Rechercher
Rechercher

Actualités

Vie politique - Le développement équilibré des régions ne doit pas rester un slogan creux, affirme le chef de l’État Un projet de construction de 26 écoles bute sur des questions régionales... et confessionnelles

Le pays continue d’être gouverné par les passions régionalistes et confessionnelles, comme le prouve le dernier en date des Conseil des ministres, secoué par des discussions animées, et parfois acrimonieuses, au sujet d’une série d’expropriations de biens-fonds, d’un montant global de 300 millions de dollars, pour lequel le ministre des Finances sollicitait l’émission de bons du Trésor.
La plus grande partie de ces biens-fonds est destinée à servir à la construction de 26 écoles publiques, mais l’une d’elles doit permettre l’achat d’un terrain contigu au site prévu pour la construction d’un palais des congrès, avenue des Français. Coût de ce terrain, où le mètre carré atteint les 4 000 dollars, 25 milliards de livres !
Autre détail significatif : c’est à Beyrouth que la moitié des 26 écoles publiques en projet seront construites, mais comme le coût des terrains y est plus élevé, c’est là que les fonds sollicités sont les plus élevés.
Au-delà de ces détails, ce qui a contribué à rendre si houleux le Conseil des ministres, jeudi, ce sont aussi les frustrations des ministres et l’exaspération de voir le Premier ministre, Rafic Hariri, continuer à gouverner sans consulter ses ministres ni les informer de ses plans, comptant soit sur leur inattention, soit sur leur lassitude, pour faire passer les projets qui lui tiennent à cœur.
Hier, au lendemain du Conseil des ministres, des voix se sont élevées pour critiquer le chef de l’État et les ministres qui lui sont proches, en les accusant de sous-estimer les besoins de Beyrouth.
Mais, il est évident que c’est un faux procès que l’on fait aux ministres proches de M. Lahoud, voire au chef de l’État lui-même. Car, le fait d’avoir demandé implicitement si les régions chrétiennes de Beyrouth étaient traitées à égalité avec les régions à prédominance musulmane, le fait de s’étonner que le principe du « développement équilibré des régions » soit si mal respecté, le fait de constater que des projets de développement touristiques exigeant des expropriations, soit totalement ignoré, le fait de constater que certaines expropriations immobilisent inutilement des fonds publics qui auraient pu être mieux utilisés, est du droit le plus élémentaire des ministres.
Du reste, à entendre l’argumentation des uns et des autres, on constate que ce qui manque surtout, à l’équipe gouvernementale en place, c’est la transparence, la patience et l’objectivité pour déterminer les véritables besoins et y répondre aussi objectivement que possible, suivant un plan bien étudié, avec les moyens disponibles, c’est-à-dire de façon nécessairement imparfaite.

Données chiffrées
De la journée d’hier, si l’on décide d’ignorer le venin confessionnaliste craché par Walid Eido contre Karim Pakradouni, et de se concentrer sur les données chiffrées fournies au sujet des besoins de Beyrouth en écoles, par Nabil de Freige, on y verrait plus clair.
Selon M. de Freige, les trois écoles prévues dans les régions à prédominance chrétienne représentent une capacité totale de 4 à 5 000 élèves. Selon le député, ce nombre relativement réduit d’écoles est dû à la rareté des biens-fonds disponibles dans cette partie de la capitale. Par ailleurs, M. de Freige assure que la densité humaine de ces régions est inférieure à ce qu’elle est dans les régions à prédominance musulmane, que près de 50 % des élèves qui y étudient sont musulmans et que près de 50 % de la totalité des élèves des écoles publiques de Beyrouth ne sont pas originaires de la capitale.
Enfin, M. de Freige a tenu à souligner que, dans beaucoup d’écoles publiques de Beyrouth, et plus particulièrement dans les écoles situées dans les régions à prédominance musulmane, les élèves sont reçus en deux et parfois en trois temps, pour pouvoir répondre aux besoins.

La part du lion
Des sources ministérielles loyalistes ont rapporté que le débat s’est échauffé quand le ministre Jean-Louis Cardahi a noté que la part du lion des 300 millions de dollars réclamés par M. Siniora allie à des projets destinés à la capitale, tandis que d’autres régions étaient laissées pour compte. Le ministre Ayoub Hmayed prenait tout de suite la parole pour se demander ce que devenaient les expropriations relatives au projet Elyssar. D’autres ministres devaient s’y mettre aussi.
Le Premier ministre précisait alors qu’il fallait distinguer entre les projets financés par des fonds prévus dans le budget, et ceux qui l’étaient grâce aux bons du Trésor. Mais ces explications ne parvinrent pas à tarir le flot de questions.
Le projet de palais des congrès fut la goutte qui fit déborder le vase, compte tenu du coût très élevé de la parcelle à exproprier. D’autres questions furent posées : pourquoi exproprier des biens-fonds avant que les montants nécessaires ne soient trouvés, et avant même que le bien-fonds ne soit affecté à un projet précis. Assem Kanso fit une longue intervention sur les besoins de la région de Baalbeck-Hermel.
Le débat s’élargissant, le chef de l’État devait intervenir pour expliquer le mécanisme qui régit, parfois, la question des expropriations et admettre que ce processus ne respecte pas le principe du développement équilibré des régions. Aussi, le président Lahoud jugeait-il qu’un plan de développement global du Liban aurait rendu la distribution des projets moins arbitraire.

Deux palais des congrès
et non pas un
Pour en venir aux écoles de Beyrouth, le chef de l’État les jugeait indispensables pour répondre à la demande, mais que leur distribution devrait être faite rationnellement, afin qu’elles ne soient pas concentrées dans une seule région, ou trop proches les unes des autres.
Et M. Lahoud de préciser que le projet de loi de M. Siniora prévoit de consacrer 62 milliards de dollars pour l’expropriation de 13 biens-fonds destinés à des écoles, à Beyrouth, alors que pour toutes les quatres régions libanaises, seuls 20 milliards sont prévus.
Sur un autre plan, le chef de l’État rappelait que le gouvernement sortant avait prévu la construction de deux palais des congrès, l’un à Manara (avenue des Français), l’autre à Dbayé, sur les terrains gagnés sur la mer. M. Lahoud notait aussi qu’en vertu d’un plan mis au point par l’ancien ministre du Tourisme, le Dr Karam Karam, et approuvé en Conseil des ministres, des sites touristiques devaient être aménagés dans toutes les régions libanaises suivant un système BOT, mais qu’on n’en trouve pas trace dans le projet de M. Siniora.
De son côté, après avoir souligné que les dépenses sur Beyrouth sont insuffisantes, M. Hariri affirmait qu’il ne se souvenait pas que le Conseil des ministres avait approuvé la construction de deux palais des congrès, et que celui dont la construction est prévue, à Beyrouth, est distant de 5 km seulement de Dbayé.
À quoi le chef de l’État rétorquait que le Conseil des ministres avait distingué entre les vocations de deux palais, celui de Manara devant servir aux congrès politiques et économiques, et celui de Dbayé aux activités culturelles ou sportives. Et de rappeller que la distance de Manara au centre Biel, où s’est tenu le sommet de la francophonie, en présence de 45 chefs d’État, en soulignant que la question de la distance est moins importante que celle de la fonction.
En conclusion, M. Lahoud proposait de confier au Conseil pour le développement et la reconstruction (CDR) le soin de préparer un plan de développement équilibré, une proposition approuvée par plusieurs ministres.
Sur une remarque de M. Pakradouni au sujet de la répartition des écoles à Beyrouth, M. Hariri devait prendre la mouche, considérer que les motivations du ministre sont de nature confessionnelle et lancer : « Que Beyrouth reste donc sans écoles... » M. Pakradouni a publiquement nié, hier, avoir utilisé un vocabulaire datant de la guerre, en parlant de Beyrouth-Est et de Beyrouth-Ouest.
Pour mettre fin aux réclamations émanant de MM. Jean Obeid, Négib Mikati et Ghazi Aridi, et aux plaintes dont ils se faisaient l’écho, le chef de l’État devait affirmer qu’il est nécessaire de mettre un terme aux « expropriations anarchiques » et de ne plus faire du développement équilibré un slogan creux.
Sur cette note, et après avoir demandé aux ministres de réfléchir à la question et à ce qui a été dit, M. Lahoud devait lever la séance, après avoir affirmé que le Premier ministre était lié par des engagements et devait quitter le Conseil des ministres.
Et les sources ministérielles de conclure en affirmant que si les discussions au sein du Conseil des ministres étaient vives, rien ne justifiait les réactions nerveuses et les attaques politiques en règle qui les ont suivies jeudi et hier.

Fady NOUN
Le pays continue d’être gouverné par les passions régionalistes et confessionnelles, comme le prouve le dernier en date des Conseil des ministres, secoué par des discussions animées, et parfois acrimonieuses, au sujet d’une série d’expropriations de biens-fonds, d’un montant global de 300 millions de dollars, pour lequel le ministre des Finances sollicitait l’émission...