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Actualités - OPINION

Pronto !

Une infime minorité, à en croire le ministre Cardahi? Plus de la moitié, selon les organisateurs ? La proportion des usagers qui ont débranché jeudi leur téléphone portable pour protester contre les tarifs exorbitants pratiqués dans notre pays est, dans tous les cas, assez considérable pour constituer un événement. Une première du genre, et il y a tout lieu de s’en féliciter. Figurant au nombre de tous ces bons citoyens qui ont observé la consigne du silence hertzien lancée par l’Association des consommateurs, je n’en revendique pour autant aucun mérite étant en effet, avouons-le, un adepte assidu de la grève partielle du mobile : discipline qui, entre autres bienfaits, vous permet – avec la charitable complicité d’une secrétaire, d’un conjoint, d’une employée de maison – d’éliminer au mieux, à l’ancienne, les appels importuns. L’événement, le vrai, c’est qu’une bonne vingtaine d’associations de consommateurs, de syndicats professionnels et d’organisations non gouvernementales ont pris l’initiative d’un tel appel au boycottage, suscitant du coup un bien rare mouvement de solidarité entre Libanais de toutes confessions, de toutes convictions, de toutes conditions. Échec à l’atavique, au légendaire individualisme des Libanais, cela se célèbre, que diable ! Que d’aucuns aient sournoisement voulu donner à cette protestation muette une connotation politique est dans l’ordre des choses. La vie publique, déjà bien fruste, se résume actuellement à des passes d’armes entre partisans et adversaires d’une prorogation du mandat présidentiel : la dernière en date étant l’incroyable vadrouille de la statue des Martyrs, ramenée en puzzle jeudi, par Rafic Hariri, sur la place du même nom, et encasernée dès le lendemain par Émile Lahoud pour cause d’emménagement bâclé. Et pendant que l’on s’échine à ces enfantillages (les uns et les autres sachant très bien pourtant qu’ils finiront, le moment venu, par suivre comme un seul homme le mot d’ordre de Damas) croupissent dans les tiroirs tous les dossiers qui, pour le peuple, dépassent en gravité les incompatibles ambitions de Lahoud et Hariri ou les hauts et les bas de leur carrière politique : c’est-à-dire le marasme économique, le coût de la vie, l’exode des jeunes et tous ces services pourtant élémentaires, facturés au prix fort, et que persiste à nous dénier un État aussi dispendieux que fainéant. Une protestation faussement innocente à motivation politique, le boycottage du mobile ? Cela se pourrait bien, mais pas dans le sens que l’entendent les sceptiques. Car dans un pays arraisonné où lois électorales scélérates, interdiction de manifester et omniprésence des services de l’ombre se conjuguent pour court-circuiter la volonté populaire, la révolte socio-économique revêt inévitablement, aussi, un caractère politique. Tout se tient, en définitive : la soif générale de changement est loin de se limiter au périmètre du palais présidentiel de Baabda où l’on en est à nous faire miroiter, pour la période s’étalant jusqu’en 2010, toutes les magnifiques réalisations qui n’ont pu être accomplies durant les six dernières années. Elle ne s’arrête pas non plus, cette soif de changement, à la composition des futurs gouvernements et Parlements. Ce qui doit changer en priorité, c’est la mentalité d’un pouvoir installé par souveraine décision du tuteur syrien et qui, sûr de son fait, ne se sent guère tenu de rendre compte de sa gestion aux premiers concernés, les Libanais. De tels comptes on nous les doit bel et bien pourtant, et les responsables devraient s’estimer heureux qu’il ne s’agisse encore pour l’instant que de téléphonie mobile. Le sang nouveau que réclame le peuple, il faut qu’il aille bouillonner de la tête aux orteils de l’homme malade, jusque dans les moindres vaisseaux capillaires d’une Administration gangrenée, corrompue, d’une force publique souvent détournée de sa mission naturelle, d’une justice sélective et funestement sensible aux injonctions officielles. À défaut, et les responsables doivent en prendre conscience, le ras-le-bol risquerait de tourner un jour à la désobéissance civile. Jusqu’à quand en effet les citoyens ployant sous les charges supporteront-ils le racket des fonctionnaires véreux dont il faut graisser la patte, même pour les plus légales, les plus banales des formalités ? Jusqu’à quand leur faudra-t-il prévoir deux budgets parallèles pour l’électricité, les générateurs de quartier venant combler les défaillances de l’EDL ? Ou deux budgets pour l’eau qui ne coule pas des robinets, et qu’il faut faire livrer en bonbonnes à domicile ? Tout se tient, une fois de plus : quand les gouvernants sont irresponsables, tout le reste est nécessairement à l’avenant, malgré une publicité si primaire qu’elle ne risque même pas d’être trompeuse. Vous avez sans doute sursauté, il y a quelques jours, au spectacle de la dernière et surréaliste trouvaille d’un ministère de l’Intérieur particulièrement soucieux d’autopromotion médiatique : on y voyait de fringants agents des FSI souriants, courtois, respirant l’efficacité, qui recommandaient par brochures aux automobilistes de respecter gentiment le code de la route. Vous avez bien lu, un code de la route qui demeure inexistant quinze ans après la fin de la guerre et dont la flicaille elle-même ignore tout, de la limite de vitesse à la navigation en zigzag et sans clignotants, en passant par ces motos inexplicablement exemptées de feu rouge et de sens interdit qui se jettent pratiquement sous vos roues. Bonsoir pour l’efficacité. Quant à la courtoisie, les dirigeants, tous les dirigeants, ne devraient-ils pas commencer par cesser de se moquer du monde ? Dès lors, souhaitons une fois de plus que la petite révolution du mobile, qui a séduit à leur tour les consommateurs italiens, fasse tache d’huile. Et pas seulement d’olives de Sicile. Issa GORAIEB
Une infime minorité, à en croire le ministre Cardahi? Plus de la moitié, selon les organisateurs ? La proportion des usagers qui ont débranché jeudi leur téléphone portable pour protester contre les tarifs exorbitants pratiqués dans notre pays est, dans tous les cas, assez considérable pour constituer un événement. Une première du genre, et il y a tout lieu de s’en...