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CONFÉRENCE - Dialogue des cultures et résolution des conflits Violence, insécurité et guerres identitaires marquent la scène internationale (photo)

Où va le monde aujourd’hui ? Et qu’est-il advenu du slogan idyllique du « dialogue des cultures » à
l’ heure où la planète sombre dans des luttes identitaires qui s’affirment comme unique remède à la mondialisation de l’anonymat et de l’inégalité ? Le débat autour de cette problématique a réuni hier d’éminents penseurs, à l’initiative du conseil stratégique de l’USJ, après avoir été ajourné en raison de la crise irakienne. Multipolarité-unipolarité, terrrorisme-résistance, démocratie-communautarisme, autant de binômes qui s’opposent et s’annulent dans la nouvelle équation qui régit la scène internationale aujourd’hui, constatent les conférenciers, qui ont témoigné à tour de rôle du malaise endémique dans lequel s’installe le monde.
Devant une salle comble, « le choc des idées » était au rendez-vous certes, avec toutefois l’optimisme en moins, qui a carctérisé la plupart des interventions. Invités à développer le thème relatif à « la mondialisation, la paix et le dialogue des cultures », Marwan Hamadé et Bernard Kouchner (fondateur de Médecins sans frontières et Médecins du monde) afficheront réalisme mais aussi indignation, laissant à Joe Maila (doyen de la faculté des sciences sociales et économiques de l’Institut catholique de Paris) et à Christian Philip (député, professeur de droit à l’Université Lyon III) le soin de clôturer sur une note d’espoir.

Marwan Hamadé : Faux et usage de faux
Décrivant le spectacle d’un monde de désolation « où le sens des mots, l’interprétation des gestes et la mesure des émotions se heurtent » contribuant à « dénaturer l’histoire », M. Hamadé développe le fameux « tryptique » du terrorisme, de la résistance et de la sécurité en dénonçant progressivement la délimitation de ces trois vocables et leur exploitation politique, selon les besoins et les circonstances.
« Il est évident que si, sur la définition du terrorisme, nous nous accordons de différentes manières ou à différents paliers pour en dénoncer les horreurs et en refuser les alibis, la résistance est sujette, elle, à des interprétations qui tantôt la subliment et tantôt la dégradent », dit-il. « Il y a, dans cette confusion des droits et des vérités, du faux et de l’usage de faux. Il y a, dans cette pratique des mots et de leur sens, une usurpation de la propriété intellectuelle des termes terrorisme et résistance », insiste M. Hamadé. Stigmatisant la politique de deux poids, deux mesures, il reconnaît qu’il faudra un certain temps « pour qu’ à Washington, on puisse faire à nouveau la part des choses, exercice selon lequel les États-Unis continueront de s’enfoncer dans une logique créatrice de guerre, prédatrice de droits et surtout génératrice de chocs entre les peuples, les religions et les civilisations ».
Entre-temps, dit-il, la résistance, ce droit inaliénable reconnu par la Charte de l’Onu, est mise à rude épreuve, le Hezbollah libanais devenant par là une organisation terroriste. « Une confusion délibérée », qui mène rapidement au racisme, précise le ministre. Ainsi, dit-il, ce sont désomais les considérations sécuritaires qui sont invoquées pour réprimer toute velléité de résistance.
« De la discrimination à l’égard d’un passager basané jusqu’à la doctrine de la guerre préventive justifiée envers tout et contre tous, la prédominance du sécuritaire sur le droit s’impose », ajoute M. Hamadé.
Constatant que la guerre irakienne est passée à une vitesse supérieure, il affirme que le fameux slogan de Samuel Huntington « The West versus the “Rest” » (l’Occident face au reste du monde) est toujours d’actualité.

Joe Maila : La passerelle identitaire
Reprenant le même Huntington, dont la pensée « nous renvoie à la vieille idée de Jean-Paul Sartre disant que l’enfer, c’est les autres », Joe Maila constate lui aussi que la théorie du penseur américain pourrait un jour se trouver vérifiée si le monde continue sur sa lancée en favorisant le radicalisme.
Encore faut-il décrire le phénomène pour être à même de le comprendre et ensuite de l’expliquer, et donc de le dépasser, précise le sociologue. « À l’heure de la mondialisation et du dépassement des frontières, les guerres identitaires se caractérisent par l’éclatement des États, leur décomposition et leur réduction à un ensemble de communautés divisées, juxtaposées et en guerre », affirme M. Maila. Une situation propice à l’exaltation des valeurs identitaires, « où le soi est en dialogue avec le soi ». Devenu sacré, le territoire identitaire va motiver les nettoyages ethniques, dit-il. « On passe alors du territoire au terroir, au terrier ». « Les conflits identitaires ont réduit l’homme à la pierre », poursuit-il.
Comment comprendre cette mutation ? s’interroge l’intervenant. Par un rejet de la « greffe de la modernité » d’abord. Par l’échec de la citoyenneté ensuite. Deux facteurs qui ont nourri l’esprit de « revanche sur les cultures construites ».
Ainsi, dit Joe Maila, les imaginaires identitaires vont tenter de « reconstruire les rêves prémodernes » à partir des religions parfois. Quant à l’explication, elle se situe au plan de la compréhension de la démocratie, qui se déploie désormais sous un nouveau visage. « La démocratie n’est pas toujours et seulement affaire d’individus. Elle peut concerner aussi les communautés et prendre en charge par la représentation les groupes, sans nécessairement sombrer dans le communautarisme », indique le sociologue, qui prône l’idée « de faire de notre identité une passerelle qui nous permettra d’aller vers d’autres identités ». Le Liban, qui a su conjuguer, non sans imperfections, tribalisme, parlementarisme et règle de droit, peut servir d’exemple à suivre.

Christian Philip : Multipolarité
plutôt qu’inégalités
Constant que l’ordre international est un ordre essentiellement inégalitaire, Christian Philip se demande à quelles conditions ces inégalités peuvent être assumées sans mettre en cause la paix, le développement et la démocratie, préférant substituer le concept de multipolarité au mot « inégalités ».
Élaborant la notion de disparité entre États, illustrée notamment par la constitution d’un directoire des grands États (le G7 et le G8), M. Philip reconnaît « qu’il y a là incontestablement l’expression voulue par certains États de régler entre eux certaines questions ». Bien que marquée par la prééminence d’un État, les États Unis – « une inégalité fondamentale » de toute évidence –, la société internationale témoigne en même temps de « la constitution d’un groupement d’États qui peuvent acquérir une certaine influence, au moins dans certaines régions du monde ou dans certains domaines », dit-il, d’où l’idée d’un monde multipolaire.
Devant l’affirmation progressive de ces groupements tels que l’Union européenne ou l’Organisation internationale de la francophonie, du rôle propre de certains États, comme la Chine, qui s’est forgé une place sur l’échiquier international, le professeur se dit convaincu que l’on avance vers un ordre multipolaire qui, sans exclure toute inégalité, « conduira à un partage des influences entre davantage d’acteurs ».
« Je crois que le combat de la diversité culturelle n’est pas perdu d’avance », conclut le député.

Jeanine JALKH
Où va le monde aujourd’hui ? Et qu’est-il advenu du slogan idyllique du « dialogue des cultures » à l’ heure où la planète sombre dans des luttes identitaires qui s’affirment comme unique remède à la mondialisation de l’anonymat et de l’inégalité ? Le débat autour de cette problématique a réuni hier d’éminents penseurs, à l’initiative du conseil...