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EN DENTS DE SCIE Qui veut gagner des millions ?

Vingt-huitième semaine de 2004. C’est l’œcuménisme des grands jours. Celui qui ne se pratique qu’en temps de crise – peut-être même un peu avant, lorsque les parfums et les bruits présageant des tempêtes à venir commencent à se multiplier. Et s’ils s’étaient concertés, l’Église maronite, le Hezbollah et l’Ordre des avocats n’auraient pas mieux fait qu’au cours des sept jours qui viennent de s’écouler. Les évêques maronites réunis sous la présidence du patriarche Sfeir – dont l’idée, la position et la vision ont d’ailleurs rarement été aussi claires, n’en déplaise aux petites âmes – n’ont pas mâché leurs mots : si la corruption qui fait fureur au sein des gens du pouvoir persiste, elle entraînera « la dislocation sans retour et la disparition » du Liban. Quelque vingt-quatre heures plus tôt, le très « up to date » secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a donné la priorité absolue à la lutte contre la corruption, partant en guerre contre les fonctionnaires « prêts à tuer, à détruire des régions entières, à trahir leur pays pour de l’argent ». Enfin, le timide Sélim Osta s’est décidé – mieux vaut tard que jamais – à rassurer un tant soit peu les Libanais qui voyaient en son ancien rival, Ramzi Joreige, le bâtonnier de Beyrouth idéal. En tirant à boulets rouges, certes sans les nommer, sur « les politiciens véreux qui font pression sur la justice par mille et un moyens », et en dénonçant sans ambages une « vague de criminalité préméditée d’une intensité jamais atteinte auparavant » qui touche cette même justice. Vingt-huitième semaine de 2004. La corruption serait née avec le Liban, diront certains, preuves à l’appui ; elle aurait atteint son cycle optimal de productivité et de croissance grâce au système mis en place après Taëf et qui « a enferré le pays dans un cercle vicieux », a asséné Nassib Lahoud. Reste à savoir qui a eu la bonne idée de remettre, à quelques mois de la fin du mandat actuel, cette corruption et ses scandales poussant comme autant de champignons génétiquement modifiés au centre de tous les débats. Qui a eu intérêt à jouer à ce jeu cruel, comme un apprenti-sorcier à qui tout échappe désormais ? Qui entendait prouver aux yeux du monde l’immaculée blancheur de ses mains et s’est retrouvé, bon gré mal gré, prisonnier, englué dans une toile d’araignée qu’il avait patiemment tissée ? Vingt-huitième semaine de 2004. Bkerké encore. Qui a eu l’imparable et salutaire réflexe de profiter, avec un sens inouï de l’à-propos politique, de ce cadeau venu des cieux. En réagissant à cet exhibitionnisme organisé des faits et autres méfaits de la corruption made in Lebanon, les évêques maronites ont fait d’une pierre deux magnifiques coups. Ils ont trouvé la solution, la cartouche de rechange, ce fameux « badil » qui manque atrocement au neuf dixième des hommes politiques libanais, jamais en mal de bavassage, toujours en manque de propositions. Tout en définissant sans aucune ambiguïté le profil, entre autres, du prochain locataire de Baabda. Ainsi faudra-t-il, pour en finir avec la gangrène de la corruption, non pas une amputation, mais presque ; ainsi faudra-t-il, toujours selon leur communiqué, que « des personnes d’une haute moralité, d’une transparence, d’un désintéressement et d’une loyauté absolue à la cause nationale, parviennent au pouvoir ». En d’autres termes : le Liban a besoin d’un homme capable de purifier le rapport, aujourd’hui on ne peut plus perverti et souillé, du citoyen à l’État. Et si le Libanais est devenu, selon Nassib Lahoud, un « client », c’est parce que toutes les institutions étatiques, toutes les administrations sont devenues aujourd’hui des prestataires de services au sens le plus mercantile du terme. Un client, finalement, n’est véritablement client que lorsqu’il a en face de lui un vendeur. Un commerçant. Vingt-huitième semaine de 2004. Si l’œcuménisme reste de mise dans cinq jours – le jeudi 15 juillet –, si la solidarité entre Libanais grugés, volés, trompés par leur Exécutif est ce qu’elle est censée être, le Trésor perdra 2 millions de dollars (combien pour les deux sociétés gestionnaires ?). Les tarifs de la téléphonie mobile au Liban étant les plus chers au monde et le gouvernement refusant de les revoir à la baisse, tous les Libanais sont invités à boycotter jeudi prochain, et 24 heures durant, les deux réseaux. Heureuse initiative, que même les députés entendent appuyer. Reste à savoir s’ils seront aussi solidaires le jour où les Libanais décideront le boycottage, à durée illimitée, de la quasi-majorité de leurs responsables politiques. Pour que soient revus à la baisse les critères de sélection nationale : incompétence, corruption et capacité à voler des millions. Ziyad MAKHOUL
Vingt-huitième semaine de 2004.
C’est l’œcuménisme des grands jours. Celui qui ne se pratique qu’en temps de crise – peut-être même un peu avant, lorsque les parfums et les bruits présageant des tempêtes à venir commencent à se multiplier. Et s’ils s’étaient concertés, l’Église maronite, le Hezbollah et l’Ordre des avocats n’auraient pas mieux fait...