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Actualités - OPINION

On trinque !

Il y a décidément bousculade d’anniversaires ces temps-ci, et cette foule de bougies rouge sang n’a franchement rien de joyeux. Il y a dix ans le 7 avril, éclataient les massacres interethniques du Rwanda qui firent près d’un million de morts : pour la plupart des femmes, des enfants, des vieillards tués par balles pour les plus chanceux, à coups de massue ou de machette pour les autres. Tout cela donna des kilomètres de pellicule à sensation sur les télévisions du monde entier, mais ce fut à peu près tout, les grands de ce monde ne se considérant guère concernés par ces atrocités ; lesquelles, pourtant, avaient visiblement pour toile de fond l’âpre lutte d’influence qui, depuis les années cinquante en Afrique du Nord puis dans le reste du Continent noir, oppose la France et les États-Unis. Même les Nations unies n’allèrent pas au-delà des classiques et dérisoires appels à la retenue, s’obstinant à ne voir qu’une guerre civile dans ce qui était un génocide planifié. Que des journalistes français aient entrepris de déchirer le voile de l’oubli et de mettre en accusation leur propre pays ne peut que faire honneur à la profession. Que Paris en prenne acte, que Kofi Annan déplore le laxisme onusien de l’époque, que Washington y aille lui aussi de ses profonds regrets mérite d’être également salué. Mais cela change-t-il quelque chose au fond ? Les massacres n’ont jamais réellement cessé en Afrique comme ailleurs, mais c’est désormais du déjà-vu. Et l’organisation inter- nationale – tantôt complètement asservie, tantôt traitée comme moins que rien par la superpuissance américaine – n’a assumé que d’une manière très sélective son devoir d’assistance aux populations en détresse : Kosovo oui, bien sûr, re-Rwanda non, Sud-Soudan non et non. À propos de l’Irak, entré le 8 avril dans sa deuxième année de « libération », l’Onu est loin d’avoir observé la règle du silence. Elle a dûment dénoncé le caractère irréfléchi, inique et éminemment dangereux de l’équipée américaine : dangereux non seulement pour les Irakiens, mais pour la communauté internationale tout entière, États-Unis inclus. Ce qui ne fait plus le moindre doute cependant, malgré le plaidoyer de Condoleezza Rice devant les enquêteurs du Sénat, c’est que l’Administration Bush a invoqué des arguments avérés faux pour motiver son invasion de ce pays ; c’est que de là où elle prétendait porter un coup fatal au terrorisme en s’en allant déboulonner Saddam, l’Amérique a réussi au contraire à faire de l’Irak un foyer de tension, un centre hyperactif du terrorisme, un puissant aimant pour tous les groupes islamistes ou révolutionnaires brûlant de s’en prendre au colosse enlisé. De fait, les Marines en sont à affronter aujourd’hui des factions tant sunnites que chiites dans les combats les plus durs depuis la chute de Saddam Hussein. L’ampleur de ceux-ci de même que les prises d’otages mettent à rude épreuve d’ailleurs la cohésion de la coalition : Ukrainiens, Espagnols, Japonais et Néerlandais se calfeutrent dans leurs garnisons ; Bulgares et Polonais font de même, Varsovie ne se privant pas d’ailleurs de critiquer le style peu nuancé de l’administrateur américain Bremer ; prudents, les Italiens parlementent avec les insurgés, les Britanniques ne veulent plus patrouiller dans la ville, théoriquement amie, de Bassora, les démineurs du Kazakhstan menacent de plier bagage si leur sécurité ne peut plus être garantie par Washington et les Thaïlandais s’en vont sans demander leur reste. Nice job, Mister President, Ben Laden n’aurait pu mieux rêver. Pour que la fête soit complète, notre pays s’apprête à évoquer quant à lui le funeste 13 avril de 1975 qui marqua le début d’un calvaire de quinze longues années. Faut-il vraiment remuer les mauvais souvenirs, raviver les vieilles rancœurs, déterrer les cadavres parcheminés ? S’insurger au contraire contre le culte de la mémoire, s’astreindre au pardon et à l’oubli n’est-il pas démission, ne conduit-il pas à occulter du même coup les enseignements que recèlent ces années noires ? Ce ne sont là que quelques-unes des questions que suscite fort à propos l’ouvrage de mon collègue Fady Noun, Guerre et mémoire, la vérité en face. Pour ne s’en tenir toutefois qu’au cynique jeu des puissances et aux graves incertitudes découlant de la crise irakienne, on peut se demander pourquoi le monde dit libre a regardé rôtir si longtemps au feu de la guerre la seule démocratie de la région, aussi imparfaite qu’elle eût pu être. Pourquoi, entre autres aberrations, le Liban est offert en concession à la Syrie quand cela arrange Washington et devient soudain matière à Accountability Act dès lors qu’il s’agit de serrer la vis à Damas. Avec toutes ses faiblesses congénitales, c’est le Liban, et non l’Irak de Bush, Cheney, Rumsfeld et consorts, qui pouvait servir de modèle pacifique à une région où la démocratie, c’est parfaitement vrai, fait cruellement défaut. C’est de Beyrouth qu’aurait pu irradier la liberté si on s’était donné la peine de consolider, de bétonner au lieu de laisser tout raser. C’est sur ce point précis que l’État libanais, lui, a carrément perdu la mémoire. Issa GORAIEB
Il y a décidément bousculade d’anniversaires ces temps-ci, et cette foule de bougies rouge sang n’a franchement rien de joyeux.
Il y a dix ans le 7 avril, éclataient les massacres interethniques du Rwanda qui firent près d’un million de morts : pour la plupart des femmes, des enfants, des vieillards tués par balles pour les plus chanceux, à coups de massue ou de machette...