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ENVIRONNEMENT - Les habitants s’opposent à un changement de zoning qui ferait de leur région une zone industrielle À Chekka, un dépôt de pétrocoke échauffe les esprits(photos)

Un dépôt de pétrocoke (produit pétrolier utilisé pour la combustion dans les cimenteries) crée actuellement une polémique dans la région de Chekka entre les municipalités et la Cimenterie nationale, propriétaire du hangar. Alors que la compagnie est en faveur d’une modification du plan d’urbanisme dans la région afin, dit-elle, de procéder à la couverture totale du hangar (dont la présence sera devenue légale), la municipalité affirme que cette construction doit être déplacée, le classement résidentiel du terrain devant être préservé, afin de protéger les intérêts des habitants du quartier environnant.

Au sud de l’usine, à quelques mètres de nombreuses habitations, se trouve le dépôt de pétrocoke, avec ses stocks de poudre noire à l’air libre. Les habitants du quartier, désireux de rester anonymes, se plaignent de nombreux cas d’allergies et autres maladies respiratoires, de la couche noire qui recouvre leur maison et du bruit assourdissant (provenant de l’usine) durant la journée.
Outre les nuisances dont il est l’origine, ce dépôt est au centre d’une polémique concernant un éventuel changement de zoning. Il se trouve en effet sur un terrain dans une parcelle classée résidentielle, en vertu du décret 72/3362, qui a été modifié dans le cadre d’un projet de décret portant le numéro 96/8010. Ce texte, s’il était adopté, ferait de cette partie de Chekka une région industrielle, permettant par conséquent la présence d’un hangar de cette nature. Le texte a été examiné en Conseil des ministres, mais n’a pas encore été avalisé, en raison des réticences qu’il soulève auprès des autorités locales et des habitants.
Farjallah Kfoury, le président du conseil municipal de Chekka, refuse tout compromis dans cette affaire. « Le dépôt est illégal et doit être déplacé », affirme-t-il. « La municipalité devait faire passer une route sur le terrain où est construit le hangar. Une plainte déposée par la compagnie auprès du Conseil d’État a gelé les travaux. » Selon M. Kfoury, la présence du dépôt constitue un risque pour la population environnante, surtout que « la teneur en soufre du pétrocoke importé ici est très élevée, de l’ordre de 6% ».
Stuart Elliot, directeur des opérations à la Cimenterie nationale, et Sami Haddad, directeur des ressources humaines et des affaires environnementales, répondent à tous ces points. Selon eux, la compagnie n’a pas pu couvrir ce dépôt de pétrocoke justement parce que le décret faisant de cette zone une aire industrielle n’a pas été adopté. « Si l’on n’avait pas combattu l’adoption de ce décret, nous aurions pu depuis longtemps épargner aux habitants des environs cette nuisance », affirme M. Elliot.
Pourquoi ne pas déplacer le dépôt comme le demande la municipalité ? « Son emplacement est idéal pour le débarquement du pétrocoke », répond-il. Il ajoute que la matière ne dégage pas de soufre quand elle ne brûle pas. « La teneur en soufre est celle autorisée en Europe et aux États-Unis, puisque le pétrocoke provient de là-bas », poursuit M. Elliot. « La marchandise est d’ailleurs accompagnée d’un document qui précise le mode d’emploi, les précautions à prendre... »
C’est la poussière qui risque d’indisposer les habitants, mais elle ne peut être, selon lui, une cause de maladies graves. Ce que conteste Fifi Kallab, une experte environnementale qui suit de près le dossier. Selon elle, « la poussière est nuisible pour la santé ». L’argument selon lequel il est difficile de déplacer le hangar et qu’un changement de classement est indispensable pour ne plus indisposer la population des environs ne la convainct pas. « Il suffit d’installer le dépôt de l’autre côté de l’usine et de changer la ligne de débarquement », dit-elle. « D’autre part, si les industriels obtiennent ce changement de classement, qu’est-ce qui nous garantit qu’ils s’arrêteront au hangar de pétrocoke et ne voudront pas exploiter ce terrain pour d’autres usages qui pourraient devenir des sources de nuisance pour la population? »
M. Kfoury rappelle également qu’un grand incendie avait éclaté dans le dépôt il y a quelques années, et que les flammes n’avaient pu être circonscrites qu’après plusieurs jours d’efforts. La présence du pétrocoke est donc dangereuse pour les habitations si proches, selon lui. M. Elliot dément que la matière qui avait brûlé était du pétrocoke. « Dans le temps, c’était le charbon qui était utilisé », explique-t-il. « Le charbon est facilement inflammable parce qu’il contient des gaz volatils, alors que le pétrocoke ne prend feu que s’il est exposé à des températures très élevées. C’est pourquoi il a remplacé le charbon partout dans le monde. »

Une commission d’enquête
promise par Lahoud
Pour en revenir à la route que la municipalité compte construire et qui passe par ce même terrain (celui-ci appartenait à l’usine mais a été exproprié en vertu d’un décret), les travaux ont été gelés par le recours présenté par la compagnie auprès du Conseil d’État. Avant que la décision ne soit prise, un autre décret foncier avait été adopté, suivant lequel la route devait contourner le hangar. Or un décret n’annule pas le précédent et le terrain reste exproprié par la municipalité, selon Tania Khalifé, avocate du conseil municipal, qui affirme que « le second décret avait été adopté sous la pression ». La compagnie a alors intenté un procès auprès du juge unique de Batroun, qui a pris une décision en faveur de la municipalité, toujours selon l’avocate. Celle-ci ajoute que la compagnie n’a pas encore présenté de recours. Pour sa part, M. Elliot assure que « la justice a tranché en notre faveur, et le projet de la route qui passe par ce terrain est tombé à l’eau »...
Mais qu’en est-il de la pollution dans cette ville ? Le président de la municipalité parle de nombreuses nuisances provenant des différentes cimenteries et autres industries, des explosions dans les carrières environnantes, sans compter « le passage de quelque 1400 camions par jour dans le marché de Chekka, pourtant récemment rénové ». Il ajoute que le président de la République, le général Émile Lahoud, a promis « la création d’une commission d’enquête formée d’experts internationaux de l’Organisation mondiale de la santé, qui ferait le point sur la situation ».
Répondant par ailleurs à des informations selon lesquelles sa compagnie de cargos aurait des intérêts avec les cimenteries, M. Kfoury affirme ne lancer sa campagne contre la pollution que « dans l’intérêt de la population ». Il ajoute que « si les cimenteries arrêtaient de fonctionner demain, cela n’aurait pas d’incidence sur notre travail ». Sans compter, fait-il remarquer, que plusieurs présidents de municipalités des environs mènent le même combat que lui.
Il rappelle qu’une « commission formée par le parquet du Liban-Nord et chargée d’enquêter sur la situation a constaté des sommets de pollution dans la région, alors que des chiffres récoltés par les médecins, les moukhtars et les présidents de conseils municipaux notent de forts taux de cancer des poumons ».
Pour sa part, M. Elliot précise que dans son établissement (rappelons qu’il y a plusieurs cimenteries dans la région), « les filtres ont été changés et les standards d’émissions sont inférieurs à ceux des usines d’Europe ». Il ajoute : « Nous essayons de réduire le trafic en déviant la route des camions. Pour ce qui est des carrières, nous n’utilisons pas de dynamite. Par ailleurs, nous sommes soumis au contrôle du ministère de l’Environnement et d’un bureau d’experts allemands. » Cela ne suffit pas à convaincre la municipalité dont le président considère que « le ministère a eu une attitude biaisée en la circonstance ». Nous n’avons pu joindre le directeur général du ministère de l’Environnement, Berge Hatjian, pour avoir son commentaire.
Cela fait des années que les plaintes des habitants se répètent, que la querelle dure, que la région vit dans un constant état d’ébullition. La question se pose de savoir pourquoi l’État ne tranche pas définitivement le débat en engageant une vaste étude pour déterminer des standards qui conviennent au Liban – comme le souligne Mme Kallab – et de mettre au point un système de contrôle qui convienne aux différentes parties et protège la santé publique.
Suzanne BAAKLINI
Un dépôt de pétrocoke (produit pétrolier utilisé pour la combustion dans les cimenteries) crée actuellement une polémique dans la région de Chekka entre les municipalités et la Cimenterie nationale, propriétaire du hangar. Alors que la compagnie est en faveur d’une modification du plan d’urbanisme dans la région afin, dit-elle, de procéder à la couverture totale du...