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Actualités - OPINION

La triche

Extraordinaire Amérique où un cow-boy de président, exploitant à fond le terrible traumatisme causé par les attentats terroristes du 11 septembre 2001, réussit en un tournemain à embrigader la nation tout entière dans une guerre lointaine contre le coupable de son choix, l’Irak de Saddam Hussein, chargé pour l’occasion de tous les maux de la création. Stupéfiante Amérique où l’on ne saurait exclure vraiment pour autant que George W. Bush, comme dans quelque thriller politique, ait lui-même été berné par ses propres services de renseignements, par son propre vice-président le tout-puissant Dick Cheney, par ses propres généraux et par tous les faucons nichés dans les arcanes du Pentagone. Et admirable Amérique tout de même, où l’action démocratique peut permettre de jeter une lumière crue sur les zones d’ombre. Heureuse Amérique oui, où des élus, des fonctionnaires, des journalistes – souvenez-vous de l’affaire Watergate – détiennent eux aussi une belle part de pouvoir : celui notamment de forcer les gouvernants à rendre compte de leurs actions comme de leurs propos ; celui aussi de s’en remettre au verdict d’une opinion publique souvent bon enfant et candide mais parfois aussi bien sourcilleuse et parfaitement consciente en tout cas du poids qui est le sien. En ordonnant lundi l’ouverture d’une enquête bipartisane sur les raisons ayant amené la CIA à estimer que Saddam possédait des armes de destruction massive, le chef de l’Exécutif américain n’a fait que céder, contraint, au très vaste mouvement de contestation créé par la lapidaire petite phrase de celui qui fut le chef des inspecteurs américains et britanniques en Irak David Kay, déposant il y a quelques jours devant une commission parlementaire : « Il s’avère que nous nous sommes tous trompés, et c’est très ennuyeux. » D’autres, aussi bien républicains que démocrates, ont charitablement usé du même genre d’euphémisme pour déplorer le « manque de franchise » de l’Administration. C’est dire les mois difficiles qui attendent George W. Bush, même si les résultats de l’enquête sur cette colossale opération d’intoxication qui a conduit à l’invasion de l’Irak ne seront publiés qu’en 2005, c’est-à-dire après l’élection présidentielle de novembre prochain. Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir, la cote de popularité du pensionnaire de la Maison-Blanche, naguère considérable, est tombée sous la barrre fatidique des 50 %, au point que le Washington Post lui prédit déjà la même fin de carrière que son père, auteur de la première guerre contre l’Irak et incapable pourtant de s’assurer un deuxième mandat. C’est le même phénomène de désaffection qu’affronte d’ailleurs le Premier ministre britannique Tony Blair qui, dès hier, et toujours prompt à suivre les Américains à la trace, a dû se plier à son tour à l’impérieuse nécessité d’une enquête. Quoi qu’il en soit, nul désormais ne peut croire aux explications emberlificotées de Bush ou du secrétaire d’État Colin Powell selon qui Saddam cherchait pour le moins à se procurer des armements sales, si bien que tôt ou tard la guerre aurait fini par avoir lieu. Cette perte de crédibilité est d’autant plus évidente que la chimère d’un Irak pacifié par l’armada US se trouve tous les jours démentie par les attentats visant indistinctement GI’s, policiers locaux et maintenant des objectifs kurdes ; une autre chimère, celle d’une rapide démocratisation de l’Irak, se heurte à la tenue d’élections libres, tâche pour laquelle la superpuissance américaine en est réduite à mendier la coopération de cette même Onu qu’ hier encore elle écrasait de son mépris. Ce qui vient de changer en Amérique, c’est que le bien-fondé de l’aventure irakienne figure désormais au nombre des préoccupations de l’électorat, même s’il ne vient qu’après l’économie, l’emploi, le système sanitaire et le terrorisme. C’est encore bien peu, et c’est cependant énorme. Surtout quand on voit tous les candidats démocrates à la succession de Bush scander en chœur ces mêmes options que commande le simple bon sens et qui sont l’antithèse de tout le style Bush : pour puissants qu’ils soient, les États-Unis ne peuvent faire de l’arrogance une politique étrangère en règle, il leur faut réparer les relations mises à mal avec les pays alliés, jouer le multilatéralisme, engager le dialogue avec des pays comme l’Iran et la Corée du Nord, s’impliquer sérieusement dans le processus de paix moribond au Proche-Orient, tendre la main au monde musulman. À tous ces impératifs que se sont égosillés à clamer des pays comme la France, mais seulement pour essuyer le courroux américain, George W. Bush devra bien opposer autre chose à la fin que le patriotard programme décliné par son nouveau budget : des crédits-record pour la défense, des économies partout ailleurs... à l’exception des plans d’encouragement à l’abstinence sexuelle et aux « mariages sains ». Bon moralisateur ne saurait mentir !
Extraordinaire Amérique où un cow-boy de président, exploitant à fond le terrible traumatisme causé par les attentats terroristes du 11 septembre 2001, réussit en un tournemain à embrigader la nation tout entière dans une guerre lointaine contre le coupable de son choix, l’Irak de Saddam Hussein, chargé pour l’occasion de tous les maux de la création.
Stupéfiante...