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analyse - Les rapports entre les chrétiens et le pouvoir Autopsie d’une frustration

C’est sur un air familier que le chef des Kataëb, Karim Pakradouni, a, en quelque sorte, lancé dimanche la campagne de son parti en vue des prochaines échéances électorales, à commencer par les municipales du printemps prochain. Profitant d’une réunion avec des responsables locaux de sa formation, M. Pakradouni a présenté un programme qui tient en quelques mots : soutien indéfectible au président de la République, ainsi qu’un plan d’action tout aussi net et concis : pas d’alliance avec ceux qui cherchent à affaiblir le chef de l’État, nommément l’opposition (chrétienne). Le ministre du Développement administratif n’a pas manqué de rappeler que cette posture s’inscrivait dans la continuité de la ligne politique voulue par le fondateur, Pierre Gemayel, dans une tentative de s’attribuer ainsi la légitimité phalangiste que lui contestent les diverses « dissidences » au sein de la formation. « Prendre parti contre le président de la République, c’est prendre parti contre les chrétiens et contre le Liban. » Au-delà des considérations électorales, il est clair que les propos de M. Pakradouni, délivrés sur un ton dévoilant un ressentiment grandissant à l’égard de tous ceux qui ne partagent pas ce point de vue, posent tout le problème des rapports entre la composante chrétienne du pays et le chef de l’État. Il est vrai que, traditionnellement, le soutien au président en poste fut l’un des credo des Kataëb. Quoi qu’on ait pu penser du bien-fondé de cette politique qui, assez souvent, n’allait pas sans contorsions, elle permettait aux chefs d’État successifs de bénéficier, face à leurs interlocuteurs habituels, de solides appuis au sein de l’opinion chrétienne. Mais cette pratique n’était concevable que dans la mesure où elle était intimement liée à l’idée que l’on se faisait du système politique libanais et, plus spécifiquement, du rôle du président. Or, avant 1990, ce dernier était – à tort ou à raison – perçu par de nombreux chrétiens comme étant le garant de l’indépendance du pays (face à l’environnement arabo-musulman). Cette perception est-elle demeurée intacte sous la IIe République ? On est en droit de se poser la question. Cependant, les affirmations de M. Pakradouni ne s’adressent pas qu’aux phalangistes. C’est l’ensemble des chrétiens du Liban qu’il interpelle, ce qui ne va pas sans incidences sur la nature même du système confessionnel libanais. Décréter qu’en toutes circonstances les chrétiens doivent impérativement se ranger derrière le chef de l’État, quelle que soit la politique de ce dernier, c’est supposer que tous les sunnites en feront de même avec le Premier ministre et les chiites avec le président de la Chambre. Outre le fait qu’elle ignore les réalités complexes de la vie politique du pays, une telle conception tend à confiner le communautarisme dans sa forme la plus rigide, faisant du Liban une juxtaposition de tribus en confrontation permanente et incapables d’être traversées de mouvements d’opinion autres que ceux qu’imposent les sentiments les plus instinctifs de conservation sectaire. Or, même dans une démocratie consensuelle à la libanaise (ou plutôt à laquelle tend le Liban), il y a d’abord le mot « démocratie ». Si l’exercice du pouvoir central y est l’expression d’un consensus entre les communautés, cela ne veut pas dire que ces dernières sont des blocs uniformes, de surcroît orientées à partir du sommet. D’autre part, on voit mal comment le point de vue défendu par M. Pakradouni pourrait être concilié avec une politique qui viserait à renforcer les institutions, à les séculariser, un tel objectif supposant que l’on cesse de confondre la fonction et la personne de celui ou celle qui l’exerce. En fait, les propos du chef des Kataëb ne font qu’exprimer une frustration chez les partisans chrétiens du pouvoir, celle de ne pouvoir opposer aux deux grands blocs parlementaires de Nabih Berry et de Rafic Hariri un troisième groupe de même dimension servant à la fois d’assise et de relais politique au président de la République. Une frustration dont l’expression a eu son point d’orgue dans les événements du 7 août 2001, lorsque les instruments du pouvoir ont réussi à briser dans l’œuf une amorce d’alliance entre l’opposition chrétienne, le Premier ministre sunnite et le chef druze. Mais ce n’était bien sûr qu’un demi-succès, dans la mesure où, après avoir fait échec à une coalition jugée dangereuse, le pouvoir n’est toujours pas parvenu à rallier autour de lui ce qu’on appelle communément « la rue chrétienne ». Dans la logique même de la thèse préconisée par M. Pakradouni, l’unique moyen d’amener une bonne partie du public chrétien à aller dans le sens souhaité consiste à établir un minimum d’interaction entre le pouvoir et la base. En termes clairs, pour que les chrétiens se rapprochent du président, il faudra bien que le président se rapproche d’eux. Cela ne signifie nullement qu’il doive faire siennes les vues des plus radicaux d’entre eux. Au contraire, au train où vont les choses, un jour viendra où, pour contenir ces derniers, les mesures répressives ne suffiront pas. Ce jour-là, il faudra jouir de suffisamment de crédit auprès des modérés pour être en mesure de freiner les ardeurs des extrémistes. Élie FAYAD
C’est sur un air familier que le chef des Kataëb, Karim Pakradouni, a, en quelque sorte, lancé dimanche la campagne de son parti en vue des prochaines échéances électorales, à commencer par les municipales du printemps prochain.
Profitant d’une réunion avec des responsables locaux de sa formation, M. Pakradouni a présenté un programme qui tient en quelques mots : soutien...