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Actualités - CHRONOLOGIE

THÉÂTRE - « Bint Asl » de Jad el-Hage au Monnot Vengeance de femme

Pièce cruelle et d’une noirceur insoutenable malgré un humour corrosif et une certaine poésie. Sur une scène au décor minimaliste, avec une table, deux chaises, un canapé léger comme une épure et un panneau tel un claustra japonais, l’atmosphère est à une modernité froide où grouillent pourtant tous les malheurs et les contradictions du monde. Une femme entre dans cette chambre d’hôtel anonyme et se noue le drame, dès les premières paroles, à peine les valises déposées à la porte d’entrée par un valet qui a sans nul doute la vocation d’écouter longuement et patiemment les clients de passage. Bint Asl (Une fille bien née) de Jad el-Hage – au théâtre Monnot – est un monodrame bien sombre, mis en scène avec doigté, finesse et sobriété par Gabriel Yammine (qui n’est guère affublé, fort heureusement, de son débilitant et irritant personnage télévisuel de Saber) et âprement défendu par Darina el-Jundi, une comédienne qui joue la tragédie avec un art consommé. Car c’est bien de tragédie qu’il s’agit. Une femme encore séduisante, en tailleur sage et élégant, genre BCBG, sans bijoux au cou, avec, unique fantaisie d’un caractère probablement singulier, une lanière en cuir à la cheville, occupe l’aire de la flaque de lumière. Une femme dérangée et faussement calme, fumant un peu trop nerveusement une cigarette et obsédée par un flot de souvenirs dont elle se libère comme en une confession impudique. Une femme répudiée, séduite et abandonnée, qui livre ses enfants à son ex-mari qui convole en secondes noces. Oui, Médée est là dans sa version moderne et libanaise. Car Madame est écœurée de sa vie et a concocté une vengeance terrible en restituant à l’infidèle une boîte à bijoux « explosive », qui n’a rien d’innocent. Mais en apparence, devant les spectateurs invités à écouter son discours chargé de haine, de remords, d’aveux poignants, d’images suffocantes, tout est encore lisse et impassible, comme ce décor glacial qui l’entoure. Droite, tendue comme une corde qui va casser, d’une nervosité à peine cachée, cette femme a beaucoup à dire au public. Une vie tissée de mensonges et d’illusions pour un homme veule et abject, un prototype des seigneurs de la guerre sans foi ni loi, un hors-la-loi qui n’aime que les combines illégales et juteuses, la mort et le sang. Tout cela formulé avec des mots qu’elle affûte et lance comme des dards brûlants et empoisonnés. Et se déroule le film des années qui passent. De la projection sur l’écran du panneau du fond de scène au devant de la rampe, les images et les gestes se téléscopent et se confondent. Du rêve à la réalité, les frontières deviennent brusquement presque floues. Des élans d’une enfance heureuse avec un frère aimé et pacifiste, aux amours orageuses (et dont elle a aujourd’hui honte) de l’âge adulte pour un « abadaye», un « rayess » des barricades, l’évocation est douloureuse et les souvenirs amers. Et tout bascule des rires de l’enfance aux sanglots du désespoir. Un destin est cédé, presque bradé pour les battements insensés d’un cœur trop vite épris. Et tout vole en éclats à la cadence et avec la poisse du vacarme des armes . Mort du frère, âme sensible incompatible avec la violence aveugle, triviale trahison conjugale, démission d’un mari plus porté aux armes qu’aux soins de sa femme et de ses enfants, horreur des attitudes sanguinaires et machistes de ceux qui ont connu l’inqualifiable ivresse de tuer : voilà le déballage en cris, larmes et révolte d’une femme qui a tout perdu. Une femme qui a frayé avec l’odieux et l’inadmissible et s’en repent. Réquisitoire mordant contre les excès et les abus d’un militarisme dévoyé certes mais aussi touchante éducation sentimentale d’une femme qui a payé trop cher le prix de son choix . Le texte de Jad el-Hage, dense et tendu, ne recule ni devant les verdeurs de langage ni devant certains moments d’une poésie impalpable, encore moins devant un humour grinçant et presque involontaire face à l’ampleur et à la profondeur de la détresse humaine. Long monologue d’une insolente violence verbale englobant la révélation du cœur en noir d’une femme bafouée et le noir vedettariat des « flingueurs » qui ont tristement régné sur ces nauséabondes années de guerre. Constat ou leçon à tirer de tant d’aberrations et de folies ? Le temps ne nous l’a pas encore dit. Mais il est certain que Bint Asl est une œuvre qui secoue et ne laisse pas le spectateur indifférent. Edgar DAVIDIAN
Pièce cruelle et d’une noirceur insoutenable malgré un humour corrosif et une certaine poésie. Sur une scène au décor minimaliste, avec une table, deux chaises, un canapé léger comme une épure et un panneau tel un claustra japonais, l’atmosphère est à une modernité froide où grouillent pourtant tous les malheurs et les contradictions du monde.
Une femme entre dans...