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Manque d’argent, d’espace et de compétences : l’UL survit au jour le jour

Dani vient de décrocher son doctorat en linguistique appliquée d’une des universités les plus prestigieuses, à Nottingham. Ayant obtenu une mention honorable, ce jeune homme d’une trentaine d’années espérait être embauché par l’UL, qui l’a envoyé il y a cinq ans se spécialiser pour revenir intégrer un poste d’enseignant dans son domaine de spécialisation. Mais Dani ne pourra jamais obtenir la fonction promise, pour la simple raison que l’université publique, conformément à une décision ministérielle, ne peut plus recruter même ses propres boursiers alors qu’elle leur interdit de s’engager ailleurs. Cette étrange situation est celle de plusieurs dizaines d’étudiants qui ont été envoyés à l’étranger pour se spécialiser. Une fois rentrés au pays, ils sont pris en otages par un système absurde qui génère ses propres contradictions.
Certes, la plupart de ces brillants diplômés vont être engagés à temps partiel afin d’effectuer un travail pour lequel ils ne seront payés que des années plus tard – certains attendent depuis trois ans –, c’est-à-dire une fois que le Conseil des ministres aura donné à ce type de contrat son indispensable aval.
« Ils sont en train de me pousser vers la sortie », affirme Dani, qui enseigne actuellement quelques heures à l’UL –, toujours sans rémunération depuis un an. Pour arrondir ses fins de mois, il s’est tourné vers le secteur privé où il est mieux payé et certainement plus apprécié à sa juste valeur. « Si ma situation n’est pas bientôt régularisée, je vais abandonner l’Université libanaise pour m’investir totalement dans l’enseignement privé », dit-il.
Pour Najwa Nasr, qui fut son professeur pendant très longtemps, « c’est la meilleure façon d’encourager nos cerveaux à prendre le chemin de l’exil ».
En attendant, et toutes les fois que l’université a besoin d’engager un enseignant, il lui faut nécessairement passer par le Conseil des ministres.
C’est un exemple type de la confiscation des prérogatives de l’UL par le gouvernement, et qui illustre l’absurdité de la situation. Cette ingérence dans les affaires internes de l’UL peut parfois prendre des dimensions bien plus graves, telles que le choix des professeurs sur la base de leur affiliation politique, bien plus que de leur compétence académique. Non seulement l’université est empêchée de recruter les meilleurs éléments dont la formation lui a coûté une fortune, mais en plus, elle est obligée de s’accommoder des choix qui lui sont imposés par la classe politique. Le problème devient encore plus inquiétant lorsque l’on sait que la moyenne d’âge actuelle des professeurs est de 54 ans, ce qui signifie que le corps professoral vieillit. « D’ici à 2020, 1 277 professeurs iront à la retraite. Sachant que l’université compte actuellement 1 118 professeurs cadrés et 368 autres à plein-temps, on peut en déduire que d’ici là, il ne restera plus personne dans près de quinze ans si le gouvernement continue de bloquer le recrutement », affirme M. Joseph Abou Nohra, professeur d’histoire et ancien doyen de la faculté de pédagogie. En Europe par exemple, il n’y a pas de limite d’âge pour embaucher un professeur. Le problème, souligne M. Nohra, c’est qu’un enseignant à l’université publique qui a terminé son doctorat vers la trentaine devra partir à la retraite quelque trente ans plus tard. Cette situation est aberrante puisqu’à 64 ans, il est encore en pleine possession de ses moyens intellectuels et peut continuer d’être productif pendant longtemps.
Le problème est que rien n’est fait pour encourager les professeurs qualifiés à intégrer l’enseignement public. Outre les multiples difficultés d’ordre financier auxquelles ils sont régulièrement confrontés – couverture sociale suspendue, salaires dérisoires et indemnités rognées –, les professeurs souffrent au quotidien d’une pénurie qui se manifeste à tous les niveaux. Ce sont parfois les besoins les plus élémentaires qui font défaut : conçue au départ pour 17 000 étudiants, l’UL en abrite aujourd’hui 70 000. Pour l’enseignant, cela signifie qu’il devra gérer, en première année, une centaine d’étudiants dont la plupart suivront debout le cours, dans une salle qui peut à peine contenir cinquante personnes. L’espace universitaire se réduit comme peau de chagrin, pour les étudiants aussi bien que pour les professeurs.
« En tant que contractuels, nous devons assurer quatre jours de permanence dans nos bureaux, selon la loi. Or, aucun professeur n’a un bureau à lui », s’indigne Mme Nasr, qui raconte que les professeurs se réunissent généralement avec leurs étudiants ou leurs collègues dans une grande salle. « La confidentialité n’est pas assurée, même si l’ambiance est conviviale », ironise-t-elle, affirmant que son bureau a été transposé depuis plusieurs années chez elle, à la maison. Le projet de construction du bâtiment de Hadeth, qui devrait résoudre en partie le problème, n’a toujours pas été entamé.
Non seulement l’université ne peut recevoir des dons – seul le Conseil des ministres peut accepter ou refuser de telles offres –, mais ceux-ci sont parfois détournés vers d’autres objectifs. Un professeur qui a voulu garder l’anonymat raconte comment une aide qui avait été accordée par l’Arabie saoudite à une section donnée a bénéficié à un autre département. Par ailleurs, la réduction progressive du budget n’arrange pas les choses. Inversement proportionnel au nombre d’étudiants, qui augmentent de manière importante tous les ans, le budget est utilisé dans une proportion de 92 % pour payer les traitements. « Seuls 2,3 % des crédits sont réservés aux équipements, laboratoires et bibliothèques, qui sont dans un état piteux. » Estimant qu’il faut au moins un budget de 100 000 dollars pour renouveler tous les ans la bibliothèque universitaire, le professeur d’histoire explique que celle-ci n’en reçoit que 7 000. « Au moins sept travaux sur dix sont primés chaque année à la faculté de génie, et ce malgré la vétusté des locaux. Un succès que seule la motivation des étudiants peut expliquer », dit-il.
Pour Mme Nasr, l’étau s’est tellement resserré autour de cette institution que « même les frais d’inscription qu’elle perçoit sont retenus par le Trésor public ».
Une manière supplémentaire de paralyser le fonctionnement d’une université qui se bat sur tous les fronts pour survivre.

Jeanine JALKH
Dani vient de décrocher son doctorat en linguistique appliquée d’une des universités les plus prestigieuses, à Nottingham. Ayant obtenu une mention honorable, ce jeune homme d’une trentaine d’années espérait être embauché par l’UL, qui l’a envoyé il y a cinq ans se spécialiser pour revenir intégrer un poste d’enseignant dans son domaine de spécialisation. Mais...