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Actualités - OPINION

Routine administrative - Deux ans parfois pour une simple formalité La bureaucratie tue l’entreprise à petit feu

De Gaulle parlait de « tracassin ». Doux euphémisme. Sauf pour Courteline, et Kafka l’avait bien compris, la bureaucratie n’a rien d’amusant. La routine administrative est autant un casse-tête qu’un casse-pieds. Une machinerie qui tourne à la machination anti-entreprises. Une licence de fabrication ou d’usinage représente le couronnement d’un dossier de 7 cm d’épaisseur. Répondant aux conditions d’au moins trois ministères. Et, surtout, de la municipalité. Souvent la plus coriace, toujours la plus labyrinthique. Les faits. Bruts. C’est le mot : – Première étape, pour le ministère de l’Industrie. Copie du bail ou du titre de propriété. Copie de l’inscription au registre du commerce. Liste des machines contrôlées par deux inspecteurs. Circulaire de fondation. Certificat d’enregistrement de magasin. Certificat d’inscription d’entreprise. Relevé de cadastre. Attestation d’exploitation, ou de direction libre, pour faire fabrique. Par suite de quoi, visa valable (trois mois seulement désormais) pour s’inscrire à la Chambre de commerce (où tout est clear en 24 heures) délivré par l’Industrie. Mais conditionné par le feu vert de la municipalité. Qui met bien plus de temps pour ses contrôles. Ses conditions draconiennes, rédhibitoires, frisent même le blocage pur et simple. Courir – Deuxième étape. Le parcours du combattant : des guichets par dizaines. – Un cas d’exemple courant : Pendant la guerre, la proprio, vieille dame, installe un grillage circulaire pour protéger l’immeuble où se trouve l’atelier. Non signalé en son temps. L’ordre vient : enlevez. Mais la proprio, expatriée Los Angeles, n’est pas joignable. Tout l’immeuble est déclaré en infraction. Blocage ? Non, l’Industrie peut récupérer le dossier. Cependant c’est là, en pratique, une porte ouverte à la pression. Financière notamment. L’atelier bénéficie à l’origine d’une licence d’exploitation, de production et de transport. Pas de nuisance pour le voisinage. Hygiène contrôlée. Ainsi que l’environnement, par le ministère ad hoc. – Reste la municipalité. Il faut d’abord la trouver ! Plusieurs branches, plusieurs sections. D’abord l’ingénierie, Fleuve. Ont dit non : allez guichet comptabilité. Ont dit non : allez à l’Ouest. Ont dit non : allez contrôle ingénieur. À dit non : allez au centre-ville ! – Là, un cadre qui se veut rassurant : « Je vous souhaite bien du plaisir. Il vous faudra deux ans de trajet. » Chaque étape principale, d’étage en étage, de site en site, prend 6 mois à peu près. Géométrie invariable – Les conditions posées ? La municipalité précise elle-même qu’il faut lui rendre, en fin de compte, une copie qui s’étale sur six pages fullscape. Extrait diététique, super allégé (pour ne pas trop ennuyer le lecteur), des exigences : bien entendu, toutes les pièces d’identité et de permis de travail avec photos ; une carte topographique au 1/500 ; une attestation de plan certifié datant de six mois au maximum ; un feu vert du service d’ingénierie ; ou une déclaration paraphée sur la conformité juridique des locaux, qui doivent avoir leurs visas un par un, si le bâtiment est loti ; ou une déclaration pour les lieux communs (c’est le mot), avec une carte à part signée par le service d’ingénierie. Vous avez déjà le tournis ? L’épreuve d’endurance, le marathon, ne fait que commencer. On vous condense (fortement) le reste : trois copies pour le contrôle de toutes les machines ou outils, avec leurs numéros ; une copie de bail enregistré de par-devant notaire ; une attestation foncière pour l’immeuble et une pour chacune de ses composantes ; cinq copies de cartes topos 21x31 authentifiées, à chaque page, par un ingénieur habilité, membre de l’Ordre, avec son numéro syndical ; numéros de cadastre, noms des rues, des quartiers, des propriétaires, des demandeurs, superficie ; une page 9x5 réservée à l’administration mais portant au bas les paraphes authentifiés devant notaire du demandeur et de son ingénieur ; encore une carte au 1/2000 comprenant description du site et de son enseigne, pour confirmer que l’établissement s’étale sur 250 mètres au moins pour la première catégorie, et sur 50 mètres pour les suivantes ; un relevé des hôpitaux, des bâtiments publics, des dépôts du chemin de fer, des entreprises industrielles, des écoles, des habitations, des puits, des canalisations, des égouts et des abris du secteur ! On vous passe charitablement le reste des réjouissances, qui comportent, entre autres « hautes » fantaisies, la signalisation de l’altitude ! En précisant en conclusion qu’il ne faut pas oublier de remettre deux copies des documents cartographiques à la direction générale des bâtiments. Risques Il faut donc plusieurs mois pour sortir du dédale. En attendant, qu’est-ce qu’on fait ? On peut continuer, à fabriquer, mais on ne peut pas transporter. C’est-à-dire qu’il est interdit d’exporter. But principal de nombre d’entreprises. Sauf si on tourne les règlements, en payant 10 % de la valeur marchande (ad valorem) à un dédouaneur qui prétendra que c’est lui le producteur. Mais si on est attrapé, bye bye la licence, sans préjudice des amendes, voire de poursuites judiciaires accélérées. Cela étant, il convient de souligner que naguère, la constitution d’un dossier de demande coûtait entre 300 et 1 000 dollars, suivant le volume. Aujourd’hui, il faut compter un minimum de 3 000 dollars. La tentation Encore une fois, alors que faire ? Alors, aller à Dubaï ! On y trouve un énorme complexe spécialisé. Qui dispose d’un mailing parfait, puisque toutes les petites et moyennes entreprises de la région (et le Liban n’en a pas de grandissimes) se trouve démarchées, avec mini-maquettes de carton à l’appui. Si vous prouvez que vous avez le savoir-faire, l’expérience, un nom, et que vous présentez une caution de 60 000 dollars (n’importe quels biens, des bijoux ou une Porsche font l’affaire), vous avez droit à un local atelier, des bureaux, des studios de logement. Location-vente pour 600 dollars par mois sur 30 ans. Et même, on vous finance avec des crédits à bas intérêt ! Un département situé sur les lieux se charge de toutes vos formalités, via un « single window clearance ». Libre-échange et exportation à volonté. Pour tout dire, et tout comparer, le Liban économique vu par la bureaucratie, c’est un mari qui s’absente en confiant son épouse aux bons soins de son meilleur ami. La routine administrative jette les entrepreneurs d’ici dans les bras de Dubaï. Et s’il en va de la sorte pour les autochtones, que dire de ces émigrés ou investisseurs étrangers que nous prétendons vouloir attirer ? Jean ISSA
De Gaulle parlait de « tracassin ». Doux euphémisme. Sauf pour Courteline, et Kafka l’avait bien compris, la bureaucratie n’a rien d’amusant. La routine administrative est autant un casse-tête qu’un casse-pieds. Une machinerie qui tourne à la machination anti-entreprises. Une licence de fabrication ou d’usinage représente le couronnement d’un dossier de 7 cm...