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Actualités - OPINION

POINT DE VUE La corruption et l’éternelle vigilance

Par Hyam MALLAT Il y a quelques jours, le Pnud a organisé à Beyrouth un séminaire consacré à l’étude du phénomène de la corruption et des moyens d’y remédier. Il est juste de rappeler ici que c’est le 19 juillet 1996 que, pour la première fois au Liban, le Conseil de la Fonction publique et l’École nationale d’administration de France (Ena) organisaient un séminaire qui posait la problématique de la corruption administrative avec ses effets et ses conséquences. Depuis, la prise de conscience s’est élargie aux dimensions de la nation et ce qui était à un moment donné problème individuel est véritablement devenu problème de société. Or, les exemples tirés de l’histoire montrent bien que cette question de la corruption qui suscite actuellement, de manière permanente, l’intérêt des organismes internationaux, régionaux et nationaux n’est pas née d’aujourd’hui. Ce qui est toutefois nouveau en la matière, c’est la prise de conscience mondiale et que la corruption constitue un état de dégradation sociale, politique et administrative de nature à mettre en danger la société, la démocratie et la liberté – voire même d’être en partie ou largement responsable du dépérissement des institutions de l’État et de situations humaines désastreuses pour des populations entières dans le monde. Cette situation a paru suffisamment grave et préoccupante pour que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – qui a succédé au Gatt – considère la lutte contre la corruption comme un des objectifs prioritaires tant celle-ci fausse les jeux commerciaux normaux et pénalise les circuits de comportement. Plus encore, l’OMC a constaté que l’ampleur du phénomène de corruption en arrive à annihiler les effets des réductions tarifaires et des règles de protection de la propriété intellectuelle. Au Liban, il ne serait pas erroné d’affirmer que la corruption – avec son outil le plus manifeste : l’argent – constitue une donnée sociologique sans laquelle une grande partie de l’histoire et de la politique du pays serait peu compréhensible. Il n’est pour s’en assurer que de se référer à deux situations, l’une récente avec la guerre de 1975-1990 où l’argent a joué souvent un rôle déterminant avec les milices et leurs prises de position politiques ou militaires, l’autre plus ancien et bien caractéristique puisque dans les premières pages de l’histoire de Fakhreddine II rédigée vers 1621, l’auteur al-Khalidi, en énumérant les distributions d’argent que faisait Fakhreddine aux walis et à la Sublime Porte, a bien justifié cette composante essentielle – et malheureuse – de l’histoire du Liban. L’argent dans l’histoire et la politique libanaise pourraient bien constituer, à notre avis, un excellent sujet de thèses et de recherches sans fin. Il y a lieu toutefois de relever que la définition et les aspects de la corruption constituent un exercice difficile où souvent l’essentiel se trouve mêlé à l’accessoire – en ce sens que le citoyen a plus tendance à s’élever contre les petits pourboires en oubliant ou méconnaissant ce qui est de nature à influer sur des décisions fondamentales de la politique de l’État ou des entreprises privées. C’est pourquoi, il nous paraît utile de rappeler que cette question de la corruption a quand même attiré l’attention du législateur depuis bien longtemps, et le code pénal promulgué en 1943 en avait présenté certains aspects les plus flagrants. Plus tard, la loi du 18 février 1953 sur l’enrichissement illicite avait bien traité certaines situations de nature à être cause de corruption et de déviation du pouvoir, mais ce texte était resté lettre morte. Et la loi 154 du 27 décembre 1999 sur l’enrichissement illicite a avancé une nouvelle redéfinition de la lutte contre la corruption et de la prévention de ses effets, exigeant même une déclaration de patrimoine de tous les serviteurs de l’État. C’est dire que la corruption, sous ses deux formes active et passive, se rapporte à des situations auxquelles sont confrontés les citoyens dans leur existence quotidienne et implique des définitions qu’il nous paraît important de rappeler pour ceux qui ne le savent pas ou qui viendraient à l’oublier. a – La corruption. L’article 351 du code pénal a disposé en matière de corruption active que « tout fonctionnaire, toute personne investie d’un mandat public soit par voie d’élection, soit par voie de nomination (...) qui aura sollicité ou accepté pour lui-même ou pour un tiers, un don, une promesse ou tout autre avantage afin d’accomplir un acte légitime de sa fonction sera puni d’un emprisonnement de trois mois à trois ans et d’une amende égale au moins au double de la valeur reçue ou agréée ». L’article 352 se rapporant à la corruption passive a disposé « que toute personne précédemment citée qui aura sollicité ou reçu, pour lui-même ou pour un tiers, un don, une promesse ou tout autre avantage, soit pour faire un acte contraire à sa fonction, soit pour omettre ou retarder un acte qu’il est tenu d’accomplir, sera punie des travaux forcés à temps et d’une amende qui ne sera pas inférieure au triple de la valeur reçue ou agréée ». b – Le trafic d’influence – qui vise à profiter d’un tiers pour arriver à ses fins. Ainsi l’article 357 du code pénal a-t-il disposé que « quiconque aura reçu ou sollicité une rétribution non due ou en aura agréé la promesse, soit pour lui-même soit pour autrui, en vue de faire obtenir ou tenter de faire obtenir une fonction ou un emploi, des marchés d’entreprises ou autres bénéfices, des faveurs de l’État ou d’une administration publique, ou pour influencer d’une manière quelconque la conduite des autorités, sera puni de deux mois à deux ans d’emprionnement et d’une amende qui ne sera pas inférieure au double de la valeur reçue ou agréée ». c – La concussion. Autre forme de la corruption, la concussion qui est une extorsion de la part d’un agent public, à savoir le fait de contraindre ou d’induire une personne quelconque à payer, ou à promettre de payer, ce qu’il savait n’être pas dû pour impôts, taxes ou autres contributions. L’article 361 du code pénal a sanctionné cet état de fait par une peine d’un an d’emprisonnement et d’une amende non inférieure au double de la valeur des restitutions. Ainsi, tel que nous pouvons le constater, la législation libanaise en matière de prévention et de luttre contre la corruption s’articule sur nombre de dispositions de nature à permettre de sanctionner les atteintes à la déontologie de comportement dans tous les champs d’activité. Et pourtant si au niveau de l’analyse théorique, l’appareil légal apparaît suffisamment étoffé pour prévenir, remédier et sanctionner, une approche plus sociologique que juridique ne peut que constater également la multiplicité des causes qui font de la corruption un véritable problème de société, une question de disposition d’esprit du citoyen que les lois seules ne peuvent résoudre. Certes, et si nous tentons de préciser les causes de ce dérapage, nous pouvons indifféremment accuser ou dénoncer la crise économique, la pauvreté, la moralité douteuse de certains, le mode de recrutement et de formation des fonctionnaires, l’échelle des traitements pratiqués, la faiblesse morale de la société libanaise... Toutefois, et au-delà de ces causes qui se rapportent à la qualité morale des postulants, au Liban ou ailleurs, bien souvent c’est la qualité même de la vie qui est en cause avec une forme d’institutionnalisation de la corruption. Celle-ci pour être combattue exige toute une panoplie de moyens et d’outils mais surtout une vigueur morale du citoyen et une conviction bien ancrée en lui qu’au-delà des mots et des recommandations sans valeur, il est le véritable charpentier de la société. Si la lutte contre la corruption est véritablement un combat, alors son prix pour la société et le citoyen ne peut être que celui d’une éternelle vigilance.
Par Hyam MALLAT

Il y a quelques jours, le Pnud a organisé à Beyrouth un séminaire consacré à l’étude du phénomène de la corruption et des moyens d’y remédier. Il est juste de rappeler ici que c’est le 19 juillet 1996 que, pour la première fois au Liban, le Conseil de la Fonction publique et l’École nationale d’administration de France (Ena) organisaient un...