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Actualités - interview

ÉCHÉANCE PRÉSIDENTIELLE - De la « solution zahliote » à la stature nationale Khalil Hraoui veut combler le fossé entre l’État et les citoyens

Comme tous les maronites dont les noms circulent en tant que futurs présidents potentiels, le ministre d’État, Khalil Hraoui, ne se déclare pas candidat. Mais il n’en estime pas moins qu’il pourrait avoir des chances sérieuses, dans un contexte bien particulier, ayant établi des relations stables et suivies avec les dirigeants syriens, loin de tout « show-off » et de toute considération personnelle. Mais il ne se considère pas pour autant en campagne, estimant que celle-ci pourrait être menée deux mois avant l’échéance, auprès des députés et des différents pôles influents si ses chances se précisent. Son programme est toutefois clair : moderniser l’État, à travers l’établissement d’une nouvelle relation entre lui et la population, et lancer un partenariat entre l’État et les secteurs économiques pour l’adoption d’un projet de réforme fiscale, qu’il avait d’ailleurs déjà mis au point dans le cadre de la commission parlementaire des Finances, qu’il a présidée pendant cinq ans. Depuis l’âge de seize ans, lorsque son père, le député Georges Hraoui (plusieurs fois ministre et premier Libanais à avoir été président de la FAO en 1964), est décédé, le jeune Khalil a su qu’il était destiné à faire de la politique. Fils unique, avec trois sœurs, c’est sur ses épaules que reposait le poids de l’héritage familial. Comme il était très jeune, c’est son oncle Élias, élu plus tard président de la République, qui a pris la relève, en attendant que Khalil achève ses études. Tout naturellement il s’est dirigé vers le droit, pour la formation, non pour l’exercice du métier d’avocat. Et alors qu’il comptait décrocher un diplôme en relations internationales à Londres, la guerre l’a surpris et a modifié son parcours. Le jeune Khalil est rentré à Zahlé, préférant rester près des siens pendant les longues années d’épreuve. Avec un groupe de notables, il a d’ailleurs créé un comité parrainé par les évêques de la ville pour que Zahlé puisse se démarquer des partis qui tenaient à l’époque la rue chrétienne et rester en harmonie avec son environnement. Car, en 1984, Zahlé avait été bombardée par les « Forces nationales » et était isolée du reste de la Békaa. Ce comité est donc arrivé sur la scène zahliote et, avec l’aide de la Syrie, a réussi à faire adopter ce qui fut appelé « la solution zahliote », qui permettait à la ville de retrouver sa place dans le mohafazat. En parallèle, le comité a formé un conseil de développement de la ville qui a pris la relève d’une municipalité totalement paralysée. Pendant toutes ces années, Khalil Hraoui a concentré ses efforts sur la scène békaïote, nouant toutefois, grâce au comité, de solides relations avec les autorités syriennes et avec les autres formations présentes dans la région « La solution zahliote » a d’ailleurs été étendue plus tard à Tripoli et à Beyrouth. La carrière politique, un devoir avant tout En 1989, son oncle Élias, élu à la présidence de la République, lui confie quelques missions ponctuelles auprès des Syriens et des Américains, dont l’ambassade à Damas était alors en charge du dossier libanais. Des postes administratifs lui ont été alors proposés, mais Khalil Hraoui a refusé, se sentant obligé de reprendre l’héritage paternel sur le plan de la carrière politique. En 1992, c’est donc tout naturellement qu’il se présente aux législatives, même si le fils du président Élias Hraoui, Roy (qui avait été nommé député en 1991), avait aussi présenté sa candidature. Les deux cousins entrent en conflit, et c’est Khalil Hraoui qui est élu. Il devient aussi président de la commission parlementaire des Finances, sans jamais utiliser cette fonction contre son oncle. Il y reste un an, avant de céder sa place à son collègue Samir Azar, tout en restant membre de cette commission qu’il présidera de nouveau de 1996 à 2000. Mais il a dû attendre le mandat d’Émile Lahoud pour être nommé ministre, d’abord à la Défense, puis ministre d’État au sein de l’équipe actuelle. Il participe ainsi aux débats et aux votes, mais n’a pas de fonction particulière. Ce qui lui laisse le loisir de réfléchir aux grandes orientations du pays. Avec la Syrie, priorité aux institutions et aux textes Au sujet des relations avec la Syrie, Khalil Hraoui est convaincu que si elles comportent des failles, ainsi d’ailleurs que le reconnaît le président syrien lui-même, c’est parce qu’elles se sont écartées des textes officiels et des institutions pour devenir personnalisées. « À mon avis, les relations doivent se développer dans le cadre des textes et des institutions communes aux deux pays. Certes, les affinités personnelles sont importantes, mais elles doivent être mises au service des institutions et ne doivent pas constituer l’élément essentiel des liens entre les deux pays. » Conscient qu’une grande partie de la rue chrétienne remet en question le rôle de la Syrie au Liban, M. Hraoui estime que lui et ses alliés, chrétiens notamment, dans les rangs dits nationalistes, n’ont pas su expliquer leur position aux citoyens. « Toutes les équipes, élues depuis 1992, sont convaincues de l’importance du rôle de la Syrie au Liban, mais nul n’a su l’expliquer aux Libanais. Ajoutons à cela les manœuvres des divers responsables qui ont cherché à s’approprier les bienfaits du rôle de la Syrie, tout en voulant avoir l’exclusivité de la relation. Les Syriens sont aussi responsables de cet état de choses puisqu’ils ont choisi le mauvais véhicule pour faire circuler leurs idées et leurs objectifs. Ils auraient pu ouvrir des canaux avec des forces différentes, sans pour autant établir un dialogue avec le courant aouniste. » S’il était élu président, Khalil Hraoui compte bien engager un dialogue avec toutes les parties, sans a priori, dans le but de convaincre …ou d’être convaincu. Il confie d’ailleurs avoir déjà tenté l’expérience avec un groupe de jeunes au cours d’un débat à l’université NDU. Les jeunes faisaient partie de l’opposition et un débat très constructif s’était établi avec M. Hraoui, alors ministre de la Défense. Il les a d’ailleurs conviés à le poursuivre dans son bureau, au ministère de la Défense et les jeunes sont venus. Au bout de plusieurs séances, il a senti que certains d’entre eux avaient modifié leur position, devenant plus sensibles à ses arguments. « Le problème, c’est que les gens ne se parlent pas. Chacun expose ses opinions, mais il n’y a pas de dialogue véritable. Je pense que si j’étais élu président, j’aurais deux missions principales : combler le fossé entre les citoyens et l’État d’une part et combler le fossé entre une grande partie des chrétiens et les choix stratégiques du pays. Je suis prêt à en discuter avec tous les courants présents sur la scène libanaise, y compris les aounistes. Même si je pense que les décisions au sein de ce courant sont motivées par des considérations politiques. Quant à la base, elle est formée de jeunes enthousiastes, avec lesquels on doit pouvoir discuter ». Avec Sfeir, d’excellentes relations depuis 2000 Khalil Hraoui n’a pas encore pensé à une équipe pour l’épauler en tant que président, mais il affirme ne pas avoir d’animosité personnelle à l’égard de quiconque. « Si l’on dépasse les considérations personnelles et si l’on met en avant les principes, il est plus facile de traiter avec tout le monde. De plus, j’ai actuellement une équipe de conseillers et je les écoute ». Il n’a pas de conflit personnel avec M. Rafic Hariri, « mais nos relations sont limitées. Après tout, je ne suis qu’un ministre d’État. Avant que le conflit entre le président Lahoud et M. Hariri ne prenne cette tournure grave, j’essayais régulièrement d’arrondir les angles». Avec le patriarche maronite, le cardinal Nasrallah Sfeir, M. Hraoui affirme que la relation s’est nettement améliorée à partir de l’an 2000. « Désormais, nous avons beaucoup de points communs dans la vision de l’avenir de la région et des chrétiens en particulier. Le patriarche est, je crois, devenu plus pragmatique. » Reste le volet économique. Pour l’ancien président de la commission parlementaire des Finances, la plus importante mission du futur chef de l’État est le défi économique. « C’est un devoir national, aussi important que celui de la libération du territoire. Car aujourd’hui, les créanciers du pays peuvent aliéner la décision libanaise autant que des occupants. De plus, avec l’augmentation de la dette, l’État ne peut plus accomplir ses devoirs envers les citoyens. » Ce qu’il faudrait, selon lui, c’est adopter et exécuter un plan de réforme financière qui peut paraître très simple : d’abord dépenser moins en modifiant la structure de l’État et en réduisant le volume de l’Administration. Tout le monde prône une telle solution, mais nul n’ose l’appliquer parce qu’elle sous-entend des mesures impopulaires. Ensuite, toujours selon M. Hraoui, il faudra poursuivre le processus de privatisation du secteur public. Il faut aussi assurer des liquidités à travers l’obtention de crédits préférentiels d’État à État, la privatisation et la titrisation. Cela donnera une période de grâce au pays, qui sera ainsi moins endetté, alors que les intérêts de la dette et le déficit budgétaire seront réduits. Ces mesures permettront aussi un développement économique à travers la relance de la croissance. Il faudra du courage pour les appliquer, leurs fruits ne pouvant être recueillis avant cinq ans. M. Hraoui est convaincu qu’un tel projet est indispensable. Sinon ? Sinon, dit-il, il ne sera plus possible de protéger la monnaie libanaise, et les répercussions de la libération du taux de change seront pires pour les citoyens. Dans ce sens, Paris II aurait pu être le début d’un processus en assurant certaines liquidités, mais le Liban n’en a pas profité comme il le devait des dix milliards qui ont été injectés. M. Hraoui rappelle qu’en 1997, alors qu’il présidait la commission parlementaire des Finances, celle-ci a, pour la première fois au Liban, renvoyé au gouvernement le projet de budget pour 1998. Il avait lui-même déclaré au président de la Chambre : « Nous ne pouvons pas étudier un tel projet, car nous tournons en rond. » La commission avait alors élaboré des idées de réforme fiscale, après avoir organisé au Parlement même un congrès économique et financier réunissant le patronat et la CGTL et qui a abouti à l’adoption du « document des associations économiques ». Ces idées ont été étudiées lors de rencontres à Baabda, en présence du chef de l’État, du président du Conseil, du ministre des Finances etc. C’est alors qu’a été adopté le fameux « document présidentiel de la réforme », qui n’a jamais été appliqué. Pour réformer l’économie, un partenariat entre le privé et le public Toujours selon Khalil Hraoui, il faut une réforme structurelle de l’économie, et là, il faut impliquer le secteur privé dans un tel processus. C’est de lui que doivent venir les propositions, notamment des associations sectorielles et professionnelles. « Je pense qu’il faut établir un partenariat entre les secteurs privé et public. Le séminaire qui s’est tenu à l’Université La Sagesse, sur la dette publique, est, à ce sujet, très instructif. Le document final devrait être remis aux responsables pour les aider à prendre la décision finale. Ainsi, le fossé sera peu à peu comblé entre l’État et les citoyens, et le secteur privé sera lui aussi en partie responsable de la réforme de l’économie. C’est là non seulement une démarche utile, mais de plus elle protégera ultérieurement les décisions prises en y associant le secteur privé ». M. Hraoui s’empresse de préciser qu’il s’agit là de grandes lignes qu’il faudra développer en temps voulu. En appliquant un tel projet de réforme financière et économique, le climat général du pays s’en trouvera modifié et la justice sera forcément la première à bénéficier de l’ambiance plus saine et plus constructive. « Lorsque les interventions personnelles cesseront et lorsqu’un député qui se plaint d’un juge peu coopératif ne sera pas écouté, nous aurons une justice indépendante. La base existe, nous avons d’excellents magistrats et d’autres plus fragiles. Il faut renforcer les premiers et cesser d’intervenir auprès des autres. Cela peut paraître utopique, mais tout dépendra de l’équipe au pouvoir. C’est elle qui donnera le ton … et l’exemple. » Scarlett HADDAD
Comme tous les maronites dont les noms circulent en tant que futurs présidents potentiels, le ministre d’État, Khalil Hraoui, ne se déclare pas candidat. Mais il n’en estime pas moins qu’il pourrait avoir des chances sérieuses, dans un contexte bien particulier, ayant établi des relations stables et suivies avec les dirigeants syriens, loin de tout « show-off » et de toute...