Rechercher
Rechercher

Actualités - interview

Échéance Présidentielle Pour Nassib Lahoud, le chef de l’État devrait redonner au Liban des repères nationaux et moraux (photo)

Nassib Lahoud a le profil d’un bâtisseur. Ce n’est donc pas une coïncidence que d’entendre le verbe « bâtir » revenir comme un leitmotiv dans ses propos. Et ce n’est pas non plus un hasard si sa perception de la présidence de la République s’inscrit également dans ce cadre. Pour M. Lahoud, en effet, le nouveau président aura à assumer une fonction réelle, concrète, de bâtisseur d’institutions. Ce rôle sera d’inspirer des réformes radicales, réformes dont dépend l’avenir du pays : sur le plan politique, notamment au niveau des relations libano-syriennes et de la gestion du pouvoir local, mais aussi sur le plan économique et financier, ainsi qu’au niveau de l’administration. Mais, beaucoup plus important, le nouveau locataire de Baabda aura une fonction symbolique, une véritable mission éthique à remplir : redonner des repères aux Libanais, désorientés par une interminable mauvaise gestion de la sphère publique, et surtout s’imposer comme l’esprit même d’une symbiose entre éthique et politique, comme un symbole d’intégrité et de lutte contre la culture de la corruption. Né en 1944 à Baabdate, M. Lahoud a suivi des études de génie à l’Université de Loughborough en Angleterre, où il obtient son diplôme d’ingénieur électrique. Fondateur en 1972 de la Lahoud Engineering Compagny, une entreprise de construction industrielle, il sera ambassadeur du Liban aux États-Unis entre 1990 et 1991. Député du Metn depuis 1991, il fonde en avril 2001 un mouvement formé de personnalités chrétiennes et musulmanes, le Renouveau démocratique (RD), qu’il préside actuellement. Il est également membre fondateur du Rassemblement de Kornet Chehwane. Impeccable. S’il fallait choisir un qualificatif pour désigner l’impression que donne Nassib Lahoud de lui-même, ce serait celui-là. L’homme ne se permet aucun faux pas, aucun accroc. Il se doit d’être tout simplement aussi proche de la perfection que possible. Et c’est avec cette même exigence qu’il conceptualise et aborde tout ce qui est relatif à l’espace public. Michel HAJJI GEORGIOU Réconcilier éthique et politique dans un pays moderne Quelles devraient être, pour Nassib Lahoud, les caractéristiques du nouveau président de la République ? « Il faut comprendre le rôle du président de la République selon la Constitution. Le président est le garant de l’unité du pays, du bon fonctionnement des institutions, et de l’équilibre entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire », explique M. Lahoud. « Dans ce contexte, souligne le député du Metn, le président libanais devrait beaucoup plus s’orienter vers un rôle d’arbitre qui veillerait au bon fonctionnement des institutions. Il devrait être également l’inspirateur d’un grand projet de réformes qu’il faudra initier. Il faut aussi que, dans son parcours et dans sa vision de l’avenir, il exprime symboliquement le fait que la corruption n’a plus de place dans la construction du Liban. L’intégrité du nouveau président devrait pouvoir permettre des élections libres ainsi que la protection des libertés collectives et individuelles. Elle devrait permettre de garantir le bon fonctionnement des institutions et des processus de privatisation dans la transparence. Le président devrait enfin faire en sorte qu’il n’y ait plus de place pour les conflits d’intérêts au sein de l’État libanais », affirme-t-il. Pensez-vous que le nouveau président devrait rendre certains repères aux Libanais, après plusieurs années d’une gestion politique défaillante ? « Il devrait certainement redonner des repères nationaux et moraux. Éthique et politique devraient être parfaitement conciliables dans le Liban moderne que nous désirons tous construire », estime-t-il. Si vous vous portez candidat et que vous êtes élu président, quelle sera la priorité absolue ? « Laissez-moi vous dire d’abord que je n’ai aucune intention d’être président ou de me porter candidat à la présidence. Et j’ai déjà fixé les repères qui m’aideront à prendre une décision dans ce sens », indique Nassib Lahoud. « Le nouveau président devrait pouvoir mettre en place un processus de réformes et rétablir la confiance entre l’État et les citoyens, déclare-t-il. Pour que cela soit possible, il faut que les Libanais puissent jouer un rôle important dans le choix de leur président. Le chef de l’État doit être complètement acquis aux besoins de réformes et de modernité, et qu’il ait l’appui des forces politiques du pays. Sans l’appui de ces forces – celles qui reflètent vraiment l’opinion publique du pays –, aucun président ne peut mener à bien un projet de réformes. Un tel projet au Liban n’est pas tributaire du seul président, mais aussi du support des forces vives du pays, qui se traduit par la coopération des forces politiques à l’intérieur et à l’extérieur du Parlement », ajoute-t-il. Les réformes politiques sont-elles la voie pour aboutir à des réformes économiques ? « En 2002, lors de la discussion du budget, nous avons présenté, au nom du RD, un projet de réformes bâti sur quatre points : – réforme politique, dossier incluant la loi électorale, le pouvoir judiciaire, les relations libano-syriennes, etc. ; – réforme administrative, dossier incluant le rôle de l’État dans la vie de la nation, les relations entre le secteur privé et le secteur public, la corruption, etc.; – réformes économiques et fiscales, c’est-à-dire le processus de privatisation, un système fiscal efficace, juste, qui encouragerait les secteurs productifs et qui offrirait de vraies opportunités à la jeunesse du pays ; – restructuration de la dette ; plus les réformes que j’ai citées plus haut seront réussies, plus la restructuration de la dette sera avantageuse pour le Liban, et plus les taux d’intérêt que le Liban doit payer seront bas. Cela est le programme du RD, et c’est sur ces bases que nous menons notre combat depuis plusieurs années », affirme le député du Metn. Rester loin des obsessions et des slogans L’équilibre qui devrait prévaloir entre les Libanais, en vertu de la formule du Pacte, existe-t-il réellement à l’heure actuelle ? Ou bien un dialogue et une réconciliation sont-ils nécessaires pour assurer un rééquilibrage au sein du tissu social libanais ? « La réconciliation nationale passe nécessairement par des initiatives pour clôre le dossier de la guerre, par la fin des “exclusives”, et la fin de la classification des Libanais entre “nationaux” et “non nationaux”. Une loi électorale saine et une gestion impartiale des élections législatives devraient pouvoir engendrer une Assemblée nationale qui serait l’endroit privilégié du dialogue national. Il est essentiel que nous œuvrions à l’heure actuelle en faveur d’une loi électorale qui soit aussi inclusive que possible. Il est dans l’intérêt de la stabilité du pays que toutes les forces politiques soient représentées au Parlement, et il est important que nulle force ne soit surreprésentée ou sous-représentée », indique-t-il. La réconciliation nationale inclut-elle aussi une réévaluation de la position du pouvoir à l’égard de certaines figures politiques, comme Michel Aoun ou Samir Geagea, à titre d’exemple ? « Cela va sans dire. Il faut mettre fin aux exceptions dans la loi d’amnistie générale. Il faut que MM. Geagea et Aoun et toutes les autres forces libanaises puissent jouer leur rôle naturel dans la vie politique », souligne M. Lahoud. Quelle est, s’il en existe une, l’« obsession » qui anime Nassib Lahoud, le point qu’il est déterminé à modifier s’il est élu président de la République ? La réponse à cette question est représentative de tout ce qu’est M. Lahoud : posé, rationnel, calme, prudent et clair. Une profession de foi en soi, par laquelle il conclut cet aspect de l’entretien : « Je ne crois vraiment pas qu’un mandat présidentiel devrait évoluer à l’ombre d’un slogan ou d’une obsession. Un mandat présidentiel devrait avoir des soucis multilatéraux qui vont du bon fonctionnement de la démocratie à la protection des libertés, à la bonne marche de la justice. Mais aussi d’autres soucis, notamment le pari des jeunes sur le Liban et le retour des capitaux expatriés. Il faut qu’on puisse donner confiance aux Libanais pour qu’ils parient gros sur leur pays. Seul ce pari des jeunes est capable de mettre le Liban sur le chemin de la croissance et de la modernité. » Des relations libano-syriennes saines et tournées vers l’avenir C’est à la fois en sa qualité de membre de Kornet Chehwane et de député que Nassib Lahoud a soulevé, à diverses reprises, la question du rééquilibrage des relations libano- syriennes. Qu’est-ce qui pourrait être fait, selon lui, pour améliorer ces relations à l’heure actuelle? « Les relations libano-syriennes ont été historiquement difficiles, et ce depuis l’époque du Mandat français, estime M. Lahoud. Elles se sont compliquées durant la guerre libanaise. La Syrie a joué et continue de jouer un rôle important dans la gestion des affaires libanaises au quotidien depuis la fin de la guerre. Or, ceci est contesté par un certain nombre de Libanais, dont je fais partie. Ces derniers prônent un rééquilibrage des relations libano-syriennes visant à redonner aux Libanais le rôle prépondérant dans la gestion de leurs affaires et à rétablir la souveraineté du pays, tout en essayant de forger un partenariat stratégique entre le Liban et la Syrie. Il n’y a pas de contradiction entre le désir profond des Libanais d’être souverains et une vision des relations bilatérales allant vers un partenariat véritable tourné vers l’avenir. » Pour Nassib Lahoud, « les relations économiques ambiguës qui existent entre les deux pays aujourd’hui devraient laisser la place à une coopération profonde entre deux économies qui sont capables d’être complémentaires ». « La composante de complémentarité entre les deux économies pourrait être plus importante que la composante concurrentielle. Et c’est sur cela qu’il faudrait bâtir une coopération économique véritable, transparente, fondée sur des intérêts communs et sur la complémentarité des ressources des deux pays », dit-il. Mais il est clair pour le député du Metn que « ceci ne peut se faire que dans le cadre d’un Liban maître de sa destinée, qui entrerait volontairement dans un contexte de coopération et de complémentarité avec la Syrie. Le Liban et la Syrie peuvent profiter de la diversité de leurs ressources pour bâtir des économies modernes, compétitives. Du côté syrien, on pourra tirer profit des larges ressources humaines libanaises, du système bancaire ultrasophistiqué et des possibilités créatives des Libanais. Côté syrien, on pourra mettre à profit la large superficie de la Syrie, ses ressources naturelles et sa main-d’œuvre, quand elle n’est pas en concurrence directe avec la main-d’œuvre libanaise. C’est dans cette optique qu’il faut concevoir les relations libano-syriennes, loin des tensions et des frustrations », explique-t-il. Des relations souffrant d’ambiguïté Qu’est-ce qui a empêché l’établissement de telles relations, près de quinze après la fin de la guerre, et quel serait le déclic qui pourrait changer les choses ? « Les relations libano-syriennes ont souffert durant une décennie d’une ambiguïté, d’une suspicion, tantôt fondée et tantôt infondée, indique M. Lahoud. Aujourd’hui, le changement dans les relations bilatérales est tributaire d’une volonté commune de transposer ces relations dans un contexte de respect mutuel et de modernité. Les exemples de coopération régionale entre pays voisins sont nombreux. Transposer ces relations dans ce contexte est possible et nécessaire pour le développement des deux pays. Le Liban a besoin de respirer à nouveau, la Syrie a besoin de modernité et de réformes. Les deux pays peuvent s’engager sur ce chemin dans le respect mutuel. Et il est grand temps de le faire. » Y a-t-il eu une volonté déterminée d’empêcher l’émergence de telles relations, voire même de faire avorter un éventuel rééquilibrage ? « Je pense que les Syriens n’ont pas encouragé le genre de relations que je prône, répond-il. La Syrie traite le Liban avec suspicion, et, à mon avis, cette suspicion n’a plus de raison d’être. Les Libanais sont aussi attachés à leur souveraineté et à leur indépendance qu’à des relations saines et étroites avec la Syrie », précise-t-il. Le pouvoir libanais assume-t-il une responsabilité dans l’absence de normalisation de ces relations ? « Absolument, affirme M. Lahoud. Une grande partie du pouvoir libanais est tributaire de la Syrie. Et, pour ces raisons, cette partie n’a pas voulu engager un dialogue franc et approfondi sur les relations bilatérales. Il est temps que ce dialogue commence et soit conduit par des Libanais soucieux du rétablissement de la souveraineté du pays, soucieux de faire aboutir un projet de réforme au Liban et de mettre en place un climat de confiance entre le Liban et la Syrie ». Pas de mot d’ordre qui vaille La prorogation du mandat actuel ou sa reconduction pourrait-t-elle conduire ou servir à la normalisation des relations dans le sens que vous prônez ? « Non. La reconduction du mandat du président Lahoud conduirait le pays à rester dans l’état de stagnation dans lequel il baigne, souligne M. Lahoud. Le pays a besoin d’un président engagé dans le processus de réformes, inquiet de faire aboutir un projet de réformes politiques, économiques et sociaux, et soucieux d’un rééquilibrage des relations libano-syriennes. Seule l’élection d’un président réformateur pourrait engager le Liban sur la voie d’un vrai changement. » Au cas où le « mot d’ordre » est donné en faveur de la prorogation ou de la reconduction du mandat, vous opposeriez-vous, en tant que député à la Chambre, à un amendement constitutionnel dans ce sens ? « Absolument. En 1995, j’ai voté contre l’amendement constitutionnel malgré le “mot d’ordre”. En 1998, j’ai voté contre l’amendement constitutionnel malgré le “mot d’ordre”. Pour moi, la question du “mot d’ordre” ne se pose pas. Je pense que les treize années que j’ai passées au Parlement témoignent que je n’y ai voté que selon mes convictions », conclut-il.
Nassib Lahoud a le profil d’un bâtisseur. Ce n’est donc pas une coïncidence que d’entendre le verbe « bâtir » revenir comme un leitmotiv dans ses propos. Et ce n’est pas non plus un hasard si sa perception de la présidence de la République s’inscrit également dans ce cadre.
Pour M. Lahoud, en effet, le nouveau président aura à assumer une fonction réelle,...