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Opinion Tout est fini ou tout commence ?

Juste après la fin de la guerre d’Irak, et au moment où la coalition jubilait et claironnait tapageusement sa victoire rapide, décisive et salvatrice, j’avais rédigé les lignes qui suivent pour faire part de mes doutes et de mes inquiétudes et je les avais envoyées à L’Orient-Le Jour dans l’espoir qu’elles bénéficieraient de l’hospitalité de ses colonnes, mais à peine envoyées, je m’étais ravisé et avais demandé leur non-publication, ne voulant pas assumer le rôle de trouble-fête, de rabat-joie ou d’oiseau de mauvais augure. Les mois ayant passé et en entendant le présentateur du journal de TV5 parler de « débâcle », j’ai regretté ma décision et sollicité de nouveau l’hospitalité pour laquelle j’avais hésité.
La guerre d’Irak est maintenant militairement terminée mais contrairement à ce que chantait Jacques Brel, ce fut bien Waterloo, un Waterloo incompréhensible, une chute de Bagdad des plus mystérieuses, digne des fictions des Mille et une Nuits. Si jadis on parlait de « lampe magique » hier on a pu parler de « deal », de complots contre les hommes et contre l’humanité. Comment en effet se sont volatilisés les « légions » de Saddam et Saddam lui-même ? Sur des tapis volants ou par des sortilèges, qui les ont rendus « invisibles » ? Oui, invisibles, et pourquoi pas ? N’étaient-ils pas le maillon « essentiel » de cette mascarade ? Et Saint-Exupéry ne dit-il pas dans Le Petit Prince que « l’essentiel est invisible pour les yeux » ? Volatilisés, ou peut-être « métamorphosés » ? Mais le pire, c’est que plus personne n’en parle, plus personne ne s’en soucie vraiment, pas plus d’ailleurs que de Ben Laden, ou du mollah Omar et jusqu’à l’anthrax lui-même, présenté un moment comme le plus grand fléau de l’humanité, et ces ADN où sont-ils ? Introuvables, mais une aubaine pour alimenter la polémique entre Blix et la coalition et au sein même de la coalition contre Bush et contre Blair, qui peut-être finiront comme Bush père par payer le prix d’une mauvaise guerre d’Irak.
Triste tableau en tout cas de la défense des libertés et de la démocratie. Triste comédie, à faire pleurer tout homme digne de ce nom. Triste épreuve pour les disciples de Térence, qui répètent malgré tout, envers et contre tout : « Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger. »
Pour démocratie, « que de crimes ou comment en ton nom », dirait plutôt aujourd’hui Mme Roland du haut de l’échafaud. Et ce simulacre de démocratie, on prétend qu’il doit être contagieux et n’épargner aucun pays de la région, non seulement l’Iran et la Syrie, qu’on accuse d’être très résistants à ce virus, mais aussi les autres pays, soi-disant mieux préparés à accueillir cette belle démocratie, comme l’Égypte, la Tunisie, l’Arabie saoudite, le Yémen, les Émirats arabes unis et d’autres. Tous ces pays doivent faire l’apprentissage de cette démocratie au nom de laquelle on tue des femmes, des enfants et des vieillards, mais aussi et surtout des hommes, des hommes tout court, car le crime, c’est de tuer, sans restriction, sans « distinguo » fallacieux, y compris par la peine de mort elle-même, puisque le cinquième commandement dit bien : « Tu ne tueras pas », dans l’absolu, sans réserve, sans casuistique. Si le régime honni de Saddam Hussein, que tout homme sensé ne peut qu’abhorrer, sous peine de perdre lui-même son humanité, a commis des horreurs, et cela est incontestable, il n’est pas évident que les moyens utilisés pour l’évincer et en débarrasser l’humanité soient beaucoup plus louables ni plus défendables, et surtout plus honorables. C’est en cela d’ailleurs que la ligne de démarcation entre démocratie et démagogie est si étriquée, et la distinction si délicate. La démocratie a sombré à Athènes car ceux qui s’en revendiquaient, loin d’être des démocrates, au sens politique et étymologique du terme, étaient devenus des démagogues, qui ont exploité la naïveté du peuple à des fins personnelles pour faire dévier la démocratie vers l’autocratie, la monocratie, voire la tyrannie, et pour paver la voie à des tyrans d’un nouveau genre tels que Philippe de Macédoine, Alexandre le Grand ou les Ptolémées d’Égypte. Or, si tyrannie il doit y avoir, qu’elle soit au moins calquée sur celle de Dracon et de Solon, et nous dirons alors : mille fois cette tyrannie plutôt que des démocraties tronquées derrière lesquelles se cachent en fait de vrais tyrans.
En effet, comment n’être pas impressionné par cette pensée de La Rochefaucauld à savoir que : « Si la guerre est l’art d’exterminer les peuples, la politique est celui de les tromper », ou celle de Machiavel, qui dans Le Prince affirme « qu’il arrive quelques fois en politique que les mots servent à exprimer la pensée », et enfin ces vers inattendus d’Alfred de Musset dans le sonnet au lecteur : « La politique hélas ! Voilà notre misère, mes meilleurs ennemis me conseillent d’en faire. Être rouge ce soir, blanc demain, ma foi, non ! » Le tout pour nous ramener à la claire affirmation de l’école stoïcienne à savoir que « le droit est ce qui plaît au fort » ou à Bidpai et La Fontaine nous disant : « Je prends la plus grande part parce que je m’appelle lion », ou Louis XIV s’emportant en disant : « L’État, c’est moi... », et « c’est légal parce que je le veux », et nous voilà aujourd’hui au milieu de tout cela grâce à la nouvelle Rome.
Cette nouvelle Rome a annexé l’Afghanistan et maintenant l’Irak. Elle lorgne du côté de la Syrie, de l’Iran et sans doute de tout le Golfe. Elle mijote dans ses coulisses les projets que Dieu seul connaît.
Mais toutes ces avancées sont-elles les bases d’un nouvel empire romain du Levant au Couchant, les prémices d’un ordre mondial nouveau et d’un monde nouveau, ou des victoires à la Pyrrhus ? Et « qui sait de quoi demain sera-t-il fait », dirions-nous avec Victor Hugo, « l’homme aujourd’hui sème la cause, demain Dieu fait mûrir l’effet ». Et si les Américains étaient en train de semer le vent pour récolter demain la tempête ? Et si l’Afghanistan et surtout l’Irak n’étaient guère une fin mais un commencement ? Et si les grands problèmes que ces deux guerres étaient censées résoudre ne venaient en fait que commencer ? Qui peut le dire ? Qui peut le savoir ? « L’avenir ! L’avenir ! Mystère ! Gloire et fortune militaires ne sont sur nous posés que comme l’oiseau sur nos toits » (V. Hugo).
Georges KHADIGE
Juste après la fin de la guerre d’Irak, et au moment où la coalition jubilait et claironnait tapageusement sa victoire rapide, décisive et salvatrice, j’avais rédigé les lignes qui suivent pour faire part de mes doutes et de mes inquiétudes et je les avais envoyées à L’Orient-Le Jour dans l’espoir qu’elles bénéficieraient de l’hospitalité de ses colonnes, mais à...