De l’architecture au corps en passant par la ville, les marques du conflit, les « traces » préfèrent-ils dire, sont innombrables. Khalil Joreige compulse d’ailleurs depuis 1990 les milliers de clichés pris du centre-ville détruit, déblayé puis reconstruit. «Entre l’angoisse du futur et un passé nostalgique, nous vivons le présent de manière hystérique, selon un rituel extrêmement codé», expliquent-ils.
Plus recentré
Après les nombreuses formes que cette recherche commune a prise (Joana Hadjithomas et Khalil Joreige ont à leur actif six installations réalisées à partir de photos et de vidéos), Ramad constitue un travail « plus recentré, où il s’agit de se réapproprier la trace inscrite dans le corps ». Ce long court-métrage, écrit en collaboration avec Rabih Mroué, laisse en effet beaucoup de place au corps, la parole se faisant rare, circonstances de deuil oblige, et aux gestes propres à chacun d’entre eux. Nabil, le personnage central du film interprété par le coauteur, revient à Beyrouth recevoir les condoléances pour son père, dont le corps a fait le voyage avec lui, puisqu’il est décédé à l’étranger. Le défunt avait demandé à être incinéré, puis que ses cendres soient dispersées dans la mer. La famille veut cacher cette dernière volonté, pour une simple et cruciale question de réputation, et fait placer dans le cercueil un ami qui joue le rôle du mort.
Interprété par très peu d’acteurs, Ramad a été réalisé avec une majorité de figurants, placés par les réalisateurs dans la mise en scène «à la manière d’une installation artistique ». Connaissant bien les attitudes sociales attachées aux condoléances libanaises, les gestes de ces « acteurs naturels » ont été filmés à la dérobée, tantôt en gros plan, tantôt dans leur ensemble.
Bruissement intérieur
Sous cette mécanique bien huilée, les corps s’expriment et prennent la place des mots. En cela, Ramad est une réussite d’autant plus appréciable qu’elle n’est pas appuyée. Le héros de ce moment est très honorablement interprété par Rabih Mroué qui s’immisce sans difficulté dans un rôle subtilement physique. Qualifié de «film de mise en scène » par les deux réalisateurs, ce court-métrage porte l’expérience esthétique de la photographie, elle-même mise en scène par le moyen de l’installation.
Mis à part ce parcours sans faute esthétique et technique – sans doute une des rares premières dans les fictions jusque-là réalisées au Liban –, Ramad pèche quelque peu par excès d’excellence plastique. Nabil communique difficilement son bruissement intérieur, que la caméra ne cesse de traquer, et l’ensemble ne sort que peu de son cadre : l’atmosphère figée, lisse et rigide d’un salon grand ouvert à la « chorégraphie du deuil ».
Diala GEMAYEL
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