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Séminaire Le clientélisme au Liban : toutes les solutions sont-elles « politiques » ?

L’Association libanaise des sciences politiques organise une recherche collective et un séminaire, en novembre 2003, sur le thème : « Le clientélisme au Liban : problématique et perspectives d’action ».
Nous publions ci-après un extrait de la présentation du programme, par M. Antoine Messarra, président de l’ALSP.
Les illusions sur l’État démocratique, clés en main, ainsi que la culture politique dominante dans le monde arabe par suite d’une tradition d’autoritarisme font croire que les solutions, à tous les problèmes, sont « politiques ». Cette perception dominante est contraire à la réalité, constitue un obstacle à l’exercice d’une citoyenneté active, d’une démocratie de proximité à travers une société civile agent de changement, et d’une opposition politique efficiente.
En réalité, quand les problèmes sont transposés dans le champ du politique en tant qu’enjeu de pouvoir, le plus souvent ils se bloquent. L’arrosage de quelques arbres dans un quartier du village relève certes du conseil municipal, mais si le problème est soumis à un conseil municipal empêtré dans un réseau d’influence, d’intérêts et de clientélisme, il y aura un blocage de la décision par tel membre du conseil ou une adjudication de l’affaire à un coût exorbitant... Si l’affaire est soumise à un pouvoir central, ce sera encore pire et la délibération prendra du temps sans qu’il soit garanti que l’entrepreneur assurera effectivement l’arrosage en contrepartie de l’argent public qu’il a empoché... Quand l’État de droit est défaillant, c’est l’initiative et la vigilance citoyenne qui exercent une haute fonction de régulation non assumée par le pouvoir central et, grâce à des actions cumulées et harcelantes, changent la politique.
En outre, dans une mondialisation où les quatre pouvoirs sont désormais concentrés en un seul : les pouvoirs du politique, de l’argent, des médias et de l’intelligentsia, une citoyenneté vigilante et active est créatrice d’État de droit.
La société politique libanaise, qui a manifesté une résistance civile exemplaire durant les années de guerre contre un système sophistiqué de violence, se trouve aujourd’hui en déliquescence. Il y a un recul de toutes les défenses civiles (syndicats, partis, organisations économiques, médias, intelligentsia...) face à l’hégémonie du pouvoir politique, de l’argent et de la géopolitique régionale. Un syndrome d’impuissance et de manque de confiance, compréhensible mais exagéré, a été nourri et propagé au Liban depuis 1990. Ce syndrome détruit les plus grandes nations.

Une autre opposition
Une opposition libanaise crie en faveur de l’indépendance et la souveraineté, alors que l’indépendance et la souveraineté sont limées au quotidien par de nouveaux contingents de clients et de subordonnés.
On crie pour un changement au niveau du pouvoir, alors que le pays risque d’être plongé dans le noir à cause de la corruption et de la mauvaise gestion de l’Électricité du Liban.
On crie pour la « réconciliation » nationale (notion fort ambiguë), alors que la dette publique galope jusqu’à 32 milliards de dollars...
La politique au Liban et dans le monde arabe en général, dans son exercice et dans la culture politique, même chez des intellectuels et des politologues, est trop enjeu de pouvoir. Accessoirement et fort maigrement, elle est gestion de l’intérêt général.
Sommes-nous devenus tellement et naturellement clientélisés au point que les plus grands scandales de dilapidation de l’argent public sont débattus dans les médias et surtout à la télévision pour confronter des hommes politiques, sans aucune allusion aux « effets » de cette mauvaise gouvernance sur les citoyens usagers et consommateurs ? Des émissions télévisées sont organisées pour opposer des politiciens, qu’on choisit l’un musulman et l’autre chrétien, pour soi-disant « débattre » des rapports libano-syriens. Des positions s’affrontent, sans vraiment se confronter, et il est demandé au téléspectateur de se ranger avec tel ou tel politicien alors que « le problème », avec des faits et données, n’est pas exposé (sécurité, échanges agricoles...) pour que le téléspectateur puisse juger et prendre position avec lucidité et clairvoyance. Il n’y a pas d’indépendance et de souveraineté sans un « peuple indépendant », avec une culture « d’autonomie », un peuple, ni subordonné, ni client, mais un peuple de citoyens libres.
Bien sûr, on dira que le Libanais est attaché de façon atavique à la liberté, mais quand il s’agit de quelques intérêts privés, profit mercantile ou accès à un haut rang, il n’y a pas de mal pour lui de recourir à quelque Sublime Porte. Peuple libre certes, mais qui au cours de son histoire a dû cultiver la ruse et l’obédience à l’égard de l’occupant en attendant un changement de conjoncture extérieure ou en cherchant appui auprès d’un ami, ennemi ou frère réel ou équivoque. Comportement réaliste, mais souvent risqué et d’un coût exorbitant. Les rapports internationaux ont aujourd’hui changé ainsi que la situation des petites nations dans le système international mondialisé. L’attachement atavique à la liberté est aujourd’hui insuffisant, en politique interne et internationale, sans son corollaire de « l’autonomie » par rapport à la subordination douce du clientélisme et à toute Sublime Porte étrangère. La bonne gouvernance ne concerne pas exclusivement le pouvoir central, mais toutes les forces vivantes et actives de la société et, en premier lieu, ceux qui sont dans l’opposition. L’opposition politique au Liban, qui soulève à juste titre de grands problèmes nationaux et supranationaux, ne table pas sur des problèmes quotidiens et vitaux de la population, alors qu’un harcèlement civique sur des problèmes, qualifiés à tort de mineurs, est à la base d’un changement structurel et en profondeur.
L’effort difficile de conciliation entre la politique conflictuelle et enjeu de pouvoir, et la politique en tant que gestion de la chose publique réside dans une « politique citoyenne », c’est-à-dire une politique qui pose tous les problèmes – sans exception – sous l’angle du citoyen, bénéficiaire, consommateur et usager de services publics…, et cela en termes concrets et pragmatiques, à la différence du style des joutes télévisées, oratoires et polémiques, entre politiciens qui parlent de « leurs » prises de position.
Aujourd’hui, sur le plan intérieur libanais et pour un large secteur des relations régionales du Liban devenues malheureusement et en grande partie un enjeu interne, « il n’y a pas de solutions par la politique, telle qu’elle est entendue et pratiquée par la plupart des politiciens », mais par une politique réhabilitée dont l’enjeu est concret, pratique, quotidien, apparemment terre à terre et banal, mais qui pose les problèmes en tant que « chose publique » et dans la sphère « publique » et sous l’angle « d’usagers » et de bénéficiaires de services publics et d’« argent public ». Toute politique, quand elle n’est pas citoyenne, est un danger public.
La presse s’y est engagée. Elle s’est trouvée seule ! Certains ministres s’y sont engagés, ils ont été écartés ! Certaines ONG y ont œuvré et continuent d’œuvrer, on a sous-estimé leur action…, alors que le laminage clientéliste continuait son opération destructrice de la société politique libanaise. Résultat : ni indépendance comme on le souhaite, ni société politique capable de continuer le combat et, à tous les niveaux, un réseau de clientélisme et de clientélisation, bien huilé et bien en place. Il faut changer la politique. Changer en conséquence de forme d’opposition politique et de combat politique. Ce qui reste aujourd’hui de positif au Liban et restera est justement le fruit de ce genre de combat démocratique.
Antoine Messarra
L’Association libanaise des sciences politiques organise une recherche collective et un séminaire, en novembre 2003, sur le thème : « Le clientélisme au Liban : problématique et perspectives d’action ». Nous publions ci-après un extrait de la présentation du programme, par M. Antoine Messarra, président de l’ALSP. Les illusions sur l’État démocratique, clés en main,...