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Actualités - OPINION

Ancien prisonnier des geôles syriennes, Joseph Hallit vient d’obtenir un diplôme de l’USJ Renaître à la vie quand le dossier des détenus en Syrie demeure tabou

Joseph Hallit a 43 ans. Il fait partie du dernier groupe de détenus libanais libérés des geôles syriennes en décembre 2000. Ils étaient 54 prisonniers à rêver de retrouver leur pays après de longues années d’absence, mais ont vite été rattrapés par la réalité. Rares (voire aucun) sont ceux qui ont réussi à se refaire une place dans la société. Joseph Hallit vient d’obtenir un diplôme de l’Université Saint-Joseph. Il est probablement l’exception qui confirme la règle. Joseph a passé huit ans dans les geôles syriennes, dont plus de quatre dans une cellule individuelle d’un mètre par quatre-vingt-dix centimètres. Il était âgé de 31 ans lorsqu’il avait été arrêté et accusé de « collaboration avec les Forces libanaises ». Il venait d’achever ses sept ans de médecine et comptait se rendre aux États-Unis pour poursuivre ses études. Il s’était donc rendu en Syrie pour un visa... L’étudiant, qui vient de soutenir son projet de mémoire à l’USJ lui permettant d’obtenir un Master (MBA) en gestion de la santé et de la protection sociale, vous reçoit au centre de l’Ajem (Association justice et miséricorde) à Antélias, ouvre son ordinateur personnel, montre son projet et les photos prises au cours de sa soutenance. « Si j’ai réussi, c’est grâce au soutien de l’USJ », indique-t-il, évoquant son parcours. « Tout s’est vite passé après ma sortie de prison », dit-il. « Après une entrevue avec le patriarche Sfeir et l’intervention du ministre de la Santé Sleimane Frangié, j’ai trouvé un emploi dans un centre de prévention de la YMCA à Horch Tabet », raconte-t-il, rappelant que, de par sa spécialisation en médecine, il avait tenu quelques années avant sa libération des geôles syriennes la pharmacie de « la prison politique » de Saydnaya. À l’instar d’autres prisonniers, Joseph fréquente alors dès sa libération les membres d’associations des droits de l’homme, rencontre des gens et fait la connaissance d’un professeur à l’USJ, M. Toubia Zakhia. L’université venait de lancer le Master de gestion de la santé et de la protection sociale et M. Zakhia propose à Joseph de tenter sa chance. « Grâce à son intervention auprès de l’ancien recteur, le père Sélim Abou, l’USJ m’a accordé 50 % de réduction sur les frais de scolarisation et m’a permis de bénéficier d’un crédit », raconte Joseph. Et d’ajouter : « C’est bien grâce à l’Université Saint-Joseph si je suis là aujourd’hui. Elle m’a donné une nouvelle vie. » « J’ai déjà connu le pire » Et pour financer sa scolarité ainsi que l’achat d’un ordinateur portable, Joseph s’accroche à son travail auprès de la YMCA. « Ce sont mes cours à l’université qui ont permis ma réinsertion ». Avant d’entamer ses études à l’USJ, Joseph devait suivre une session de remise à niveau de la langue française au CCF. « C’était le plus dur, car je me suis retrouvé avec des adolescents de 12 et de 15 ans », dit-il. Et de poursuivre : « Les premières semaines à l’université étaient très difficiles : j’enregistrais les cours, je n’arrivais pas à suivre, je ne pouvais pas prendre note... Bref je ne comprenais pratiquement rien ». « N’était-ce le soutien de mes profs, je n’aurais jamais tenu le coup », ajoute-t-il. Devant autant de difficultés n’a-t-il pas voulu baisser les bras ? « Je n’avais plus rien à perdre », répond-il. « Jusqu’à présent je sais que les pires moments de ma vie – les 2 956 jours soit les huit ans en prison – sont derrière moi », indique-t-il, soulignant : « Je savais aussi que poursuivre des études n’allait me faire que du bien. » Joseph s’est donc accroché. « Dès le début, juste quelques semaines après ma sortie, j’ai voulu me réinsérer dans la société », dit-il. Et l’ancien prisonnier s’est accroché à tout, comme un naufragé s’accroche à n’importe quelle bouée, n’importe quelle planche de salut. Il fréquente donc l’université, travaille auprès de la YMCA, effectue du bénévolat auprès de prisonniers de Roumié dans le cadre des activités de l’Ajem et se trouve encore un emploi auprès d’Auxilia. Quand on demande à Joseph pourquoi et comment il a réussi sa réinsertion, alors que d’autres, beaucoup d’autres anciens détenus en Syrie ne l’ont pas fait, il répond : « Peut-être parce que je suis célibataire ». Et il explique : « Mes anciens compagnons de cellule étaient tous mariés, ils sont rentrés au pays après des dizaines d’années et ils devaient se réadapter à leurs familles ». « De chefs de famille, ils sont devenus dépendants de leurs frères, sœurs et épouses et ils ne reconnaissaient plus leurs enfants », ajoute-t-il. « Je n’ai pas eu à me réadapter de cette manière, je n’ai pas senti que j’ai toute une famille à prendre en charge alors que je n’ai plus les moyens de le faire. Pour moi aussi c’était dur mais autrement », dit-il. Joseph se souvient qu’à sa sortie de prison, les habitants de son village de Ryak (Békaa) ont « préféré » qu’il vive à Beyrouth. « Ils ne voulaient pas avoir des problèmes avec les Syriens présents dans la région », explique-t-il. Une fois dans la capitale, Joseph n’a pas revu beaucoup d’anciennes connaissances, n’a pas eu à se comparer à elles ou encore à demander de l’emploi à des personnes qu’il connaissait avant son emprisonnement. « Mine de rien, tout ça m’a beaucoup aidé », dit-il. Joseph sait que pour lui et pour ses autres compagnons de cellule, la vie ne sera plus jamais la même. Il est conscient aussi que beaucoup reste à faire surtout que le sujet des ex-prisonniers (et des détenus) dans les geôles syriennes demeure tabou. Ne jamais baisser les bras Pour son diplôme, Joseph a choisi le thème de la réhabilitation des prisonniers. Il a imaginé un centre où les anciens prisonniers – qu’ils soient ex-détenus en Syrie, en Israël ou au Liban – sont pris en charge sur le plan financier, social et psychologique. Le centre devrait par exemple leur accorder la sécurité sociale, leur assurer un suivi psychologique et surtout leur apprendre de nouveaux métiers ou encore remettre à jour leurs connaissances. « Quand nous sommes sortis de prison, nous avons frappé à toutes les portes que ce soit Médecins sans frontières, les ambassades occidentales ou encore l’Union européenne pour demander de l’aide », raconte Joseph, « mais nous ne savions pas formuler nos besoins », ajoute-t-il. « Maintenant nous avons un projet bel et bien élaboré prêt à être mis en place », dit-il. Ne jamais perdre espoir, ne jamais baisser les bras. Joseph Hallit ne veut pas être présenté comme un homme exceptionnel. Il estime que si d’anciens prisonniers avaient eu l’occasion de trouver un emploi ou encore de suivre à nouveau des études, ils auraient également réussi leur réinsertion. Au cours de ses huit ans de détention, Joseph a tout enduré sans jamais perdre espoir. « Je savais que j’allais sortir un jour et puis en prison c’est la première insulte qui compte... Après, tout le reste fait partie des détails », dit-il. Sa force jusqu’à présent il la puise en Dieu et en « une cause ». « J’ai un frère martyr, il est mort en défendant le Liban en 1989 », indique-t-il. Il y a un peu plus de trois ans, un Joseph Hallit, maigre et pâle, recevait les siens et les journalistes à sa sortie de prison et lançait à qui veut l’entendre : « Téléphones portables, antennes paraboliques et Internet, connais pas ; j’ai besoin d’un stage de réhabilitation. » Hier, il était en bonne forme derrière son ordinateur portable. Pour lui, comme pour tous les autres anciens détenus dans les geôles syriennes, la vie ne sera plus jamais la même. Mais Joseph, lui, a eu la chance d’être plus qu’un survivant... Désormais, il peut mener une vie presque normale, avec la promesse d’un meilleur – ou d’un autre – avenir. Patricia KHODER
Joseph Hallit a 43 ans. Il fait partie du dernier groupe de détenus libanais libérés des geôles syriennes en décembre 2000. Ils étaient 54 prisonniers à rêver de retrouver leur pays après de longues années d’absence, mais ont vite été rattrapés par la réalité. Rares (voire aucun) sont ceux qui ont réussi à se refaire une place dans la société. Joseph Hallit vient...