre de la famille royale, une femme bien sûr, l’épouse de l’émir Abdel-Mégid, Sarah, ou celle du prince héritier par exemple. (À ce sujet, il faut préciser que les pères n’assistent jamais aux fêtes de promotion de leurs filles, ni les mères à celles de leurs fils). De même, aucun homme ne peut assister à la représentation théâtrale donnée par le club nouvellement fondé au sein de l’université. Ce fut d’ailleurs une grande innovation, le théâtre n’étant pas prisé en Arabie. C’est la superbe Asma, qui rêve de faire carrière à Hollywood, qui mène la troupe. Mais là aussi, la pièce est soigneusement choisie pour ne comporter aucun élément «choquant» et aussi bien actrices que techniciennes, il n’y a que des femmes dans le magnifique auditorium de l’université. Les femmes rencontrées ne reconnaissent pas qu’il y aurait une certaine grogne populaire et que la situation générale serait tendue. Pour elles, les seuls maux viennent des Américains et de leur politique, mais elles affirment qu’aucune menace ne pèse sur leur pays. Elles s’empressent ensuite de déclarer qu’elles ne s’intéressent pas à la politique, ayant trop à faire avec l’université, leurs études, etc. Certaines rumeurs montent malgré tout de la rue, notamment sur les inégalités sociales, très prononcées entre un quartier et un autre. C’est d’ailleurs ce qui pousse le prince héritier, personnage très respecté dans le royaume, à réagir rapidement, créant des structures pour prendre en charge les plus démunis. C’est donc aujourd’hui une véritable course contre la montre entre les forces du développement et celles de la régression. Certaines malgré elles et d’autres par conviction, les femmes se retrouvent forcément dans le camp des premières. Si l’avenir n’est pas encore entre leurs mains, elles tiennent en tout cas à y avoir une place. « Global village» pour découvrir le monde Une fois par semestre à Dar el-Hekma, les étudiantes vont à la découverte du monde. Elles sont chargées de choisir un pays et de le présenter à leurs camarades, en concevant des stands décorés à ses couleurs. L’espace d’une journée entière, le hall central prend des allures de fête foraine, avec une animation aussi joyeuse que variée. Par exemple, une étudiante dont le père a travaillé en Allemagne a choisi ce pays. Son stand n’est pas seulement décoré aux couleurs du drapeau allemand, mais, avec ses camarades, elle porte les vêtements traditionnels de Bavière, organise un buffet allemand (avec des saucisses de bœuf ou de poulet) et fait une petite présentation du pays, à l’aide d’un ordinateur portable ultrasophistiqué. Même chose au stand français, à celui du Japon, où une grande place est accordée au bain, ou encore à celui du Venezuela, de Cuba ou d’ailleurs. Mais si un effort considérable est fait pour présenter les cuisines de tous ces pays, il y a peu d’explications sur leurs régimes politiques ou leurs activités littéraires et leur histoire. Trop heureuses d’avoir à rechercher elles-mêmes les informations sur Internet ou auprès des ambassades et de pouvoir se déguiser, les jeunes filles ne poussent pas plus loin leurs investigations. Elles n’y sont d’ailleurs pas vraiment encouragées. Mais cette activité leur permet en tout cas de s’intéresser au reste du monde et, comme toutes les jeunes filles, elles rêvent de le découvrir réellement. L’initiative de Dar el-Hekma est donc non seulement utile, mais louable et originale. C’est l’invitation à l’ouverture, dans les limites du possible. Les «compounds», des résidences transformées en forteresses Dès qu’on voit à Djeddah des parpaings et autres blocs de béton, ainsi que des casemates pour les vigiles, on sait qu’on se trouve devant l’entrée d’un «compound», un groupe de résidences pour étrangers. Le plus grand reste celui de la compagnie aérienne Saudi Airlines, qui héberge ses hôtesses de l’air, ses pilotes et l’ensemble de son personnel étranger dans de coquettes petites maisons Les mesures de sécurité y sont impressionnantes, surtout lorsque les étrangers qui y vivent sont des Américains. Depuis l’attentat de Ryad, l’an dernier, les autorités sont très strictes sur la question. Mais ce sont les Libanais qui en pâtissent le plus. Car, confondus avec les Occidentaux, ils doivent subir les mêmes mesures et parfois, hélas, les mêmes risques. Zouheir Fayez, un homme qui pousse les femmes à s’assumer C’est vrai qu’il n’y a pas de femmes dans son entreprise (pas encore, tient-il à préciser, car, dans son nouveau bâtiment en voie de construction, il y aura une aile pour elles), mais Zouheir Fayez est un homme convaincu de la nécessité d’aider les femmes à jouer un rôle plus actif au sein de la société saoudienne. Avec un groupe d’hommes d’affaires, il a décidé de créer Dar el-Hekma, pour répondre aussi bien aux besoins du marché qu’à ceux des femmes elles-mêmes. Ingénieur connu pour ses constructions modernes, alliant à la fois les structures arabes, la lumière naturelle si particulière de la région et les exigences de la modernité, il a voulu, avec Dar el-Hekma, permettre à ses propres filles et à celles de ses compagnons de recevoir la meilleure formation possible, tout en restant dans l’environnement familial. C’est ainsi qu’est née l’université, dotée d’une structure d’association à but non lucratif. Le président honoraire en est l’émir Abdel-Mégid, frère du roi et président de la fondation al-Elm, qui coiffe Dar el-Hekma. Avec ses compagnons, Zouheir Fayez a formé le conseil d’administration et a lancé un appel aux donations. Car construire un tel bâtiment, l’équiper et établir les programmes avec les ressources humaines indispensables à une formation exemplaire sur le modèle des universités américaines est extrêmement coûteux. Mais il était déterminé à mener son projet à terme. En 1998, Dar el-Hekma a ouvert ses portes à titre d’essai, mais c’est en 1999 qu’elle a débuté réellement. En 2003, elle a eu sa première promotion et les jeunes diplômées ont été immédiatement embauchées par des compagnies spécialisées. «Nous avons bien sûr essuyé quelques critiques, déclare M. Fayez. Mais comme nous ne sommes pas un État socialiste, les parents sont libres d’y envoyer ou non leurs filles. Par contre, ce dont nous sommes sûrs c’est que la formation donnée chez nous est jugée excellente par les sociétés qui emploient nos jeunes filles. Celles-ci trouvent même du travail avant d’avoir obtenu leurs diplômes.» Dar el-Hekma a conclu des accords avec des établissements universitaires américains afin de garder un label de qualité et de nombreuses enseignantes occidentales ont été embauchées. S’il y en a moins aujourd’hui, ce n’est pas à cause du phénomène de saoudianisation, précise M. Fayez, mais parce que les ressources humaines locales s’améliorent. Dar el-Hekma tient aussi à respecter l’exigence de qualité au niveau des inscriptions et les étudiantes sont strictement sélectionnées, pas sur le plan économique, puisque le gouvernement accorde des bourses, mais suivant leurs aptitudes. Pourquoi le conseil d’administration est-il uniquement formé d’hommes? M. Fayez sourit. «La doyenne en est aussi membre. Nous aspirons à ce qu’il soit un jour formé à moitié d’hommes et de femmes. Nous commencerons bientôt à en nommer six sur 15. Mais le processus doit attendre encore un peu. Car c’est nouveau pour les femmes d’assumer ce genre de responsabilités, mais c’est aussi nouveau pour nous de devoir traiter avec elles, à ce genre de postes». Selon lui, chaque année, la situation s’améliore. Ce qui signifie que le pari relevé était bon. Dar el-Hekma a donc voulu élargir les opportunités professionnelles offertes aux femmes. Si tout va bien, Zouheir Fayez projette de créer bientôt une section de « fashion design » et peut-être une autre de journalisme. Il ne pense pas que le dessin de mode posera des problèmes, au niveau du cursus et de la nécessité d’étudier le corps de la femme ou même de le montrer. L’Arabie a, selon lui, déjà des créateurs de mode qui dessinent des vêtements conformes aux exigences du pays. M. Fayez considère que de petites victoires sont préférables à un grand coup d’éclat. Il est convaincu qu’il faut aller lentement. Mais il a pleinement confiance dans l’avenir des femmes en Arabie. D’autant que l’un des enseignements de Dar el-Hekma vise à renforcer leur personnalité et à leur donner confiance en elles. Certes, il est conscient qu’aujourd’hui, toute la région vit au bord du gouffre, mais il pense que l’éducation est la clé du développement. C’est pourquoi son grand pari c’est de pouvoir en assurer à toute la société, garçons et filles, riches ou pauvres. Car c’est ce qui permettra à l’Arabie saoudite d’évoluer, tout en respectant les principes de l’islam.
DJEDDAH - De notre envoyée spéciale Scarlett HADDAD
Lorsqu’on pénètre au Dar el-Hekma College qui, contrairement à ce que désigne son nom, est une université, il faut laisser derrière soi tous les stéréotypes accumulés en circulant dans la ville. À l’abri des hauts murs, l’atmosphère est détendue, gaie et pleine de mouvement. Étudiantes, enseignantes et personnel...