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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Notre collaborateur signera son livre, « Guerre et Mémoire », le 13 avril à la Librairie el-Bourj Fady Noun : Construire le Liban dans le respect de la liberté de l’autre

Résumer Fady Noun en quelques qualificatifs n’est pas chose aisée, tellement les mots manquent pour cerner une personnalité aussi riche, un esprit aussi nuancé. S’il fallait s’essayer à cette entreprise, pourtant périlleuse, l’on pourrait choisir les termes suivants pour définir M. Noun : foi, sérénité, espoir, mysticisme, humanisme et, par-dessus tout, un sens de l’humour très « british » dont il ne se départit jamais. Notre collaborateur à L’Orient-Le Jour depuis 1974, épris, entre mille choses, de Jacques Maritain et de la doctrine sociale de l’Église, vient de publier, aux Éditions L’Orient-Le Jour, un recueil de ses articles intitulé Guerre et Mémoire, la vérité en face. Il signera son ouvrage le mardi 13 avril 2004 à 18h30, à la Librarie el-Bourj, place des Canons, dans l’immeuble an-Nahar, à la suite d’une conférence-débat à laquelle participeront MM. Issa Goraieb et Talal Husseini, et Mme Amal Makarem. Fady Noun n’esquive pas les questions. Il ne les contourne pas. Il répond franchement, simplement, presque sereinement. « J’ai décidé de publier ce livre pour l’esprit qui souffle dans quelques-unes de ces pages, dans l’espoir fou que ce qui a éclairé les jours les plus sombres de la guerre continue de guider les pas d’une génération qui ne l’a pas connue, et d’une autre qui l’a traversée en somnambule, sans rien en apprendre », dit-il. « Je n’ai pas tout de suite compris la guerre ni la mécanique qui nous écrasait. Je me suis laissé guider, jour après jour, par mon instinct de survie, bien sûr, mais surtout par mon sens de la justice, et par des éclairs de conscience qui zébraient la nuit et nous permettaient, un bref instant, de repérer les lieux pour avancer. C’est grâce à ce que j’écrivais ainsi sous le coup d’une inspiration éclairante que la guerre a commencé à prendre son sens, ou plutôt ses sens. Car dans cette guerre, il y en avait beaucoup d’autres, dont la plupart étaient criminelles, et une seule juste. La bataille pour la liberté, pour une certaine idée du Liban, une bataille dans laquelle sont morts des combattants de tous les camps et beaucoup d’innocents qui vaquaient à leurs occupations quotidiennes, martyrs de la vie ordinaire à laquelle nous voulions croire malgré tout. Malgré le cynisme de ceux qui se jouaient de nos vies pour réaliser des rêves fous, des utopies, ou pour satisfaire leurs maîtres », poursuit-il. La clef du Liban de l’avenir « Je lis les événements en terme d’éthique : nous avons vécu des violences et beaucoup de mensonges pour masquer cette violence ou la justifier. On a dit une chose et on en a fait une autre. Il n’est pas facile de comprendre ce qui s’est passé. Les acteurs de la guerre ne sont toujours pas prêts à révéler leurs vrais mobiles », affirme Fady Noun, qui pense cependant que certains anciens acteurs de la guerre ont pris leurs distances. « Cette prise de conscience, cette distanciation par rapport à la guerre doit entrer dans la culture de tous les Libanais pour empêcher que la guerre ne se reproduise, d’une manière ou d’une autre. Joseph Abou Khalil, ancien directeur du journal al-Aamal, affirmait lors de la séance pour la mémoire à l’Unesco : « Dans notre culture, nous n’avions pas l’idée de l’autre, son concept. La conscience de sa différence. » Quand, dans une culture, il n’y a pas de la place pour ceux qui pensent autrement, le conflit surgit, et, si les armes sont disponibles, c’est la guerre qui éclate. Or il faut éviter cela à tout prix au Liban », indique-t-il. Selon M. Noun, il est nécessaire de construire aujourd’hui une nouvelle culture, d’aller en profondeur et de sortir de la langue de bois. « Il est facile de voir la barbarie chez les autres. Mais il faut aussi se souvenir que nous avons été barbares, que nous avons placé des voitures piégées devant les boulangeries. Je me bats pour qu’on se souvienne de ces actes comme des massacres, pas comme des accidents de parcours ou de simples phénomènes naturels », souligne-t-il. Citant M. Fouad Boutros sortant de Bkerké, l’autre jour, il affirme : « Nous ne nous sommes pas mis autour d’une table pour parler entre nous, directement. Nous avons encore besoin d’un arbitre qui dicte les règles du jeu, les normes. Or le dialogue sous haute surveillance n’est pas un dialogue. » « Je voudrai qu’au Liban, à l’instar du Rwanda, il existe un devoir de mémoire, qu’il soit reconnu. Nous devons nous entendre sur le Liban que nous voulons. Certes, j’ai le sentiment que les tentatives d’occulter la mémoire se mêlent à la force d’inertie des Libanais, à l’oubli «bête» de remplir ce devoir de mémoire. Il faut sortir de la guerre. Il y a des choses à oublier, mais il faut d’abord en parler. On décide ensuite d’oublier », précise Fady Noun. « Sans la mémoire, la guerre ne finira pas. Je ne veux pas faire le deuil de ce pays, parce qu’il n’est pas mort. Il est vivant tant que nous nous battons », souligne-t-il. « La démission est une forme de violence », écrit M. Noun. Pense-t-il que le peuple libanais a démissionné ? « La violence qu’il a subie, il l’a retournée contre lui-même. Un peuple peut se laisser mourir. Il est troublant de voir certains Libanais renconcer à la viabilité du Liban et vouloir partir. Et ceux qui ne peuvent pas partir s’évadent en esprit », répond-il. Évoquant les différentes consciences du Liban, celle d’un Liban chrétien, celle d’un Liban chiite, celle d’un Liban laïque aussi, Fady Noun estime, inversant la formule de Clausewitz, que la guerre du Liban se poursuit par des moyens politiques. « Plusieurs Liban sont en train de croître les uns à côté des autres sans interagir. L’État n’arrive pas à intégrer ces sociétés cloisonnées. Cela m’inquiète. La méconnaissance m’inquiète », ajoute-t-il, en reconnaissant « croire en la vocation du Liban-message, pont entre deux univers spirituels, occidental et arabe ». « Il renoncerait à lui-même s’il renonce à cette vocation. Tous les Libanais doivent en prendre conscience. Les chrétiens en ont conscience, les musulmans commencent à se l’approprier, comme l’imam Chamseddine. Le pluralisme est une grande chose », indique-t-il. Et de conclure : « La foi est le respect absolu de la liberté de l’autre. J’y crois profondément. Dieu respecte notre liberté et nous devons respecter nos libertés les uns les autres. Le Liban ne se construira pas avec ou sans nous, inéluctablement. Dans la vie, il y a des progrès et des régressions qui viennent de certains choix. Il faut savoir quel Liban nous voulons, l’aimer et le construire patiemment, dans le respect de la liberté de l’autre. Telle est l’une des clefs du Liban de l’avenir. » M.H.G.
Résumer Fady Noun en quelques qualificatifs n’est pas chose aisée, tellement les mots manquent pour cerner une personnalité aussi riche, un esprit aussi nuancé. S’il fallait s’essayer à cette entreprise, pourtant périlleuse, l’on pourrait choisir les termes suivants pour définir M. Noun : foi, sérénité, espoir, mysticisme, humanisme et, par-dessus tout, un sens de...