La République des îlots immunitaires

Que l’on me pardonne – et je suis sûre que j’aurais besoin de toute la clémence des lecteurs après ce billet –, mais je suis contre le système des immunités, qu’elles soient parlementaires, syndicales, professionnelles ou autres. Leur seul avantage est de permettre à certains citoyens de dire ce qu’ils veulent sans que leurs propos, diffamatoires ou non, démagogues ou non, ne tombent sous le coup de la loi, alors que d’autres devraient rendre compte du moindre de leurs propos, quand ce n’est pas de leurs pensées...
Dans un régime réellement démocratique, la démarche pourrait se justifier dans la mesure où elle serait destinée à permettre aux représentants du peuple de s’exprimer au nom de celui-ci, sans la moindre crainte de déplaire aux autorités ou d’encourir leurs foudres. Mais au Liban, non seulement les députés ne représentent pas toujours le peuple, mais de plus le système s’est étendu aux médecins, aux avocats et aux membres de la plupart des ordres professionnels (sauf celui des journalistes bien sûr). Poursuivre un avocat, un médecin, un député, un responsable, pour ne citer que ceux-là, exige donc une autorisation spéciale qu’il est souvent quasi impossible d’obtenir. Seul le commun des mortels, lui, est poursuivi pour ses propos, sans bénéficier de la moindre protection.
Le système des immunités aboutit ainsi à rendre intouchable une partie de la population, dans une violation claire du principe de l’égalité de tous devant la loi, si cher à la démocratie. De plus, si chacun devait répondre de ses propos, surtout les personnalités en vue, cela éviterait aux Libanais de subir chaque jour une dose non négligeable de déclarations incendiaires à but populiste, dans un pays où les rumeurs se propagent à la vitesse de l’éclair et tiennent souvent lieu de preuves.

Scarlett HADDAD