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Rencontre - La fondatrice du Théâtre du Soleil invitée par le Centre culturel français de Damas Ariane Mnouchkine, ou l’apprentissage du théâtre par le cœur
Par GEMAYEL Diala, le 19 janvier 2004 à 00h00
Un parcours-marathon pour Ariane Mnouchkine, créatrice, en 1964, du Théâtre du Soleil, institution dramaturgique installée dans une ancienne cartoucherie dans le douzième arrondissement parisien, et pour Juliana Carneiro da Cunha, une des comédiennes de la troupe du Soleil. La rencontre avec le public damascène a été organisée, la semaine dernière, par Djamel Oubechou, directeur du Centre culturel français de Damas et conseiller culturel de l’ambassade de France dans la capitale syrienne, et son équipe. Quatre jours de programme pour le moins chargé, durant lesquels la metteur en scène et la comédienne ont rencontré les étudiants en théâtre syriens ainsi que les journalistes et ont présenté trois projections : «Tambours sur la digue», «Au soleil même la nuit» et «Molière». Elles ont répondu, entre une conférence de presse et une interview avec la télévision, aux questions de «L’Orient-Le Jour».
Damas, de notre envoyée
spéciale Diala GEMAYEL
Ariane Mnouchkine, installée en Angleterre, découvre le théâtre de Shakespeare. Pour elle, tout est dit. À son retour en France, pendant ses études dramaturgiques à la Sorbonne, elle crée, en 1959, l’Association théâtrale des étudiants de Paris. Elle a 20 ans et elle voulait « être heureuse ». « À cet âge, vous savez, on est très prétentieux, confie-t-elle l’œil perçant et le sourire aux lèvres, passant et repassant la main dans une chevelure poivre et sel indomptable. Je voulais tout révolutionner mais surtout je voulais partir avec mes amis sur les routes du monde. L’idée du bonheur, pour moi, c’était déjà la troupe. Pourquoi m’ont-ils suivie à cette époque, je ne saurais vous dire. Ma seule force, c’est la revendication d’être confiante. »
Il suffit, pour comprendre le charisme confondant qui habite Ariane Mnouchkine, de voir Au soleil même la nuit (lire l’encadré), un documentaire qui retrace les 18 semaines de préparation et de répétitions de Tartuffe. La metteur en scène hésite, s’emporte, pleure de joie lorsqu’un de ses comédiens habite enfin son personnage, oblige la troupe à travailler jusqu’à l’aube, pourvu que le miracle se produise. Au Théâtre du Soleil, comme le montre le documentaire, il s’agit avant tout de travail collectif. En effet, c’est avec la troupe entière que se distribuent les rôles. Chacun tente sa chance, selon ses affinités avec le personnage dramatique ou son évolution personnelle.
L’évolution contre la force d’inertie, contre l’« institution », que la metteur en scène ne tolère pas au Théâtre du Soleil. « En 1976, alors que nous connaissions un immense succès, je n’étais plus heureuse. Je subissais la grosse tête de certains acteurs qui s’embourgeoisaient. Cette année-là, j’ai failli tout abandonner. J’ai alors décidé de leur raconter, par un film, ce qu’était une troupe, un metteur en scène aux prises avec ses problèmes. J’ai écrit et mis en scène Molière, et je dois dire que le résultat a été immédiat. Ceux qui devaient partir l’ont fait et ceux qui sont restés ont resserré les boulons et se sont remis au travail. » Un instant pensive, comme repartie sur cette ancienne route, elle ajoute : « J’ai besoin d’ajouter une tempête à des tempêtes existantes. »
Une « interprète »
de danse et de théâtre
1975 : quelques mois avant le début du tournage de Molière, Juliana Carneiro da Cunha assiste, à la cartoucherie où est désormais installée, depuis août 1970, la troupe du Théâtre du Soleil, à une des représentations de L’âge d’or. « J’ai été très impressionnée par ce que j’ai vu et par ce que j’ai découvert de la méthode de travail d’Ariane Mnouchkine. J’ai attendu 1990 pour être acceptée aux stages qu’elle dispense et intégrer la troupe. » Depuis l’âge de six ans, Juliana Carneiro da Cunha, née à Rio de Janeiro et élevée à São Paulo, prend des cours de danse. À 19 ans, elle suit les cours, en Allemagne, de la Folk Wang Schüle, dont est issue la chorégraphe Pina Baush : « On y prend des cours de danse très inspirés du théâtre et appuyés sur l’improvisation. Tout y est très expressionniste. J’y ai appris à interpréter tout en dansant. »
En 1970, deux ans, plus tard, elle va à Bruxelles rejoindre Mudra, l’école de Maurice Béjart. Pendant quatre ans, elle y apprend ce qu’elle recherchait : le théâtre total : « On nous enseignait l’art du cirque, le mime, les percussions. » Elle crée, avec la chorégraphe Maguy Marin, une troupe qui existera quelque temps, jusqu’à la venue de son premier enfant, puis du deuxième. Juliana Carneiro da Cunha retourne alors s’installer au Brésil, où elle travaille comme « interprète », comme elle aime à le dire, c’est-à-dire un dosage adéquat de danse et de théâtre.
La crypte de l’enfance
Largement considérée comme la comédienne-phare du Théâtre du Soleil, elle enseigne à ses élèves « l’apprentissage d’Ariane Mnouchkine et de la troupe et, en particulier, la sensation du texte. C’est avec le cœur qu’on le retient. » Ariane Mnouchkine ajoute avec vivacité que « ce n’est vraiment pas avec la tête qu’il faut jouer, du moins pas tout le temps. Certains des comédiens veulent jouer intelligemment, alors que certains caractères, dans une pièce, peuvent atteindre l’idiotie la plus complète. Il faut respecter cela. »
Toutes deux s’accordent à dire que « le comédien doit savoir préserver la crypte souterraine de son enfance, même si elle est sombre et triste, tandis que le metteur en scène doit respecter cette même enfance. » Ariane Mnouchkine précise qu’« un comédien doué doit croire, absolument, au rôle qu’il joue, aux rôles des camarades qui l’entourent sur scène ». Ignorance pure, foi dans le théâtre et aussi, selon Juliana Carneiro da Cunha, « une capacité d’écoute : un futur bon acteur peut être décelé par sa capacité à simplement enregistrer les conseils et ce qu’il voit de l’expérience des autres ».
Moments marquants
La recette est la bonne et a fait ses preuves au cours de quelque 45 ans de travail, fait d’acharnement et de dévotion. Mais Ariane Mnouchkine ne prend pas le temps de s’arrêter et d’admirer le beau paysage dramaturgique qu’elle a tissé année après année, mise en scène après mise en scène, tempête après tempête. Tout juste accepte-t-elle de se souvenir de quelques moments marquants, qui concernent tous le public, qui vient depuis 30 ans à sa rencontre, dans les magnifiques bâtiments de la cartoucherie ou dans d’autres espaces du monde.
« La règle chez nous est très claire : on n’accède plus dans la salle si on arrive en retard. Mais un jour, une dame est arrivée alors que le spectacle avait déjà commencé. Alors que je lui disais qu’il était trop tard, elle me regarde fixement et me dit : Si vous ne me laissez pas entrer, je perds tout. Que pouvais-je faire d’autre que de lui ouvrir la porte, ce soir-là ? Une autre fois, nous jouions dans un hangar en Allemagne, à guichet fermé. Sur le toit, qui était à 40 mètres au-dessus de nos têtes, j’ai entendu du bruit. C’était des gens qui avaient grimpé, au péril de leur vie, jusque là-haut, pensant pouvoir suivre le spectacle. Ceux-là aussi sont entrés. » Ariane Mnouchkine se souvient et sourit. Après une courte pause, elle ajoute, en baissant un peu la voix : « Les gens ont besoin de théâtre. »
Le Théâtre du Soleil : 40 ans, 27 pièces et 5 films
1964-1965 : Les petits bourgeois, de Maxime Gorki, mise en scène par Ariane Mnouchkine
1965-1966 : Capitaine Fracasse, de Philippe Léotard, d’après Théophile Gautier, mise en scène par Ariane Mnouchkine
1967 : La cuisine, d’Arnold Wesker, mise en scène par Ariane Mnouchkine
1968 : Le songe d’une nuit d’été, de William Shakespeare, mise en scène par Ariane Mnouchkine, adaptation de Philippe Léotard
1968 : L’arbre sorcier, Jérôme et la tortue, de Catherine Dasté, d’après une histoire inventée par les élèves de Sartrouville
1969 : Les clowns, création collective, mise en scène par Ariane Mnouchkine
1970-1971 : 1789, création collective, mise en scène par Ariane Mnouchkine
1972-1973 : 1793, création collective, mise en scène par Ariane Mnouchkine
1974 : 1789, film du spectacle du Théâtre du Soleil, réalisé par Ariane Mnouchkine
1975 : L’âge d’or, création collective, mise en scène par Ariane Mnouchkine
1976-1977 : Molière, film écrit et mis en scène par Ariane Mnouchkine
1977-1978 : Don Juan, de Molière, mise en scène par Philippe Caubère
1979-1980 : Méphisto, le roman d’une carrière, d’après Klaus Mann, mise en scène par Ariane Mnouchkine
Les Shakespeare : 1981, Richard II ; 1982, La Nuit des Rois ; 1984, Henry IV. Mises en scène par Ariane Mnouchkine
1985 : L’histoire terrible mais inachevée de Norodom Shanouk, roi du Cambodge, de Hélène Cixous, mise en scène par Ariane Mnouchkine
1987-1988 : L’Indiade ou l’Inde de leurs rêves, de Hélène Cixous, mise en scène par Ariane Mnouchkine
1989 : La nuit miraculeuse, film réalisé par Ariane Mnouchkine, scénario d’Ariane Mnouchkine et de Hélène Cixous
Les Atrides : 1990, Iphigénie à Aulis, d’Euripide ; 1990, Agamemnon, d’Eschyle ; 1991, Les Choéphores, d’Eschyle ; 1992, Les Euménides, d’Eschyle. Mises en scène par Ariane Mnouchkine
1993 : L’Inde, de père en fils, de mère en fille, mise en scène par Rajeev Sethi
1994 : La ville parjure ou le réveil des Erniyes, de Hélène Cixous, mise en scène par Ariane Mnouchkine
1995-1996 : Le Tartuffe, de Molière, mise en scène par Ariane Mnouchkine
1996-1997 : Au soleil même la nuit, film d’Éric Darmon et de Catherine Vilpoux, en harmonie avec Ariane Mnouchkine
1997 : Et soudain des nuits d’éveil, création collective en harmonie avec Hélène Cixous, mise en scène par Ariane Mnouchkine
1998 : Tout est bien qui finit bien, de Shakespeare, mise en scène par Irina Brook
1999 : d’après La ville parjure ou le réveil des Erniyes, film de Catherine Vilpoux, image d’Éric Darmon
1999 : Tambours sur la digue, de Hélène Cixous, mise en scène par Ariane Mnouchkine
2003-2004 : Le dernier caravansérail (Odyssées), création collective, mise en scène par Ariane Mnouchkine.
Un parcours-marathon pour Ariane Mnouchkine, créatrice, en 1964, du Théâtre du Soleil, institution dramaturgique installée dans une ancienne cartoucherie dans le douzième arrondissement parisien, et pour Juliana Carneiro da Cunha, une des comédiennes de la troupe du Soleil. La rencontre avec le public damascène a été organisée, la semaine dernière, par Djamel Oubechou, directeur du...
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