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Actualités - OPINION

Circulez, y a rien à dire !

Milieu de semaine, ciel enfin bleu, petite accalmie après une grosse tempête. Sourire-relax. 9 heures trente, gros embouteillage à Antélias en direction de Beyrouth. Trois files et demie de voitures qui essaient de se partager ce qui ressemble à une route. La demie qui dépasse est un bus public, ou du moins ce qui devait être un bus, il y a quelques années. Un bus bicolore devenu gris, comme tous les autres véhicules de la compagnie, tant la poussière qui l’a bouffé et a couvert les vitres avant, arrière, droite et gauche, sont sales. Mais ce n’est pas si grave, pense le chauffeur, un p’tit geste de la main et la voilà balayée ; oubliée, la poussière discrètement essuyée sur le pantalon. Le monsieur, enfoncé dans son siège, roule portes ouvertes. Pourquoi pas, après tout, le bus est vide, on voit mieux la route ainsi. On peut même converser avec les collègues qui passent. Pas de clients à l’horizon ? Si, tiens, en face. Peut-être. Alors, le chauffeur du bus devenu taxi-service pour l’occasion, et sans prévenir, oublié le clignotant, braque à gauche. La voiture, un niveau plus bas, ne peut échapper à sa manœuvre très spontanée. C’est l’accident. Disparu le sourire-relax. Fracas de tôle, rétroviseur broyé. Et grosse peur. C’est plutôt une colère, d’abord sourde. Le chauffard descend de son trône. Édenté, distrait, ou tout simplement pas très vif, il semble avoir dépassé, et de loin, l’âge de conduire un moyen de transport public. Avec pour tout costume un pull sur lequel est tricoté le logo de la société et l’assurance d’être invincible. Impoli, peu loquace, la faute n’est certainement pas la sienne. Il avait annoncé qu’il prenait sa gauche, semble être la seule explication qu’il est en mesure de donner. La colère n’est plus sourde ni silencieuse. Un policier, chargé de gérer la circulation, intervient en bon citoyen et en témoin objectif. On déplace les voitures, car l’embouteillage est devenu infernal et ce simple accident menaçait de se transformer en crime sans préméditation. On marque la trace des pneus avec une craie blanche. Le sol est encore trempé. Effacée la craie une minute plus tard. La voiture et le bus se garent devant un vendeur de manakichs qui revendique immédiatement, à cor et à cri, son droit de vendre. Petite attente teintée d’insultes diverses, échangées dans la plus pure tradition locale, avec de nombreuses consonnes qui se bousculent, et voilà que débarquent les deux experts. Le premier reste muet, pendant que l’autre, chargé par la société de transport public de défendre le brillant conducteur, écoute son client donner un faux témoignage. Question à la vraie victime : « Où pensiez-vous qu’allait le bus ? » Chez sa mère peut-être. La colère gronde. Conclusions du khabir : « Je vais vous dire, moi, ce qui s’est passé : vous étiez en train de faire la course avec le bus, quand l’accident est arrivé. Vous êtes responsable à 50 % ». Et mon témoin oculaire qui a tout vu ? « Je le connais, il fait ça pour de l’argent », répond le très honnête expert. « Heureusement, tout est bien qui finit bien », conclut-il, en me laissant sa carte. Tout est en effet très bien. Des bus pourris, quelles que soient les sociétés qui les gèrent et qui, contrairement à nos voitures, même les plus récentes, n’ont à subir aucun examen de contrôle ; des chauffeurs qui ne savent rien aux codes de la route, au respect de soi et des autres ; des responsables, enfin, qui laissent faire ; et par-dessus tout, une injustice arrogante et insultante. Circulez, y a rien à dire ! Carla HENOUD
Milieu de semaine, ciel enfin bleu, petite accalmie après une grosse tempête. Sourire-relax. 9 heures trente, gros embouteillage à Antélias en direction de Beyrouth. Trois files et demie de voitures qui essaient de se partager ce qui ressemble à une route. La demie qui dépasse est un bus public, ou du moins ce qui devait être un bus, il y a quelques années. Un bus bicolore...