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Actualités - ANALYSE

Place de l’Étoile - Divergences de vues persistantes sur les articles 60 et 70 de la loi fondamentale La Chambre reporte au 15 mars la suite du débat constitutionnel

C’est encore une fois partie remise, place de l’Étoile, où l’on n’arrive toujours pas à s’entendre sur le point de savoir si la Chambre peut ou non interpréter un article de la loi fondamentale, sans adopter pour cela une loi constitutionnelle. Convoqué pour une première séance ordinaire, lundi dernier, afin de dissiper l’ambiguïté des articles 60 et 70 de la Constitution sur le mécanisme de mise en accusation des présidents, des chefs de gouvernement et des ministres devant la Haute Cour, le Parlement en était toujours à discuter, hier, de la procédure à suivre. Une sorte de débat sur le sexe des anges, brouillon et complexe, qui n’a pris fin qu’avec l’annonce faite par le président de la Chambre, Nabih Berry, de reporter le débat jusqu’au 15 mars afin de donner le temps au bureau de la Chambre et à la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice de s’entendre sur une formule consensuelle, conforme aux textes en vigueur. Si M. Berry n’avait pas tranché de la sorte, les réunions parlementaires se seraient poursuivies, interminables, sans aboutir. Pour chaque point de vue exprimé, c’était une jurisprudence qui était énoncée et il y avait autant de jurisprudences que d’orateurs. Est-ce que le Parlement peut se contenter d’une décision pour clarifier le sens d’un article de la Constitution ou doit-il pour cela voter une loi constitutionnelle ? Faut-il juger les présidents, les chefs de gouvernement et les ministres devant les tribunaux ordinaires lorsqu’ils commettent un crime sanctionné par le code ou devant la Haute Cour ? Si le Parlement se saisit d’un dossier confié à la juridiction ordinaire, les tribunaux doivent-ils automatiquement s’en dessaisir ? Que de questions ont été posées et sont restées sans réponse, hier et lundi dernier. L’importance du débat engagé résidait quand même dans le fait qu’il a mis en évidence le manque de précision des textes en rapport avec le jugement des présidents, des présidents du Conseil et des ministres, dans la mesure où ils pavent la voie à diverses jurisprudences. Mais le problème ne se pose pas tant au niveau des articles de la Constitution que de la loi d’application des articles 60 et 70, en l’occurrence la loi 13 qui fixe le mécanisme de jugement devant la Haute Cour mais qui ne définit pas « les manquements aux devoirs de la fonction » prévus par la loi fondamentale et qui justifient une traduction des présidents, des chefs du gouvernement et des ministres devant la Haute Cour. Parallèlement, la séance a mis en relief, encore une fois, les craintes politiques que suscite le débat autour de l’interprétation de la Constitution et qui ont été exprimées par M. Boutros Harb. Le député de Batroun a ainsi lâché au cours de son intervention une petite phrase sur les mécanismes « qui assurent une protection aux ministres », ce qui a poussé le président du Conseil, Rafic Hariri, à réagir promptement et à réaffirmer l’objectif de la réunion. Contourner la Constitution À l’ouverture de la séance, le député Robert Ghanem tente de convaincre l’Assemblée de l’opportunité d’un report en soulignant qu’il craint qu’une interprétation hâtive d’articles de la Constitution « ne constitue un précédent pour contourner la Constitution ». En vain. M. Berry réaffirme qu’il n’existe aucun lien entre l’examen de la loi 13, que les députés hostiles à une interprétation de la Constitution souhaitent amender en priorité, et l’explication des articles 60 et 70 de la Constitution. M. Ghanem n’est pas le seul de cet avis. MM. Mikhaël Daher, Boutros Harb et Hussein Husseini partagent son point de vue et s’engagent dans un forcing dans le but de barrer la route à une interprétation de la Constitution sur simple décision parlementaire, alors qu’une loi consitutionnelle est, pour eux, nécessaire. Robert Ghanem : « Il faut clarifier en premier ce que signifient les “manquements aux devoirs de la fonction”, avant de se pencher sur les articles 60 et 70. » « Je ne suis pas d’accord », rétorque M. Berry, qui laisse la parole au chef du gouvernement. M. Hariri est outré parce qu’on met en doute la capacité de la Chambre à interpréter la Constitution ainsi que le caractère contraingnant d’une telle initiative. Si M. Omar Karamé est d’accord avec le premier point soulevé par M. Hariri, il ne s’entend pas avec lui sur le second. « Une interprétation de la Constitution basée sur une décision parlementaire n’est pas contraignante pour les tribunaux qui jugent les crimes ordinaires », dit-il en faisant état d’une tendance à soumettre au Parlement la responsabilité des présidents, des chefs de gouvernement et des ministres pour les délits de droit commun. « Non », réplique M. Berry. « L’interprétation de la Constitution donnée par la Chambre est contraignante », commentent MM. Nicolas Fattouche et Nazih Mansour. « Le contraire serait vrai seulement dans les républiques bananières ou kiwiennes », enchaîne le député de Zahlé. « Bon appétit », lâche M. Hariri en s’esclaffant. C’est ensuite au tour de M. Harb de se lancer dans une véritable plaidoirie en faveur de l’interprétation de la Loi fondamentale à travers l’élaboration d’une loi constitutionnelle. Il se base pour cela sur des extraits d’un ouvrage rédigé par l’éminent constitutionnaliste Edmond Rabbat en exprimant le souhait que « la majorité n’exerce pas une dictature sur la minorité ». Piqué au vif, M. Berry se dit désolé d’entendre de tels propos, soulignant que « la réunion se tient dans l’intérêt de la législation » et que c’est « la minorité qui multiplie les menaces à l’adresse de la majorité à travers les journaux, sachant que cette dernière est pour une fois divisée ». Une sorte d’échanges de reproches s’engagent alors entre MM. Berry et Harb qui fait état d’une certaine injustice à son égard. « L’injustice est dans les menaces formulées à travers les journaux », rétorque M. Berry vertement. Et le député de Batroun de répondre : « Je suis fier d’exprimer mon point de vue dans les journaux. Mon avis ne peut pas être considéré comme une menace. Ce que je dis, c’est qu’il n’est pas permis de venir au Parlement tout en sachant qu’une décision a été adoptée à l’avance. » Selon lui, la majorité parlementaire penche pour une interprétation des articles 60 et 70 par le biais d’une simple décision, « ce qui est contraire aux règles constitutionnelles ». Et d’expliquer : « Un article de la Constitution est interprété lorsqu’une affaire déterminée est soumise à la Chambre, et non pas pour se prononcer sur un principe général, une telle démarche nécessitant la promulgation d’une loi constitutionnelle. » Pour lui, la réunion est anticonstitutionnelle. Mais M. Berry ne l’entend pas de cette oreille, et pour lui, les députés confondent l’interprétation et l’amendement de la Constitution. « Edmond Rabbat était mon professeur. Il ne faut pas cependant ignorer qu’il existe de nombreuses jurisprudences. La présidence de la Chambre est soucieuse de respecter les règles de procédure », dit-il, avant de rappeler les différents avis parlementaires exprimés au sujet des deux articles sous examen. « Les divergences de vues nous encouragent à aller de l’avant dans l’interprétation des deux textes. Mais est-ce par une décision ou par une loi ? Par le biais d’une proposition de loi, d’une loi ordinaire ou d’une loi constitutionnelle ? Là est toute la question », poursuit-il en rejetant les propos sur le caractère anticonstitutionnel de la Chambre. La Chambre avait corrigé une erreur M. Husseini reconnaît que la Chambre avait créé un précédent dans les années 80 lorsqu’elle avait, sur simple décision, considéré que les lois sont votées à la majorité des députés vivants. « Mais elle est revenue sur cette erreur quelques années plus tard en votant une loi à ce sujet », explique-t-il, alors que M. Daher précise que lorsque la Chambre met en accusation un ministre à la majorité des deux tiers, c’est comme si elle interprétait la Constitution. M. Bassem Yammout propose la mise en place d’un mécanisme d’interprétation de la Constitution, et M. Nader Succar se range de l’avis des députés favorables à la promulgation d’une loi constitutionnelle, « parce que cette mesure permet aux parlementaires de présenter un recours en invalidation du texte au Conseil constitutionnel et préserve le droit du président de la République de renvoyer la loi à la Chambre ». M. Hariri intervient pour rejeter les propos selon lesquels une interprétation de la Constitution est destinée à assurer une protection aux ministres, avant de se prononcer en faveur de l’amendement de la loi 13. « En toute sincérité et en toute transparence... », poursuit-il, mais M. Fattouche l’interrompt: « Dispensez-nous de la transparence. On se contente de la sincérité. » Le chef du gouvernement ne s’arrête pas sur cette remarque et poursuit en indiquant que c’est le Parlement qui s’est doté du droit d’interpréter la Constitution et que tout ce débat n’aurait pas eu lieu si ce pouvoir revenait au Conseil constitutionnel. Le débat est sans issue. M. Berry décide alors de lever la séance jusqu’au 15 mars pour donner le temps au bureau de la Chambre et à la commission de l’Administration et de la Justice de parvenir à une solution. Entre-temps, la commission s’attaquera à l’amendement de la loi 13. La Chambre devra se réunir cependant de nouveau aujourd’hui, mais pour examiner 35 textes inscrits à son ordre du jour, dont deux projets de loi autorisant le gouvernement à conclure avec la Banque mondiale deux accords de prêt pour le financement de projets de développement des villes historiques ainsi qu’une proposition de loi présentée par M. Salah Honein et autorisant le gouvernement à engager des dépenses sur base du douzième provisoire. Ce texte revêt une importance particulière parce que, en son absence, les dépenses de l’État seraient bloquées à partir de février, la Constitution autorisant le gouvernement à recourir au douzième provisoire durant le mois de janvier seulement. Tilda ABOU RIZK

C’est encore une fois partie remise, place de l’Étoile, où l’on n’arrive toujours pas à s’entendre sur le point de savoir si la Chambre peut ou non interpréter un article de la loi fondamentale, sans adopter pour cela une loi constitutionnelle. Convoqué pour une première séance ordinaire, lundi dernier, afin de dissiper l’ambiguïté des articles 60 et 70 de la...