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Presse - Le propriétaire du « an-Nahar » élu à Dubaï « Journaliste arabe de l’année 2003 » Ghassan Tuéni appelle les Arabes à bâtir leur propre histoire

Prenant la parole à l’occasion du Cénacle de l’information arabe de Dubaï, qui lui a décerné hier le prix du « Journaliste arabe de l’année 2003 », le propriétaire du quotidien an-Nahar, Ghassan Tuéni, a prononcé une allocution émouvante de sincérité et de force dans laquelle il a invité le monde arabe à « se réveiller » de sa prostration et à bâtir sa propre histoire.
Réflexion sur l’histoire et sur les conditions d’une renaissance, l’allocution de Ghassan Tuéni a commencé par un bref survol de certains épisodes de sa vie de journaliste, déclinant son identité de chrétien et d’Arabe, pour dire combien son nom même recèle de contradictions résolues et d’énergie latente.
Ensuite, brève évocation de son père et de son tragique décès en 1947 d’une hémorragie cérébrale, pendant qu’il prononçait un discours pour défendre la cause palestinienne, en sa qualité d’ambassadeur du Liban au Chili.
« Ma tristesse, a confessé Tuéni, c’est que c’était moi qui le lui avais demandé, au nom de la délégation libanaise aux Nations unies, à la veille du vote en faveur de la partition (de la Palestine), car nous avions besoin de la voix du Chili. Nous emportâmes la voix du Chili, mais je perdis mon père, et fus contraint de quitter New York – et l’Université de Harvard – pour Beyrouth où je pris sa relève à la tête de la rédaction du Nahar. »
« Je n’ai pas connu, dans l’exercice de cette profession que vous honorez, assez de jours heureux pour compenser les tristesses qui ont accompagné la disparition des héros de ma génération, à commencer par le plus cher d’entre eux, Kamel Mroué, que j’ai connu au début de ma carrière », a poursuivi Tuéni, en égrenant, comme dans une litanie, les noms de ceux qui sont tombés pour que vive la parole libre : Kamel Mroué (1966), Nassib Metni (1958), Riad Taha, Édouard Saab, Sélim Laouzi, Élias Chlala, « qui fondit dans le métal en fusion comme fondit dans l’acide le chef du Parti communiste, Farjallah Hélou, dans les années cinquante ». Et d’ajouter à cette liste les noms de Toufic Aouad, tué dans l’explosion d’un obus durant la guerre, et Kamal Joumblatt, assassiné alors qu’il dirigeait le quotidien de son parti, le Anba’a.
« Ils ont tous appris le courage, a ajouté Tuéni, en s’exerçant à être libres et en bannissant la peur, héritiers d’un autre courage, celui des témoins de l’indépendance, qui avancèrent vers les potences des Ottomans en se berçant de poèmes. »

La porte de l’histoire
De cette évocation, le grand journaliste est passé à une réflexion sur l’histoire du Liban et du monde arabe. Avec causticité, le voilà confessant que « si le Liban a un reproche à faire, c’est que les guerres des Arabes contre Israël, ainsi que les guerres des Arabes contre des Arabes se sont prolongées sur son territoire après s’être arrêtées aux frontières des autres États (...). C’est qu’il a été habité par des révolutions et des contre-révolutions, qu’il est devenu le souffre-douleur de régimes que vous connaissez bien et de leurs armées en mal de guerre, puis celui des dirigeants qui aspiraient à la gloire, la fausse gloire (...) dans des pays sans Constitution et sans l’ombre d’un pacte. »
« Qu’on ne s’étonne pas ensuite que mon pays, le Liban, soit inquiet, que son corps social saigne de ce que lui ont légué les guerres, que son esprit soit confus (...). Le voilà portant, quand même, tribune des libertés pour tous les Arabes, pour tous les peuples qui demeurent otages de leurs armées et des séquelles de leurs misérables guerres. »
Tuéni a ensuite rendu hommage à l’émirat de Dubaï qui, avec un pragmatisme rare, a su s’imposer « comme un centre privilégié pour les communications » et « comme une forteresse de croissance et de modernité ». « Je vous envie votre soif de connaissance, a-t-il dit, la connaissance des faits et de ce qui les dépasse, je vous envie cette soif de bâtir, d’équiper et de programmer votre avenir (...). Il y a de quoi s’extasier et admirer. »
Pour finir, Tuéni s’est livré à une réflexion sur l’histoire des Arabes, imaginant une école à la façon platonicienne, au fronton de laquelle serait écrite cette phrase : « N’entre ici que celui qui connaît l’histoire. »
Des six postulants qu’il imagine, un seul entrera pour avoir, à la question : « Que demandez-vous à l’histoire ? », répondu : « L’histoire... c’est le récit d’un oubli. L’histoire me tourmente. Sa charge me pèse. Je voudrais oublier ; mais ma conscience exige que je sache ce que j’oublie. »
Et Tuéni de faire dire au sage qui se tient à la porte de l’histoire : « L’histoire, en définitive, c’est répondre en permanence de ses actes. »
Quittant l’allégorie, Tuéni conclut sur des faits. L’histoire contemporaine des Arabes, depuis le XIXe siècle, est dominée par la question de Palestine. Une question dont Charles Malek fut le prophète, quand il affirmait en substance, en 1949, dans un apport qu’en sa qualité d’ambassadeur il adressa à son gouvernement : « Israël cherche à coloniser le monde arabe et à instaurer une ère juive qui serait l’héritière de l’ère ottomane, à moins qu’un mouvement de renaissance arabe, conduit par le Liban et la Syrie, ne se lève sur la région, en promouvant la raison, la liberté et les droits de l’homme. »
C’est, hélas, le contraire qui s’est produit, déplore Tuéni et, prenant le relais de Malek, le voici citant Constantin Zreik, ancien ambassadeur de Syrie à l’Onu, pour parler des élites arabes qui, après la nakba, « sacrifièrent d’abord la liberté, ensuite la vérité, au nom de la loyauté à la nation », oubliant de demander aux régimes faillis qu’ils servaient de passer devant le tribunal de l’histoire, de répondre de leurs actes.
C’est ainsi, conclut Tuéni, que les Arabes « perdirent et la terre et, par la suite, l’indépendance, comme on le voit aujourd’hui en Irak », et qu’ils entendent aujourd’hui « des hommes des cavernes et des tombes blanchies, invoquant la charia religieuse, parler en leur nom, pendant que les États-Unis mettent la main sur leurs richesses naturelles ».
Le conférencier a achevé son allocution en appelant de ses vœux l’union de deux libertés, celle de la raison libre de toute idéologie et celle du baptême du sang.
Prenant la parole à l’occasion du Cénacle de l’information arabe de Dubaï, qui lui a décerné hier le prix du « Journaliste arabe de l’année 2003 », le propriétaire du quotidien an-Nahar, Ghassan Tuéni, a prononcé une allocution émouvante de sincérité et de force dans laquelle il a invité le monde arabe à « se réveiller » de sa prostration et à bâtir sa propre...