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Dix-sept victimes sont originaires de ces deux villages du Liban-Sud À Jwaya et Kharayeb, le jour le plus triste(photo)

Il est quinze heures dans le village de Jwaya (Liban-Sud), qui vit l’un des jours les plus tristes de son histoire. Sous un soleil de plomb défilent les cercueils de cinq des sept victimes originaires de ce village, tuées lors du crash de l’avion de UTA à l’aéroport de Cotonou, au Bénin, cinq jours plus tôt. Autour du cortège se presse une foule immense, recueillie, en prières. Les mines sont allongées, les yeux tristes. Le silence pesant n’est brisé que par les femmes en pleurs, les prières et les cris des quelques enfants présents, inconscients du drame qui se déroule sous leurs yeux. Comme tant de villages libanais, Jwaya vit dans le choc de l’horrible nouvelle qui a endeuillé les fêtes de fin d’année.
Comme dans tout le Liban-Sud, les drapeaux noirs sont levés partout. Sur des banderoles, noires également, figurent des messages de condoléances ou des inscriptions à caractère religieux. Un grand nombre de voitures circulent avec les photos des victimes. Une bonne partie des commerces est fermée dans une ville comme Tyr, alors que la vie est quasiment suspendue dans les villages durement touchés comme Jwaya. Le deuil généralisé est une affaire de solidarité, évidemment, mais pas seulement cela. « Dans un village comme le nôtre, tout le monde est parent d’une façon ou d’une autre, tout le monde se connaît », remarque Ali Zein, un habitant de Jwaya.
Les victimes dont les obsèques ont eu lieu hier à Jwaya sont au nombre de cinq, essentiellement des pères de famille, ainsi qu’une mère et sa fille. Autant de vies brisées dans une même tragédie. Les deux dernières victimes, les enfants Hussein et Mohammed Lakkis, ne seront enterrées qu’aujourd’hui, afin de permettre à leur père Khalil de rentrer du Sierra Leone pour assister aux obsèques.
Jamal Ali Nazzal venait d’émigrer en Afrique il y a tout juste deux mois. Il revenait passer les fêtes avec sa famille et ses enfants, pour le bien-être desquels il avait pris la décision de s’expatrier. Kassem Mohammed Nazzal, la cinquantaine, était membre du conseil municipal. Sa chance ayant tourné au Liban, c’est pour ses neuf enfants, aujourd’hui orphelins, qu’il avait pris la route de l’Afrique. Racha Lakkis et sa toute jeune fille Salam ont elles aussi péri dans l’accident. La mère avait tout juste 21 ans...
Le cas de Abdallah Hachem est particulièrement poignant, ce qui fait évoquer à son cousin, Mohammed Zaki Choummar, le terme de « fatalité ». Abdallah Hachem, qui n’était pas supposé rentrer au pays en cette saison, s’était en effet senti mal il y a quelques jours. Ne voulant pas attendre les résultats des examens effectués en Afrique, il décide à la dernière minute de s’embarquer sur l’avion de la mort. Il était père d’un garçon.
Dans un village où chaque famille compte au moins un émigré, le coup est très dur, et l’on s’en prend à penser aux siens en partageant la douleur des foyers touchés par le deuil. « Le village est paralysé depuis la tragédie, personne n’a le cœur de vaquer à ses occupations quotidiennes », raconte une femme qui a préféré rester anonyme. « Mes quatre enfants sont en exil. Qui encore oserait leur demander de rentrer au pays ? »

Des histoires poignantes
La scène poignante des cercueils défilant parmi la foule, au son des prières des cheikhs, des familles et des habitants, s’était produite le matin même dans un autre village sudiste au nord de Tyr, Kharayeb. Cette localité a été davantage touchée que la précédente, avec neuf de ses fils parmi les victimes. Dans l’après-midi, ce village de quelque 10 000 habitants paraît immobilisé par la douleur et le deuil. Les commerces qui ont ouvert leurs portes se comptent sur les doigts d’une main. Il n’y a absolument personne dans les rues à part quelques individus vêtus de noir, venus présenter leurs condoléances aux multiples familles endeuillées. Même les voitures se font rares.
Ce village aussi compte de nombreux émigrés, pratiquement la majeure partie de ses jeunes hommes, installés principalement en Afrique. Des quatre à cinq mille ressortissants libanais à Cotonou, quelque 600 sont originaires de Kharayeb. Selon des témoignages, les vols de UTA étaient très souvent fréquentés par les fils du village, étant les seuls vols directs à partir de cette zone d’Afrique. En ce jeudi funeste, plusieurs personnes n’avaient pu trouver de place pour embarquer sur l’avion qui s’est écrasé à l’aéroport de Cotonou. Mais neuf n’ont pas eu cette chance...
Parmi les victimes figure le jeune Ali el-Dorr, 23 ans, installé depuis cinq ans au Bénin. « Il ne devait pas rentrer au pays avant le 27 décembre, raconte son oncle, Rida el-Dorr, le regard accablé. Mais il a voulu faire une surprise à ses parents et à sa jeune fiancée. Il n’a prévenu que son frère aîné avant d’embarquer dans l’avion. » « Et quelle surprise ! » souligne Mohammed el-Dorr, ami du défunt, d’un ton amer, avant d’ajouter : « J’ai perdu un ami et un frère. Rien ne pourra compenser son absence. »
La même famille a perdu deux autres membres, Hiba et Mohammed. Le destin tragique de Hiba, qui n’avait que vingt ans, a voulu qu’elle prenne cet avion sur un conseil de son frère, qui a préféré qu’elle accompagne Mohammed, son cousin de 23 ans. Celui-ci rentrait définitivement au pays. La jeune femme avait passé un séjour chez des parents au Bénin, afin de se remettre de la rupture de ses fiançailles, quelques semaines plus tôt. C’est son frère qui, faisant partie des secouristes de la première heure, a identifié le corps de sa sœur sur le rivage...
Mahmoud Hammoud a perdu son frère Mohammed, un commerçant de 41 ans, père de cinq enfants. Il l’a lui-même conduit à l’aéroport, avant de recevoir la terrible nouvelle quinze minutes plus tard. « Je suis immédiatement accouru à l’endroit du drame, ainsi que les autres ressortissants libanais », raconte-t-il.

Une colère sourde
Autant de victimes, autant de drames individuels. Mais que pense-t-on, dans ces localités si touchées des causes de la tragédie ? À Jwaya, malgré les premières informations et les témoignages qui font état d’une surcharge de l’appareil, on se refuse à toute interprétation ou condamnation de la compagnie. « Le propriétaire (originaire d’un village voisin) a perdu quatre membres de sa famille, son malheur est encore plus grand que le nôtre », explique Radwane Jammal, un habitant du village, lui-même expatrié à Abidjan. Mohammed Choummar pense, lui aussi, que « les responsables de la compagnie ne sont pas à blâmer », remarquant que « le propriétaire est venu présenter ses condoléances aux familles ». « C’était la seule compagnie qui assurait des vols directs entre l’Afrique et le Liban », poursuit-il.
Selon lui, il n’y a pas de doute que l’accident est « une fatalité, la volonté de Dieu ». Mais d’autres, comme cette dame restée anonyme, pensent que « la responsabilité de l’accident incombe au pilote ». On en arrive même à élaborer des théories complètement inattendues, comme celle de « l’acte terroriste prémédité par des ennemis de la colonie libanaise en Afrique », évoqué par Radwane Jammal. Interrogé sur ce qui aurait pu inspirer cette thèse, il explique que « l’avion s’est disloqué après son choc, ce qui reste inexplicable », selon lui. Toutefois, il affirme, comme tous les autres, « attendre les résultats de l’enquête ».
À Kharayeb, on est moins radical. « Mon frère faisait partie des secouristes, déclare Mohammed el-Dorr. Il m’a affirmé que des colis de marchandises avaient été placés entre les passagers. Ces gens-là ont mis en péril la vie des voyageurs à des fins matérielles. » Pour sa part, Mahmoud Hammoud, qui se refuse à tout commentaire concernant la cause de l’accident, raconte néanmoins que « trois semaines plus tôt, j’avais pris le même vol à partir de Beyrouth, et j’ai dû insister pour que la charge de l’avion soit diminuée ».
Tous les avis concordent cependant sur un point : la réaction de l’État libanais a été à la hauteur de l’ampleur de la catastrophe et de l’attente de la colonie libanaise au Bénin et dans les pays africains voisins. Rida el-Dorr a même tenu à remercier le président français « qui a permis le rapatriement des corps ».
Toutefois, derrière la satisfaction affichée gronde une colère sourde. Certains témoignages anonymes se demandent pourquoi les autorités libanaises ont permis qu’une compagnie qui ne répondait pas aux critères requis fasse atterrir ses avions à l’aéroport de Beyrouth. Mohammed el-Dorr évoque « les conditions très difficiles dans lesquelles vivent les expatriés libanais en Afrique », sans que « les autorités libanaises ne leur accordent l’attention nécessaire ». Tous s’accordent à décrire le chaos qui règne à l’aéroport de Cotonou...
Sur les raisons du drame, il faudra dans tous les cas attendre les conclusions de l’enquête. Mais hier, les différentes localités du Liban-Sud étaient surtout assommées par le choc de la perte d’un nombre si important de leurs fils.

Suzanne BAAKLINI
Il est quinze heures dans le village de Jwaya (Liban-Sud), qui vit l’un des jours les plus tristes de son histoire. Sous un soleil de plomb défilent les cercueils de cinq des sept victimes originaires de ce village, tuées lors du crash de l’avion de UTA à l’aéroport de Cotonou, au Bénin, cinq jours plus tôt. Autour du cortège se presse une foule immense, recueillie, en...