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Actualités - CHRONOLOGIE

Les prochaines élections ne feront que reproduire le schéma actuel des municipalités, selon l’association La Lade dénonce l’emprise du pouvoir politique sur les collectivités locales

Depuis l’annonce faite par le ministère de l’Intérieur portant sur l’ouverture de crédits pour l’organisation des élections municipales, les débats autour de cette question se sont multipliés aussi bien au sein de la société politique que civile. S’il est encore relativement tôt pour définir la carte politique des principales alliances et stratégies qui seront mises en place lors de ce scrutin tant attendu, les enjeux de types juridique et administratif que suscite cette consultation sont de taille. Que ce soit au niveau de la loi électorale en vigueur dénoncée par plus d’une partie ou au niveau des nombreux dysfonctionnements relevés au plan de la vie locale, qui reste à plusieurs égards étroitement dépendante du pouvoir politique, les lacunes sont nombreuses. Mobilisés depuis plusieurs années sur la question des collectivités locales, Ziad Majed et Habib Nassar, respectivement secrétaire général et membre de l’Association libanaise pour des élections démocratiques (Lade), exposent à L’Orient-Le Jour les obstacles majeurs qui entravent la vie municipale et détournent le principe de la « démocratie de proximité » de sa fonction principale. Dénonçant tour à tour le dévoiement de la décentralisation et la récupération politique des élus locaux, les deux militants s’interrogent sur la crédibilité ainsi que sur la légitimité des prochains conseils qui seront mis en place à l’ombre d’un système qui bloque la liberté d’action des autorités locales. Ils stigmatisent aussi bien la loi en vigueur – qui servira vraisemblablement de référence pour les prochaines élections –que les coutumes établies durant les six dernières années de vie municipale et qui ont contribué à « vassaliser » les conseils municipaux. Une chose est toutefois sûre : à moins d’un retournement de situation spectaculaire au niveau régional qui servirait de prétexte majeur pour annuler les élections, tout semble indiquer que le scrutin aura effectivement lieu, tant il est vrai qu’il prélude à deux scrutins majeurs, les consultations parlementaires et présidentielles, deux rendez-vous décisifs pour l’avenir de la nation. Vues sous cet angle, les municipales constituent un test incontournable pour les forces politiques en présence, une sorte de baromètre révélateur des différents tendances qui se dessinent sur le terrain. Des partis comme le Hezbollah, Amal, le PSP, l’opposition incarnée par Kornet Chehwane, ou encore les « forces » relevant du chef de l’État ou du chef du gouvernement, ont tous également besoin de se resituer sur l’échiquier politique, estiment Habib Nassar et Ziad Majed. Selon eux, ces élections sont d’autant plus importantes qu’elles devront déterminer les enjeux à venir notamment lors de la consultation parlementaire et aider les différents protagonistes à mieux faire « leurs calculs » en termes d’alliances politiques et d’organisation de la base électorale. Toutefois, précise M Nassar, même si les résultats de ce test peuvent éventuellement « se retourner » contre le pouvoir central, ce dernier ne risque pas grand-chose à l’ombre de la loi actuelle qui laisse au pouvoir toute un marge de manœuvre pour faire pression sur les municipalités et les amener à prendre certaines décisions pour faire barrage aux décisions qui ne les arrangent pas. « Ainsi, dit-il, 75 % des décisions prises par un conseil municipal sont soumises aux autorités supérieures, soit le caïmacam, le mohafez ou le ministre. » Ziad Majed abonde dans le même sens en donnant pour preuve l’expérience des six dernières années qui a été assez concluante notamment au niveau du financement des autorités locales. Dans la pratique, celui-ci a été « confisqué par les deux ministères compétents, ceux de l’Intérieur et des Finances », dit-il. Résultats : pour débloquer les fonds, les présidents des conseils municipaux doivent entretenir des rapports de complaisance avec les chefferies locales qui interviennent auprès de l’Exécutif pour plaider en faveur de telle ou telle municipalité. D’où la mise en place d’un système clientéliste qui perpétue la dépendance et la paralysie de l’action municipale. Cela explique d’ailleurs la crainte de nombreux députés de voir un jour les conseils municipaux s’émanciper et échapper à leur tutelle. M. Majed interprète cette appréhension du fait de l’absence d’élus municipaux pendant près de 35 ans puisqu’il n’y pas eu d’élections municipales durant toute la période qui s’étend entre 1963 et 1998. Par conséquent, dit-il, « le député a fini par se substituer aux autorités locales en fondant toute sa légitimité sur de petits services rendus aux citoyens dans le but d’élargir sa base électorale. L’asphaltage des route n’est certes pas un prérogative du parlementaire. » La méfiance à l’égard des pouvoirs locaux a été notoire lors des débats qui ont eu lieu au sein de la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice sur le nouveau projet de loi concernant les municipalités présenté par le ministre de l’Intérieur, Élias Murr. Ce texte, qui, à certains égards, aurait pu constituer un premier pas vers la décentralisation, ne verra vraisemblablement pas le jour. D’ailleurs, les quelques propositions qui auraient dû accorder une plus grande latitude de manœuvre aux conseils municipaux sont en tain d’être amendées en commission. C’est donc sur la base de la loi en vigueur que devront se dérouler les prochaines consultations, un texte qui est loin d’être libéral au yeux de nombreux observateurs. Le projet Murr « La décentralisation fait très peur aux classes dirigeantes, du fait de l’existence d’un collusion très claire entre ministres, députés et entrepreneurs pollueurs. Ceci lorsqu’il n’y a pas confusion entre les trois rôles », commente à son tour M. Nassar. Ainsi, estiment les deux militants, à moins de procéder à une réforme sérieuse aussi bien au niveau des textes qu’au niveau « de la culture citoyenne », les prochaines élections ne feront que réitérer le schéma actuel. Les responsables politiques ainsi que les mouvements associatifs sont ainsi appelés à s’attaquer à un certain nombre de problèmes dont la solution devrait renforcer l’action municipale et par là les pratiques démocratiques. Les membres de la Lade dénoncent au passage la marge d’appréciation laissée par l’actuelle loi au ministère de l’Intérieur pour ce qui est notamment de la création de nouvelles municipalités, « une initiative qui est souvent entachée d’arbitraire alors qu’elle doit être soumise à des critères objectifs ». Autre faille qui laisse le champ libre aux manipulations politiques et communautaires, la question de l’élection selon « le lieu de l’état civil » alors qu’elle devrait se faire selon « le lieu de résidence ». Une situation « absurde », dans la mesure où le citoyen qui paie ses impôts à la municipalité où il réside et profite des ses services est acculé à exercer son droit de vote dans une toute autre localité. « À quoi sert donc une municipalité si ce n’est à créer une dynamique de développement local et à améliorer les services publics ? » se demande Habib Nassar qui rappelle que c’est le vote sur le lieu de résidence qui stimule l’action municipale et non l’inverse. Il cite l’exemple du conseil municipal de Ghobayri qui est élu par 10 pour cent seulement des résidents, c’est-à-dire ceux qui y sont nés et qui continuent d’y vivre. Le problème se pose en des termes tout aussi graves dans la ville de Beyrouth, dont la démographie a complètement changé avec le temps. Alors que ses résidents d’origine étaient essentiellement comptés parmi les sunnites et les grecs-orthodoxes, aujourd’hui on est en présence d’un patchwork confessionnel beaucoup plus complexe qui modifie complètement l’enjeu électoral. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Lade a, très tôt, préconisé le découpage de la capitale en plusieurs arrondissements, seul moyen selon elle d’assurer une représentation plus fidèle. Parmi les propositions également avancées par l’association, l’élection du président de la municipalité – actuellement désigné par les membres du conseil – au suffrage universel, « afin de pouvoir soustraire ce dernier aux pressions politiques », et l’abaissement de la majorité électorale à l’âge de 18 ans – « le travail municipal étant par excellence un terrain d’attraction pour les jeunes désireux de participer à la vie publique ». Enfin, l’association se prononce clairement en faveur d’un quota de femmes, le travail municipal devant constituer un tremplin pour l’accès de ces dernières à l’hémicycle. Autant de souhaits formulés par une société civile qui, certes, place énormément d’espoir sur l’avenir des collectivités locales, mais qui, pour l’instant, reste encore sceptique quant aux résultats des prochaines consultations. Jeanine JALKH
Depuis l’annonce faite par le ministère de l’Intérieur portant sur l’ouverture de crédits pour l’organisation des élections municipales, les débats autour de cette question se sont multipliés aussi bien au sein de la société politique que civile. S’il est encore relativement tôt pour définir la carte politique des principales alliances et stratégies qui seront...