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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Terreur noire

Il en est des lieux comme des hommes, ils sont parfois prédestinés au malheur. Kerbala, où périt en l’an 680 l’imam Hussein, petit-fils du prophète Mohammed, est un de ces sites. Et son nom le dit bien, qui serait une contraction de « kerb » et « bala’a », affliction et calamité en arabe. Dans ces deux maîtres mots trouvent leur source les autoflagellations, lamentations et autres manifestations de douleur marquant le jour d’Achoura, la commémoration du martyre de Hussein dont le mausolée a été plusieurs fois rasé puis reconstruit au fil des siècles. Ces rites, les chiites d’Irak, pourtant majoritaires, n’étaient même pas autorisés à les pratiquer tout au long du règne impitoyable de Saddam Hussein. Et quand en 1991 ils crurent venu le moment de se soulever, comme les Kurdes du Nord, alors que l’armée irakienne était pourchassée par les troupes coalisées de Bush père, ils se firent laminer sous l’œil indifférent de Washington. Des milliers de morts, d’énormes destructions venaient sanctionner alors ces nouvelles noces de Kerbala avec le martyre. Et ce n’était pas encore fini, comme viennent de le montrer les terribles attentats à la bombe de mardi perpétrés dans cette ville et dans la capitale Bagdad, sans oublier la sanglante attaque à l’explosif et à l’arme automatique lancée le même jour contre une procession de fidèles à Quetta, au Pakistan. Ces opérations terroristes simultanées visant spécifiquement les chiites, et requérant un haut degré de préparation ainsi que des moyens considérables, sont-elles imputables à el-Qaëda, comme on est naturellement porté à le croire ? S’agit-il plus précisément du groupe du Jordanien al-Zarqaoui comme le pensent les Américains ? Faut-il donner quelque crédit aux dénégations indignées – une véritable première – qu’attribuait hier à el-Qaëda un journal arabe de Londres ? Peut-on exclure que ces attentats soient plutôt l’œuvre de fidèles de Saddam Hussein, comme le suggèrent les arrestations opérées dans son fief de Tikrit ? Comment ignorer enfin les accusations de laxisme sécuritaire lancées contre les États-Unis par les plus hautes instances chiites d’Irak, notamment pour ce qui est de la garde des frontières ? Le laxisme, c’est bien peu dire. Car près d’un an après l’opération « Choc et stupeur » qui devait débarrasser la planète Terre de ce danger « réel et pressant » que représentait prétendument Saddam Hussein, l’Irak est plus que jamais en état de choc et la stupeur s’est muée en effroi. Par l’entêtement doctrinaire de ses planificateurs et stratèges, par leur stupide ignorance des réalités sociopolitiques de la région, par leurs évaluations sommaires et leurs mensonges à moins que ce soit par un criminel calcul visant à légitimer une installation en règle des GI au pays de l’or noir, l’invasion débouche, comme le redoutait très précisément le gros de l’humanité, sur deux contre-effets majeurs : le terrorisme s’est trouvé un nouveau combustible en même temps qu’un nouveau terrain d’action ; et toutes les conditions se trouvent objectivement réunies pour une guerre civile en Irak, avec les risques de contagion qu’implique pour plus d’un pays voisin une aussi épouvantable éventualité. « Les terroristes de tous les groupes extrémistes du Moyen-Orient se ruent en Irak ? » Élémentaire, mon cher Blair, et un Dominique de Villepin vous expliquera pour la millième fois, comme il l’a fait encore hier, que la sécurité est impossible en Irak car l’occupation étrangère sert de catalyseur aux terroristes, nationalistes et autres forces de résistance. On en vient ainsi à ce mortel cercle vicieux où l’on voit l’occupation alimenter le terrorisme, lequel, à son tour, met en péril un transfert serein de souveraineté au Conseil de gouvernement irakien, retardant d’autant le départ des forces d’occupation américaines. Voilà qui augure d’un surcroît de violence allant crescendo au fur et à mesure que se rapprochera la date fatidique du 30 juin, retenue pour ce transfert. Du Golfe à l’Océan, les Arabes ont réagi comme un seul homme pour dénoncer les attentats de mardi et leurs auteurs. C’est bien, mais c’est le moins qu’ils pouvaient faire. Surtout dans des pays à texture confessionnelle sensible tel le Liban, même si le chef du Hezbollah – un parti que Washington qualifie de terroriste – a usé pour la première fois de termes aussi vifs pour stigmatiser le fanatisme, l’obscurantisme moyenâgeux, le manque de raison, de cœur et d’éthique de ces forcenés que répudie la Oumma. Il reste qu’on ne peut s’en tenir à des condamnations car le terrorisme est un fléau pour tous et qu’il convient de le circonscrire, de l’affronter : non seulement parce qu’il s’en prend désormais à des musulmans, qu’ils soient sunnites ou chiites, non seulement parce qu’il va finir par attirer les pires catastrophes sur ces mêmes sociétés qu’il prétend défendre. À l’Amérique de s’armer enfin de justice – en Irak, en Palestine et dans d’autres zones de conflit – pour que soit réellement opérante, appréciée et saluée sa colossale puissance militaire. Aux Arabes et aux musulmans, en revanche, d’extirper eux-mêmes, autrement que par des mots, le cancer qui, au bout du compte, les menace tout autant que leurs plus mortels ennemis.
Il en est des lieux comme des hommes, ils sont parfois prédestinés au malheur. Kerbala, où périt en l’an 680 l’imam Hussein, petit-fils du prophète Mohammed, est un de ces sites. Et son nom le dit bien, qui serait une contraction de « kerb » et « bala’a », affliction et calamité en arabe. Dans ces deux maîtres mots trouvent leur source les autoflagellations,...