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Actualités - REPORTAGE

ENVIRONNEMENT - L’État n’a pas encore tranché sur le contrat concernant les compagnies de collecte et de traitement Le surplace inquiétant du dossier des ordures ménagères

Le 14 août dernier, le gouvernement prenait la décision de rompre, dans un délai de six mois, le contrat avec les compagnies Sukleen et Sukomi, qui ramassent, transportent et traitent les déchets de la capitale et du Mont-Liban. Les municipalités devaient utiliser cette période pour se préparer à leur nouvelle tâche, celle du ramassage et du transport des ordures dans le cadre de leurs territoires. Pour ce qui est du traitement, un cahier des charges devait être préparé par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) en vue d’un appel d’offres international pour des contrats de traitement des déchets. Selon le plan prévu, le Liban devait être divisé en quatre zones (de deux mohafazats chacune) qui seraient prises en charge par quatre sociétés (à moins qu’une société ne puisse assumer la responsabilité de plus d’une zone). En principe, chacune de ces zones devait comporter une décharge contrôlée. Que s’est-il passé depuis six mois ? Pas exactement ce qui était prévu, ou plutôt rien de définitif. Comme d’habitude, le cafouillage au niveau des officiels était au rendez-vous, et les compagnies, selon les informations que nous avons pu récolter de sources bien informées, n’ont obtenu aucune notification ni de rupture ni de prorogation de contrat. En fait, c’est un statu quo qui règne en attendant que le comité technique chargé par le gouvernement de ce dossier détermine des sites de décharges dans chaque caza, que le plan soit approuvé par la commission ministérielle concernée et soumis au Conseil des ministres. Ce n’est que si une décision est prise sur ce plan que tout le reste pourra se mettre en place, notamment la préparation du cahier de charges par le CDR, l’appel d’offres et la mise en place d’un plan national de traitement des déchets. Cela se passerait ainsi dans une situation idéale, ce qui n’est pas le cas, comme on l’aura remarqué. Le problème des sites est loin d’avoir été résolu : selon des informations qui ont filtré, dans plus d’un caza, il a été impossible au comité technique de déterminer un endroit valable pour accueillir une décharge. D’ailleurs, si, par le passé, le plan des quatre décharges (une pour chaque zone) avait échoué, c’est parce que le gouvernement n’a pu imposer aucun des sites potentiels, face à une opinion publique en colère, affolée à l’idée de voir les régions concernées devenir de nouvelles « Naamé » (la décharge sanitaire saturée précocement et dont se plaignent les habitants). Devant le refus des populations locales de supporter les déchets d’autres régions, le gouvernement a en fait choisi la solution de facilité, celle d’imposer à chaque caza de traiter les ordures qu’il produit. Le traitement des déchets par caza rime avec catastrophe, selon Akram Chehayeb, président de la commission parlementaire de l’Environnement. « Pour commencer, cela crée un problème économique important puisqu’il n’est pas rentable d’avoir des usines de traitement dans tous les cazas, certains, comme Bécharré, ne produisant qu’un nombre réduit de tonnes par jour, explique-t-il. D’un autre côté, écologiquement, cette solution est un véritable désastre puisqu’elle dissémine le problème et qu’elle augmentera la pression sur les nappes phréatiques. Enfin, dans un État qui a tant de difficulté à imposer le contrôle sur les différentes installations, la surveillance deviendra nettement plus ardue. » Une campagne nationale pour une meilleure gestion des déchets ménagers lancée récemment, et formée aujourd’hui de quelque 90 ONG, s’oppose également à cette solution. « Nous refusons le principe des décharges, surtout si elles sont si nombreuses, parce que nous considérons que cette solution de facilité ne fera que masquer l’incapacité de l’État à gérer de manière efficace ce dossier », explique Habib Maalouf, parlant au nom de la campagne. Il rappelle que l’objectif des ONG est de pousser les autorités à mettre en place un système de tri à la source, de compostage des matières organiques et de recyclage des produits qui peuvent l’être. Par ailleurs, M. Chehayeb a rappelé la volonté des députés de la région du Chouf ainsi que celle des écologistes concernés par la question de fermer, d’ici à un mois, la route qui mène à la décharge de Naamé durant deux à trois jours, afin de « lancer un avertissement au gouvernement qui n’a toujours pas fait de cette affaire cruciale une priorité ». Des ordures dans la capitale ? La question de la destination finale des déchets, aussi cruciale soit-elle, n’éclipse pas l’affaire de la rupture du contrat du gouvernement avec Sukleen et Sukomi et ses possibles conséquences sur la propreté des routes et sur une prise en charge des conseils municipaux. Ce qui est sûr, c’est que le délai a expiré sans qu’une alternative ne soit trouvée et, comme d’habitude, l’on baigne dans le flou le plus total. Nous n’avons pu obtenir de la direction des compagnies des réponses à nos interrogations. Qu’ont fait les conseils municipaux entre-temps ? Interrogé sur ce point, Joe Sarkis, membre du conseil municipal de Beyrouth, rappelle qu’après avoir voulu charger les municipalités du ramassage et du transport des déchets, et face au défi insurmontable que représentait cette responsabilité pour la plupart d’entre elles, le gouvernement a changé d’avis. « Le délai de six mois était largement insuffisant pour permettre aux municipalités de se préparer, explique-t-il. À la municipalité de Beyrouth, nous nous étions réunis plusieurs fois avec les conseils des environs et nous étions prêts à lancer un appel d’offres international pour assurer la relève au niveau du nettoyage des rues. » Le conseil municipal de Beyrouth n’a toutefois pas eu besoin d’aller au bout de cette initiative. « Le 13 novembre, une nouvelle décision a été prise, qui contredit quelque peu celle du 14 août, poursuit-il. Cette décision donne au CDR la responsabilité de préparer un cahier des charges non seulement pour le traitement des ordures, mais aussi pour le ramassage et le transport. En d’autres termes, les municipalités sont déchargées de ce fardeau. » Entre-temps, qui s’occupera du ramassage, du transport et du traitement des ordures ? Il y a de fortes chances que les citoyens ne sentent pas de différence dans l’immédiat, pour la simple raison que, comme l’indique M. Chehayeb, « la rupture du contrat avec Sukleen et Sukomi n’a pas été mise en application, et la situation reste inchangée jusqu’à ce qu’une alternative soit trouvée ». Des candidats à l’appel d’offres ? Alors, quel(s) serai(en)t le(s) successeur(s) de Sukleen et de Sukomi ? Nombre d’observateurs, dont MM. Sarkis et Chehayeb, pensent que la crédibilité de l’État a pris un coup dans ce dossier. Le plan d’urgence mis au point en 1997 à l’issue de la fermeture du dépotoir de Bourj Hammoud n’a pas été un succès total, surtout avec ce qui est communément admis comme étant la saturation précoce de la décharge de Naamé. Les écologistes ont souvent dénoncé le fait que les officiels se sont rendus coupables d’un manque de planification et d’une évidente absence de contrôle. Enfin, la décision brutale de rompre le contrat avec les compagnies, dont la principale raison invoquée était le prix élevé par tonne (pour le ramassage, le transport et le traitement), alors que l’État leur doit encore des sommes importantes et qu’il y aurait des indemnités à leur verser, était la cerise sur le gâteau. M. Chehayeb estime que « les arriérés dus par l’État s’élèvent à 120 millions de dollars, que le prix des avoirs de la compagnie sont de 20 millions et que les pénalités totaliseraient 60 millions ». En tout, une affaire de 200 millions de dollars prélevés dans le budget public, c’est ce que coûterait la rupture du contrat, selon lui. Les porte-parole de la campagne pour une meilleure gestion des déchets ménagers vont encore plus loin : « Pourquoi payer les arriérés dus à la compagnie avant d’effectuer une enquête pour comprendre pourquoi la gestion du dossier a été un échec et a tant coûté à l’État libanais ? Si l’on ne demande pas de comptes aux responsables de ce gâchis, les mêmes erreurs se répéteront. » Dans un tel contexte, se demandent les observateurs, quelle compagnie mondiale serait encouragée à répondre à l’appel d’offres ? M. Chehayeb est catégorique : « À mon avis, aucune compagnie ne va répondre à l’appel d’offres, la gestion de ce dossier ayant été aussi désastreuse qu’elle l’a été. Non seulement les contrats de Sukleen et Sukomi vont être reconduits, et pour l’intégralité du territoire libanais cette fois, mais les compagnies vont également pouvoir améliorer leurs conditions. » Il faut attendre l’appel d’offres pour répondre à ces interrogations. Mais encore faut-il que la question des sites des décharges soit résolue. Ce dossier, dont l’urgence ne s’est jamais fait autant sentir, a tant traîné que nous ne sommes pas près de voir le bout du tunnel. Suzanne BAAKLINI

Le 14 août dernier, le gouvernement prenait la décision de rompre, dans un délai de six mois, le contrat avec les compagnies Sukleen et Sukomi, qui ramassent, transportent et traitent les déchets de la capitale et du Mont-Liban. Les municipalités devaient utiliser cette période pour se préparer à leur nouvelle tâche, celle du ramassage et du transport des ordures dans le...