Rechercher
Rechercher

Actualités

éclairage - La tournée du chef de l’Église maronite confirme la dégénérescence de la classe politique libanaise Désormais, le patriarche assure par intérim le poste de « leader fort »

Le patriarche maronite en est au quinzième jour de sa tournée européenne. Et ce n’est même pas encore un mi-parcours. Quinze jours de visites, de rencontres en tout genre ; quinze jours de conférences, d’interviews, de trains, d’avions, de voitures ; quinze jours à répéter, inlassablement – et avec une certitude et une foi qui attendent patiemment, depuis des années, d’ébranler toutes les montagnes – son exhortation patriarcale. Une exhortation « simple », gaullienne, pour que le Liban – plus que « compliqué » : déliquescent – puisse redevenir tel que lui-même, Nasrallah Sfeir, à l’unisson avec la quasi-totalité des Libanais, le souhaite depuis des années.
C’est certes sa deuxième tournée depuis l’an 2000, après celle, énorme, au cours de laquelle il avait parcouru les Amériques, où il avait martelé, avec autant de patience et de conscience, ses credos. Sauf que ce voyage en Europe, s’il a perdu en effet surprise, en inédit, s’il fait un peu redite, a montré- et continuera de le faire – que pour le maître de Bkerké, le politique est tout aussi important et prioritaire, sinon plus, que le pastoral. Aussi, les mots du patriarche, ceux de ses hôtes, ont confirmé ce qui se dessine doucement depuis quelques années. Que Nasrallah Sfeir n’est plus seulement le chef de l’Église maronite ou un cardinal papable, plus seulement le père spirituel de l’opposition – son esprit et sa lettre –, ni seulement le porte-voix de ceux, hommes politiques ou simples citoyens, que le pouvoir a fini de marginaliser... Ce qui s’est confirmé, c’est qu’il fait désormais, bon gré mal gré, volontairement ou pas, le travail de celui qu’il ne pourra jamais devenir : « le » leader politique « fort » dont le Liban a urgemment besoin et qu’il n’a toujours pas. Un intérim illimité, un paradoxe stupéfiant, un jeu de rôles salutaire, oui, mais un peu schizophrène.
Mgr Sfeir a été accueilli en leader politique. « Vous êtes un patriote et un sage », lui a dit Jacques Chirac. « Un homme de sagesse et de mesure », a renchéri Albert II des Belges. Sans compter les hommages appuyés que lui ont rendu – ce n’était pas que protocolaire ou courtois – de nombreux autres responsables, dont Dominique de Villepin.
Mgr Sfeir s’est exprimé en leader politique. Un leader politique est soucieux de ne pas mêler les autres de ce qui ne les regarde pas : « Avec le président Chirac, nous avons abordé les questions qui intéressent le Liban, mais pas ce qui regarde les Libanais », a dit le patriarche. À savoir : la réconciliation nationale, la Constitution, les obstacles qui entravent les réformes demandées par Paris II, les querelles de l’Exécutif, etc. Un leader politique est soucieux, aussi, de rappeler au pays où il est reçu ce que ses concitoyens espèrent de cet ami : « La France est aux côtés du Liban et elle fera encore beaucoup pour l’aider », a-t-il souligné.
Un leader politique est surtout soucieux de vulgariser, au bon sens du terme, les aspirations de ses concitoyens : « Avec le soutien de la France (encore !) et de ses amis, le Liban doit pouvoir exiger l’application de l’accord de Taëf et de la résolution 520 de l’Onu, le retrait des troupes syriennes et la levée de la tutelle syrienne sur le pays. » Un leader politique est soucieux de garantir les meilleures relations avec son voisin : « Nous refusons que le Liban serve de base à une organisation menaçant la sécurité de la Syrie ; nous voulons des relations amicales et de bon voisinage », a dit Mgr Sfeir.
Souveraineté, indépendance, libre décision donc, mais aussi appel à la nécessaire unité et à l’union des Libanais : « Nos crises sont dues aux ingérences internes, mais à chaque fois, les communautés libanaises retrouvent le ressort pour reconstituer leur unité », « Un divorce entre chrétiens et musulmans serait une catastrophe », « Les chrétiens et les musulmans vivent au Liban les uns avec les autres et pas les uns chez les autres. » Mais aussi principes républicains, si souvent violés ici : « Comment peut-on vivre en paix quand les libertés sont bafouées et le cours de la justice dévié ? », « Comparé aux pays qui l’entourent, le Liban est une démocratie, mais d’une façon insuffisante », « Les droits de l’homme ne sont pas totalement respectés », etc.
Un leader national est tout aussi concerné par la force vive de son pays. Mgr Sfeir a insisté à plusieurs reprises, à Paris, Lyon, Marseille ou Strasbourg, sur la jeunesse du Liban, sur les problèmes qu’elle affronte au quotidien, sur sa soif – qu’elle étanche trop volontiers à son gré – de partir à l’étranger. Ainsi, à plusieurs reprises, le maître de Bkerké a exhorté les Libanais de l’émigration à ne pas oublier leur village, leur ville, leurs concitoyens, leur Liban. Un leader politique est également soucieux de « la situation économique lamentable et inquiétante de son pays », soucieux de ne pas le voir conduit au bord du gouffre : « Nous rejetons catégoriquement toute velléité d’implantation des réfugiés palestiniens. »
La confusion des genres est totale, et ce n’est pas ça qui va aider à l’indispensable séparation de l’État et du religieux. L’éminent prélat et le leader politique (par intérim, certes) ne font plus qu’un. « Je ne veux pas m’impliquer dans le jeu politique », a pourtant dit, en France, Mgr Sfeir, « et le Liban a besoin d’un leader fort ». Alors, leader fort ou représentant commercial de luxe, stakhanoviste et hyperconsciencieux ? Quel homme politique serait capable aujourd’hui de résumer comme le patriarche maronite, dedans aussi bien que dehors, les attentes de 95 % des Libanais ? Et d’être entendu ? Le voyage en Europe de Nasrallah Sfeir est le signe patent de la dégénérescence de la classe politique libanaise. Et des manques terribles dont souffre le pays.

Ziyad MAKHOUL
Le patriarche maronite en est au quinzième jour de sa tournée européenne. Et ce n’est même pas encore un mi-parcours. Quinze jours de visites, de rencontres en tout genre ; quinze jours de conférences, d’interviews, de trains, d’avions, de voitures ; quinze jours à répéter, inlassablement – et avec une certitude et une foi qui attendent patiemment, depuis des années,...