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Actualités - REPORTAGE

De Jaipur à Udaipur en passant par Jodhpur, à la découverte de la terre des Rajput Voyage des sens au rajasthan

Rajasthan – D’Émilie Sueur Une culture plurimillénaire, des millions de divinités, un milliard d’habitants, des centaines de langues et dialectes. Comprendre l’Inde est une entreprise colossale, qu’un voyageur de passage ne doit même pas envisager. Mais la compréhension de ce gigantesque pays est-elle vraiment essentielle ? Car l’Inde est avant tout une terre d’impressions, de perception tant elle s’attache à interpeller les cinq sens de ses hôtes. Le Rajasthan, l’un des 29 États qui composent cette république, concentre toutes ces émotions. Voyage tout en sensations sur la terre enivrante des Rajput, les seigneurs de l’Inde (suite de la série lancée le 13 février dans nos colonnes). Couleurs flamboyantes Avec plus de cinquante millions d’habitants, le Rajasthan, à l’image du reste de l’Inde, grouille de vie. Foule dense, vibrante et surtout colorée. Les turbans des sikhs, les saris et salwar kameez (une tunique sur pantalon bouffant) des femmes. Des vêtements dont il semble que les couleurs sont d’autant plus éclatantes que les conditions de vie des femmes qui les arborent sont difficiles. Si à Bombay nombreuses sont celles qui ont opté pour les tons pastel, dans les collines qui séparent Jodhpur d’Udaipur, là où les femmes portent d’impressionnants fagots de bois sur la tête, là où elles puisent l’eau, travaillent dans les champs, là où un voyageur aperçoit des meules et autres roues à eau d’une autre époque… dans ces contrées, les couleurs des saris sont étonnantes. Jaune presque fluorescent, rouge vermillon, orange flamboyant. Au cœur des collines vert tendre durant les mois d’hiver, chacune de ces femmes à la peau sombre est un soleil. Ces couleurs rayonnantes, on les retrouve également dans l’artisanat local : tapis, tissus imprimés à l’aide de lourds tampons imprégnés de teintures naturelles, peintures miniatures sur un support de marbre, de soie ou de papier de riz d’une finesse telle qu’ils en sont transparents à la lumière. Couleurs des villes également. Jaipur d’abord, capitale du Rajasthan. Une cité qui doit son nom et sa fondation à un grand guerrier, le maharaja Jai Singhh II (1693-1743). Celui-ci passe la première partie de sa vie à Amber, à côté de l’actuelle Jaipur, dans sa forteresse qui le protège de la menace moghol. Avec le déclin de la puissance de cette dynastie musulmane d’empereurs indiens, le maharaja décide de redescendre vers la plaine et d’y édifier une cité selon les principes du Shilpa Shastra, un ancien traité hindou d’architecture qui prône les structures rectangulaires. Féru d’astronomie, il construit également un impressionnant observatoire, qui lui vaudra le titre de « maharaja un et un quart», une appellation réservée aux seigneurs dotés d’une intelligence supérieure. Ce titre a, par la suite, été transmis de génération en génération. Au-dessus du palais de l’actuel maharaja de Jaipur flottent encore deux drapeaux, le second représentant un quart de la surface du premier. Certains dans la ville se plaisent toutefois à raconter que le deuxième drapeau n’est plus vraiment justifié… Jaipur est également appelée la ville rose. Surnom qu’elle doit à la couleur des murs de la vieille cité. Cette couleur, elle l’a prise sur ordre du maharaja Ram Singh qui, pour accueillir en 1876 le prince de Galles, le futur roi Edouard VII, avait décidé de faire peindre la ville en rose. La tradition s’est depuis perpétrée, pour le plus grand plaisir des yeux quand, au soleil couchant, les murs prennent une teinte orangée. La magie opère ! Autres lieux, autres couleurs. Jodhpur, deuxième ville du Rajasthan. En traversant la ville, le visiteur ne remarque rien. Ce n’est que du haut des remparts de la forteresse de Meherangarh qu’il découvre enfin ce qu’il ne pouvait imaginer. Une ville bleue. Qui apparaît enfin, au pied de la colline, nimbée de cette improbable couleur. Traditionnellement, le bleu est réservé aux Brahmanes, mais aujourd’hui tout un chacun a couvert sa maison d’indigo. Une pointe de gaîté dans un paysage de plaine un peu morne. Mais aussi, selon certains, un repoussoir pour les moustiques… Entre Jaipur et Jodhpur, se trouve une petite ville connue des hippies du monde entier et des amateurs de dromadaires en raison de la célèbre foire qui s’y tient chaque année entre les mois d’octobre et de novembre. Pushkar est aussi connue pour accueillir le seul temple dédié à Brahma. Un temple éclatant de couleurs, avec ses dômes rouges et ses peintures naïves aux tons tranchés. Un véritable feu d’artifice chamarré. Il arrive que la nature elle-même lutte contre la morosité de certains paysages désertiques à coup de bougainvilliers géants qui, dans les jardins d’Udaipur, tombent en impressionnantes cascades de couleurs. Parfums mêlés Au Rajasthan, l’odorat est perpétuellement stimulé. À la puanteur émanant des tas d’ordures qui jonchent certaines rues, se mêle le parfum d’épices plus ou moins connues. Cannelle, coriandre, safran, poivre gris… Monticules de poudre colorée et bâtons de cannelle parfument les étals des marchés. Dans les temples, l’odorat est séduit par la douceur du santal qui émane des bâtons d’encens. Paradoxalement, dans ce pays qui exhale mille parfums, il est interdit de respirer les fleurs qui, assemblées en colliers, sont offertes aux millions de divinités vénérées. Les odeurs au Rajasthan se sont aussi celles des animaux, de tous les animaux que l’on trouve dans les villes. À Jaipur, sur la route qui mène de l’aéroport aux hôtels, les voitures croisent régulièrement des chariots tirés par des dromadaires à l’allure nonchalante. À Jodhpur, au beau milieu d’un carrefour, une vache somnole. Les chauffeurs, loin de klaxonner, la contourne, tout simplement. Plus loin, un autre ruminant aux longues cornes « broute » les journaux du matin. À Pushkar, ce sont les petits cochons sauvages qui vagabondent dans les rues. Vision surprenante, et mélange d’effluve. Bruit incessant, silence d’or La vie au Rajasthan est vibrante et bruyante. À l’image de ces autorickshaws qui se faufilent partout avec leur moteur de mobylette pétaradant dans les aigus. Bruit de la foule, bruit des marchés, bruit des klaxons. Cliquetis des bracelets de métal et de plastique que les femmes portent en enfilade aux bras. Un bruit continue, qui enivre et qui saoule. Un bruit perpétuel qui réapprend la valeur du silence au fond d’une vallée sur la route de Jodhpur à Udaipur. Ou encore celui qui règne à Jaswant Thada, cénotaphe de marbre blanc dédié au maharaja Jaswant Singh II près de Jodhpur. Magique aussi, le calme des rives du lac d’Udaipur, au centre duquel trône, majestueux, le Lake Palace, un palais édifié par le maharaja Udai et transformé aujourd’hui en hôtel de rêve. Un hôtel où fermer les rideaux relève du blasphème tant il est enchanteur de s’endormir sur les images de l’autre rive où sont illuminées les façades des palais de cette «Venise de l’Orient». Un hôtel baudelérien, qui respire le luxe, le calme et la volupté. Force et douceur des goûts Découvrir la cuisine indienne est une aventure en soi. Une véritable initiation, car le palais doit apprendre à sentir, à passer outre la violence de certaines épices pour percevoir la subtilité d’autres saveurs. La cuisine indienne est à l’image du pays, riche, subtile, complexe et extrêmement diversifiée. D’un État à l’autre, la confection d’un plat variera. Un peu plus de coriandre, un peu moins de cumin… Un dîner indien est un voyage riche en émotion. Plats en sauce, tandoori, poulet tikka, aloo gobi... Chaque plat emmènera le gourmet sur une route différente. Un chemin qui va de surprises en découvertes. Avec cette petite angoisse qui précède chaque première bouchée quant à l’intensité de l’incendie qu’elle va provoquer. Et souvent, l’effet, espiègles épices, est à retardement. C’est après avoir avalé le morceau de poulet, que le chili opère. Deux options s’offrent alors au gourmand cramoisi : avaler de toute urgence un bout de pain appelé roti qui, au Rajasthan, prend plusieurs formes, des naans aux chapati en passant par paratha, ou une cuillérée de riz. La meilleure solution reste toutefois le lassi, sorte de yaourt à boire, sucré ou salé, et dont l’effet apaisant est des plus appréciables. Autre particularité indienne, la cuisine végétarienne présente sur toutes les cartes. Y figurent en bonne place le dhal, lentilles noires ou jaunes, dont la subtilité des arrangements surprend à chaque fois, et le paneer, un fromage non fermenté, dont les épices couvrent magnifiquement l’extrême fadeur. En fin de repas, rien de telle, pour apaiser les papilles, qu’un thé masala, un thé au lait, sucré et agrémenté d’un mélange de douces épices où pointe la cardamome. La cardamome qui est également utilisée, avec l’anis, pour rafraîchir l’haleine. Le principe est simple, il suffit de les croquer. Le toucher, source de sérénité et de sensualité Le toucher, c’est cette foule qui vous heurte, vous frôle, vous évite. Le toucher, c’est également le contact du marbre des temples. Les hindouistes touchent le sol de leur main à l’entrée des temples que l’on ne traverse d’ailleurs que pieds nus. Ranakpur, un temple de marbre blanc niché au creux d’une vallée entre Jodhpur et Udaipur, est l’un des plus vastes et l’un des plus importants temples jaïna d’Inde. Construit en 1429, l’édifice principal, le Chaumukha Temple, compte 29 salles et 1444 colonnes dont aucune n’est semblable à l’autre. L’une de ces colonnes est légèrement inclinée, pour rappeler que seul Dieu est parfait. Le marbre y a été l’objet d’un véritable travail d’orfèvre. Les plafonds font l’effet de grandes pièces de dentelle. Mais, plus que son architecture impressionnante, c’est la sérénité que transmet ce temple qui frappe. Ici, le contact de la pierre est apaisant. Et le voyageur éprouve rapidement le besoin de déambuler seul, de s’asseoir sur ce marbre et de laisser son esprit vagabonder. À Ranakpur, la pierre blanche transmet indéniablement une certaine paix intérieure. Un temple plus petit se dresse un peu plus loin, à l’écart. Sur les murs extérieurs, des danseuses et des corps enlacés. Des scènes que l’on retrouve sur la presque totalité des temples. Scènes d’amour, scènes du Kama Sutra. C’est cela aussi, la sensualité de l’Inde.
Rajasthan – D’Émilie Sueur
Une culture plurimillénaire, des millions de divinités, un milliard d’habitants, des centaines de langues et dialectes. Comprendre l’Inde est une entreprise colossale, qu’un voyageur de passage ne doit même pas envisager. Mais la compréhension de ce gigantesque pays est-elle vraiment essentielle ? Car l’Inde est avant tout une terre...