Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Parallèles La terre et la politique, un morcellement identique

« Deux parallèles s’aimaient d’amour tendre… Hélas ! » (Valéry) – Latifundium. Un de ces mots anciens, et même antiques, que Pivot aimerait sauver. Grand domaine agricole privé. Aux méthodes d’exploitation plutôt archaïques. Des latifundistes, l’on en trouve, dans les plaines, de pleines familles. Au Akkar, dans la Békaa, au Sud, comme dans le jurd. Ils ont leur code d’honneur bien à eux. Qui procède, en général, d’un attachement viscéral au legs précieux de la terre. D’où une tradition élastique, mais que l’on rencontre plus fréquemment qu’ailleurs : la culture du fils unique. Autant que faire se peut, au risque d’une extinction de la lignée. Si, pour la prévenir, on prévoit d’autres garçons, on se saignera aux quatre veines pour qu’ils fassent de bonnes études. Les menant, loin du pré, vers les professions libérales. Pour laisser le champ libre, c’est le mot, à l’aîné ou au puîné, c’est selon, destiné à entretenir le patrimoine. Quant aux filles, on leur donnera comme dot de l’argent, des bijoux, des tapis. Quand on ne le peut vraiment pas, et qu’elles s’entêtent à vouloir se marier, elles ont quand même leur part de terres. Mais cette cession arrache-cœur à d’autres familles est si peu prisée que dans l’ancienne loi de succession, les filles n’héritaient que la moitié des garçons. Contrairement à une idée reçue, les gros propriétaires terriens ne sont pas tous riches. La majorité d’entre eux s’en tire à peine et tire même le diable par la queue. Il faut partager avec les métayers ou avec les paysans. Qui fournissent le travail mais pas les semis, ni les engrais et encore moins l’eau d’irrigation, si chère parfois, ou les équipements. Bref, toute l’année, les propriétaires terriens scrutent le ciel dans la crainte d’une mauvaise saison de sécheresse. Ils empruntent, hypothèquent, déshypothèquent. Ou vendent des bricoles. En cherchant désespérément à ne pas ébrécher sérieusement la superficie, gage par elle-même de relative rentabilité. Car seuls de vastes espaces agricoles sont bonifiables. Parfois, souvent, ce souci de productivité se trouve à l’origine d’une formule économique de substitut : les coopératives. Dont l’émergence même constitue un indicateur statistique de l’effritement, de l’érosion, du système latifundiaire. Au fil des décennies, la grande propriété rétrécit donc, forcément, comme une peau de chagrin. Relais – D’autant que, détail non négligeable, dans plusieurs régions, des notables qui ont des vues politiques acquièrent un peu de terroir. Juste pour avoir prise, à travers la glèbe, sur la plèbe. Pour s’enraciner quelque part. Pour disposer d’une assise populaire bien à eux. En somme, la propriété terrienne donne parfois accès à la politique. Et vice versa. – Le hic, c’est qu’en politique aussi, le morcellement, la dispersion des quotas d’influence commencent à peser assez lourd. Pour les familles qui baignent à jamais dans cette passion. Dans cet apostolat de la tradition, dans cet hommage indirect aux ancêtres. Des familles qui vivent parmi les gens, pour les gens et gardent maison ouverte. La concurrence est rude, sur plusieurs fronts. Les dynasties font face, en effet, à une multitude de partis ou de mouvements, qui sont l’équivalent des coopératives en agriculture. Mais le pire, c’est qu’elles souffrent souvent de contradictions internes. Si l’on a un fils unique, son cousin et le cousin de son cousin se dresseront volontiers contre lui. Pour tenter de lui arracher la couronne, l’étendard patrimonial. Et si l’on fait des frères, pour rendre la dynastie plus résistante et plus forte, ils ne s’entendront pas toujours. Cf. les fils de Charlemagne. L’empire, à la génération suivante, est fatalement partagé. Surtout quand il y a eu des guerres, porteuses d’un riche limon de nouveaux seigneurs. – Plus ou moins lent, plus ou moins évident, un mouvement de rotation déroule donc sa spirale caramélisée sur la scène de notre kermesse. Ou de notre théâtre des ombres. Un changement à peine perceptible à vue d’œil, mais certain. Et qui n’a rien à voir avec une quelconque alternance démocratique. Celui qui s’efface du premier rang pour gagner le second garde néanmoins un zeste d’influence. Ou de capacité éventuelle d’opposition, sinon de nuisance. Les exemples de cette perpétuation écornée, que l’on peut faire remonter à la nuit des temps, sont aussi innombrables que peu significatifs, en définitive. Car, à la longue, l’atomisation de la galette politique par la multiplication des convives finira par la faire disparaître. Et les Libanais pourront enfin goûter à cette piètre consolation : n’ayant plus rien à offrir, on ne pourra plus rien leur prendre. Jean ISSA
« Deux parallèles s’aimaient d’amour tendre… Hélas ! » (Valéry)

– Latifundium. Un de ces mots anciens, et même antiques, que Pivot aimerait sauver. Grand domaine agricole privé. Aux méthodes d’exploitation plutôt archaïques.
Des latifundistes, l’on en trouve, dans les plaines, de pleines familles. Au Akkar, dans la Békaa, au Sud, comme dans le jurd. Ils ont...