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Actualités - REPORTAGE

Sur les campus Analyse du concept développé par Sélim Abou Le mouvement estudiantin face aux défis de la résistance culturelle

La « résistance culturelle ». Le concept, développé par l’ancien recteur de l’Université Saint-Joseph (USJ), le père Sélim Abou, dans son discours annuel à l’occasion de la Saint-Joseph, le 19 mars 2003, « Les résistances de l’université », apparaît aujourd’hui comme la seule dynamique « politique » digne de ce nom sur la scène estudiantine. Preuve en est, ce concept a été repris par la majorité des candidats aux élections estudiantines à l’USJ, particulièrement à la faculté de droit où la résistance culturelle s’impose progressivement comme le moteur de la renaissance du mouvement estudiantin d’après-guerre. Dans son discours du 19 mars 2003, le père Abou reprend ce qu’il avait dit à plusieurs reprises devant les représentants des étudiants venus lui demander un conseil paternel et avisé, à la suite d’une manifestation ayant mal tourné et s’étant soldée par des arrestations et l’hospitalisation de jeunes blessés : « Il y a plusieurs manières de résister à l’oppression : des actions ponctuelles, bien préparées, imprévisibles et spectaculaires, ou des actions symboliques que ne peuvent atteindre ni les crosses des fusils, ni les canons d’eau, ou encore des activités intellectuelles susceptibles d’éclairer les options et d’affermir les convictions. » Sans exclure le recours, inévitable dans certaines conditions, aux manifestations – probablement la seule manière de s’approprier l’espace public de la rue pour perpétuer les revendications – le père Abou propose « d’autres moyens de résister » pour les étudiants peu disposés à mettre leur intégrité physique en péril ou très peu convaincus de l’utilité d’une telle forme de mobilisation. L’adoption du principe de la résistance culturelle par les jeunes de l’USJ, et par d’autres étudiants d’universités diverses, s’est traduit durant l’année 2003 par une diminution du nombre des manifestations, qui restent principalement l’apanage du Courant aouniste. En revanche, les étudiants font preuve, un peu plus chaque année, d’un sens de l’innovation au niveau du message de contestation à transmettre aux autorités. Le nombre de débats interétudiants, de conférences culturelles, d’activités sociales ne cesse d’augmenter, d’année en année. Il est ainsi beaucoup plus facile aux membres actifs de la société civile et aux personnalités politiques de diffuser leurs idées, et surtout de faire face à la critique des étudiants, sur les campus. Par ailleurs, les étudiants manifestent de plus en plus d’intérêt à la culture des libertés et des droits de l’homme, aux problèmes sociaux, économiques et éducatifs, comme l’atteste la participation des étudiants de toutes les universités à la manifestation organisée par la Ligue des professeurs à plein temps de l’UL. Les problèmes « micropolitiques », ceux des étudiants sur les campus (service social, frais de bibliothèque, carte d’étudiant, forums des métiers, orientation sur le marché du travail, contact avec les anciens de l’université), occupent de plus en plus les responsables estudiantins. Ainsi les campus cessent-ils d’être un réceptacle d’idées pour devenir actifs, générateurs d’idées, innovateurs. De plus, les jeunes, toutes universités confondues, œuvrent sur des thèmes profonds, délicats, d’une importance capitale, comme celui de la mémoire collective. L’occasion s’est présentée l’an dernier avec le projet d’Amal Makarem sur « La mémoire pour l’avenir ». De même, à l’USJ, l’an dernier, un certain nombre de journées ont été consacrées aux personnalités qui forment désormais une certain creuset national pour la mémoire collective de la guerre : Kamal Joumblatt, Camille Chamoun, Béchir Gemayel, Moussa Sadr, Hassan Khaled, René Moawad... À en juger par les résultats de l’année écoulée, la résistance culturelle prendrait ainsi progressivement sa pleine dimension, celle d’une résistance civique, constructive, véritablement « politique », et non plus dirigée seulement contre la présence des forces armées étrangères. Le retrait syrien devient désormais envisagé, non plus comme un but en soi, mais comme un obstacle fondamental, qu’il faut neutraliser, à la renaissance d’un Liban pluriel, civil et démocrate. Semi-victoire ou semi-échec ? Il faut cependant se garder de brosser un tableau idyllique de la scène estudiantine d’après-guerre. Car si la résistance culturelle, toujours au stade embryonnaire, a relativement gagné du terrain, certains éléments continuent de la mettre en échec, d’empêcher son développement. D’ailleurs, tout le monde n’est pas d’accord, et c’est là où le bât blesse véritablement, tant sur les moyens à mettre en œuvre que sur sa finalité. Parmi les problèmes qui se dressent face à ce type de résistance : – La persistance d’un comportement politique traditionnel chez les étudiants. Une étude réalisée récemment à l’USJ le prouve et ce, même si le problème touche toutes les universités. Si les idées motrices d’un changement foisonnent, certains étudiants sont encore prisonniers des structures partisanes obsolètes héritées de la guerre, ou, pire encore, des structures claniques, familiales et féodales. Autant de coups portés à la citoyenneté de demain. Le terrain des idéologies vieilles et désuètes n’a pas encore complètement cédé la place à l’exigence du renouveau, à une « Nahda » culturelle et politique qui contribuerait à donner un grand coup de pied dans la termitière. Et ce, même si les structures partisanes sont sérieusement en baisse dans les universités, face au phénomène des « indépendants » qui gagne en ampleur d’année en année (la même étude réalisée à l’USJ place en tête des personnalités appréciées par les étudiants Gébran Tuéni et le patriarche Sfeir. Deux figures a-partisanes par excellence). D’autant que ces querelles de clochers héritées de la guerre empêchent la formation d’un front uni des étudiants libanais. Conséquence de ce statisme relatif, les bagarres inciviles et sanglantes qui se produisent souvent sur les campus lors de certaines échéances électorales, comme lors des dernières élections à la NDU, à l’AUB ou à l’UL. Pire encore, la reproduction, parfois, des mêmes schèmes traditionnels qui caractérisent les milieux sclérosés de la classe politique. Pour faire face à ce problème, un groupe d’étudiants avait préconisé la création d’un Cénacle culturel moderne – à l’instar de l’institution créée par Michel Asmar dans le Liban de l’après 43 –, axé sur la nécessité de permettre à une nouvelle élite politique et culturelle, jeune, d’émerger. Comme le dit le président du bureau de la faculté de droit de l’USJ, Amine Assouad, « le Liban manque cruellement d’intellocratie, et d’effectifs pour une renaissance culturelle ». – Les slogans. « La réflexion est l’ennemie des slogans : la réflexion exige un effort intellectuel, le slogan atteste d’une paresse mentale ; la réflexion vise la clarté, le slogan se plaît dans la confusion ; la réflexion demande du courage, le slogan s’accommode de la lâcheté », écrit le père Abou. Les étudiants mènent encore leurs batailles à coups de slogans hérités de la guerre, désormais inadaptés. Pis encore, d’autres slogans ne sont pas accompagnés d’une volonté de concrétisation. Et le meilleur moyen de porter atteinte à un slogan est de le garder à l’état de slogan. – Le laxisme et la démobilisation. « Notre élite émigre en masse. Comment organiser une résistance culturelle dans ces cas-là ? », affirme Jamil Moawad, président du bureau de l’Institut de sciences politiques de l’USJ. Le désintérêt du politique de plus en plus grand chez les jeunes, phénomène mondial, est un cancer qui ronge le mouvement estudiantin. Le moyen d’y remédier est la création de projets ciblés, concrets et orientés, sociaux et culturels, pour impliquer les étudiants et les encourager à rester au Liban. La création de la carte d’étudiant, qui permettrait à tous les jeunes de bénéficier de réduction dans certains endroits (restaurants, pubs, cinémas) et de vivre enfin pleinement leur statut d’étudiant, pourrait s’avérer être un pas de géant dans ce sens. Selon un étudiant de l’USJ, la résistance culturelle « tourne de plus en plus à la résistance paresseuse, et c’est de la faute des responsables estudiantins ». – Le manque d’organisation. Tant à l’échelle universitaire qu’interuniversitaire. On est loin des structures qui ont fait la gloire du mouvement estudiantin des années 70. « Il n’y a pas de continuité au sein de l’action estudiantine, parce qu’il n’y a aucun suivi d’une année à l’autre, d’un bureau à l’autre. Il en résulte que les projets restent à l’état théorique, sans aucune concrétisation », affirme Wissam Kotait, ancien président à la faculté des sciences humaines de l’USJ. – L’absence de dialogue. « Je ne suis pas contre la résistance culturelle, mais il est nécessaire de la redéfinir, de l’élargir. Elle doit être orientée vers l’acceptation de l’autre dans ses différences, vers le dialogue et le pluralisme », affirme Waël Bou Faour, ancien responsable des étudiants progressistes. En d’autres termes, pour s’imposer définitivement comme catalyseur d’un mouvement estudiantin neuf et moderne, la résistance culturelle doit être fondée sur le principe du partenariat avec les autres universités. Sans pour autant aboutir à un mouvement fondé sur un consensus tronqué, c’est-à-dire une série de compromis qui la viderait de son essence même : la reconstruction politique du Liban d’après-guerre sur des bases saines, souveraines et démocratiques. Michel HAJJI GEORGIOU
La « résistance culturelle ». Le concept, développé par l’ancien recteur de l’Université Saint-Joseph (USJ), le père Sélim Abou, dans son discours annuel à l’occasion de la Saint-Joseph, le 19 mars 2003, « Les résistances de l’université », apparaît aujourd’hui comme la seule dynamique « politique » digne de ce nom sur la scène estudiantine. Preuve en est, ce...