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Actualités - REPORTAGE

Ce qu’ils en pensent - « Les secrets de la guerre du Liban »

Le livre se vend comme de petits pains dans les librairies du Liban. Sans doute parce qu’il dérange et donne une nouvelle lecture d’événements qui ont marqué notre histoire récente. Malgré leur apparente insouciance, les Libanais continuent donc à vouloir savoir ce qui s’est passé pendant les années sombres, et l’ouvrage d’Alain Ménargues sur Les secrets de la guerre du Liban est un document rare sur la période allant de 1980 à 1982. La montée fulgurante de Bachir Gemayel, l’évolution de ses relations avec les Israéliens, mais aussi avec le président Élias Sarkis, les Saoudiens, et même les Syriens, tout y est, écrit comme si le lecteur assistait à toutes les réunions. Paru en avril, le livre de plus de 500 pages se dévore comme un roman. Rempli de révélations, il n’a jusqu’à présent suscité aucune contestation réelle. Nous avons demandé à son auteur pourquoi il déballe aujourd’hui tous les vieux souvenirs. Alain Ménargues, journaliste, directeur général de l’information à RFI Q : Le timing de la parution du livre est-il lié aux échéances politiques libanaises ? R : « Pas du tout. Vous allez me trouver naïf, mais je n’ai pas pensé à l’échéance présidentielle. D’ailleurs mon livre n’a rien à y voir. Cela fait cinq ans que j’ai quitté le Liban et j’avoue avoir oublié toutes ces considérations. En fait, j’ai achevé de l’écrire en 1998. Mais mon problème était de m’assurer que la loi d’amnistie s’applique à tout le monde. Je ne voulais pas prendre le risque que les personnes que je cite puissent faire l’objet de poursuites, ou être inquiétées d’une manière ou d’une autre. J’ai fait des recherches et plusieurs rencontres dans ce sens, et le livre est maintenant dans les librairies, sans avoir eu des conséquences regrettables. » Q : Pourquoi avoir remué tous ces mauvais souvenirs ? R : « Ces mauvais souvenirs, comme vous le dites, c’est une partie de l’histoire du Liban. Et l’histoire se fait avec des hommes ambitieux, désireux de servir, courageux, parfois lâches, bref des humains avec leurs faiblesses et leurs grandeurs. Il faut surtout se rappeler qu’en 1980-1982, il n’y avait pas d’État libanais, mais une occupation palestinienne et un groupe de jeunes gens qui voulaient sortir leur pays de cette situation. On oublie aussi que cette situation déplaisait aussi à des musulmans qui sont partis, nombreux à cette époque, travailler à l’étranger. On ne peut pas porter aujourd’hui un jugement sur des gens qui ont agi en leur âme et conscience pour tenter de sauver leur pays. On ne peut surtout pas regarder la situation d’il y a vingt ans avec les yeux d’aujourd’hui. » Q : Mais pourquoi un journaliste français écrit-il un tel livre, plus de vingt ans après les événements ? R : « Je l’ai écrit justement pour que les jeunes Libanais puissent avoir une idée de ce qui s’est réellement passé à cette époque. Ils ont le droit de savoir et il faut ouvrir les archives. Il ne s’agit pas d’accuser, mais de raconter. D’ailleurs, après la parution de ce livre, j’ai eu beaucoup de réactions de la part de Libanais. Une dame m’a même appelé, et dans un français un peu lourd, elle m’a dit : “Je ne sais si je dois vous insulter ou vous remercier. À cause de votre livre, je ne dors plus et je pleure. Pendant des années, j’ai subi les bombardements sans savoir pourquoi, grâce à vous, je le sais maintenant. Vous m’avez rendu l’histoire de mon pays”. » Q : Comment pouvez-vous raconter des entrevues secrètes comme si vous y étiez ? Êtes-vous sûr de la véracité des faits que vous rapportez ? R : « Je n’ai aucune prétention d’historien. J’ai fait un grand reportage. Pour les réunions secrètes, je me suis basé sur les procès-verbaux et j’ai ensuite rencontré les personnes concernées pour faire des recoupements. Ce livre m’a pris cinq ans de travail, parce que je voulais m’assurer de la véracité de tous les éléments en ma possession. C’est parce que j’aime le Liban que j’ai écrit ce livre et aujourd’hui, avec les mêmes scénarios qui se reproduisent, entre les Israéliens et les Palestiniens, et même en Irak, avec la désagrégation de la société, cette histoire prend une autre dimension. Personnellement, j’ai été fasciné par le fait que de jeunes universitaires, et donc plus ou moins intellectuels, se lancent dans une telle aventure, pour sortir leur pays de l’impasse. Je n’ai pas écrit pour les juger, mais pour témoigner... » Walid Charara, journaliste et chercheur en relations internationales Q : Que pensez-vous du livre d’Alain Ménargues et selon vous est-il bon de reparler en détail d’un passé qui a marqué les Libanais ? R : « Je crois que c’est un livre très important. À ceux qui ne connaissent pas les détails de la guerre, notamment la période cruciale allant de 1980 à 1982, il fournit un éclairage essentiel. Quant à ceux qui étaient au fait de ce qui se passait, il leur donne un complément d’information, surtout concernant la préparation de la prise du pouvoir par Bachir Gemayel, le comité, les différents scénarios envisagés. Il y a aussi des révélations sur le massacre de Sabra et Chatila. En fait, selon le livre, il y aurait eu deux massacres : le premier généralisé et le second ciblé et effectué par une unité de l’armée israélienne. » Q : Pour vous qui suivez la situation, comporte-t-il des révélations ? R : « L’analyse générale va dans le sens du livre, mais il y a certainement des révélations. Concernant l’assassinat de Bachir Gemayel, par exemple. Certes, il y a toujours eu un flou autour de cet assassinat, et la version officielle n’a pas été contestée, parce qu’il n’y avait pas d’enjeu, mais le livre de Ménargues, sans apporter des preuves déterminantes, permet de mieux réfléchir sur cet assassinat. » Q : Selon vous, le livre est-il crédible ? R : « L’auteur a fait un véritable travail d’enquête et il a le recul et l’objectivité nécessaires pour ne pas laisser ses convictions prendre le pas sur les faits, même s’il laisse entendre dans l’introduction que cette guerre a été un formidable gâchis. À mon avis, ce livre permet de mieux comprendre l’origine du pari israélien chez certains. Et l’enseignement que l’on pourrait en tirer, c’est que malgré ses imperfections et ses lacunes, la formule libanaise est l’antithèse de celle d’Israël. Elle reste une formule de coexistence et c’est ce qu’Israël a sans doute voulu détruire. » Q : À voir la situation actuelle, on croirait que tous ces faits sont irréels. Pensez-vous que le pari israélien soit réellement abandonné ? R : « Oui, je le crois. Il y a certes des courants extrêmement critiques à l’égard de la situation actuelle. Certains prônent même une rupture avec le monde arabe. Mais je crois que le pari israélien n’a plus d’adeptes, surtout avec la suite des événements qui a sapé tous les fondements d’un tel pari. » Scarlett HADDAD

Le livre se vend comme de petits pains dans les librairies du Liban. Sans doute parce qu’il dérange et donne une nouvelle lecture d’événements qui ont marqué notre histoire récente. Malgré leur apparente insouciance, les Libanais continuent donc à vouloir savoir ce qui s’est passé pendant les années sombres, et l’ouvrage d’Alain Ménargues sur Les secrets de la...