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Encore une fois, l’opposition fait ses choux gras des maladresses loyalistes

C’est devenu une tradition : les maladresses des loyalistes, sinon du pouvoir en tant que tel, procurent à l’opposition de douces saisons d’été, dans l’ivresse d’une union retrouvée. Le 7 août 2001, c’était la rafle de Kahalé, puis le tabassage du Palais de justice. L’an dernier, le 2 juin, c’était la partielle chahutée du Metn, avec l’éviction ultérieure du gagnant Gabriel Murr et la fermeture de sa MTV. Ce qui a ressoudé une Rencontre de Kornet Chehwane ébranlée par les péripéties électorales. Et cette année 2003, en cette fin juillet, la rancœur tenace de ses adversaires, qui sont en même temps ses proches (!), remet le même Gabriel Murr en vedette. Dans le rôle de la victime innocente. On voudrait en faire un leader qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
Ces secousses sont d’autant plus fâcheuses pour le pouvoir qu’elles portent atteinte à la stabilité, autant politique que sécuritaire, qu’il a tout intérêt à consolider. Ainsi que le lui recommandent continuellement les décideurs. Il n’est donc pas étonnant que le régime se déclare contrarié par les bavures commises et les condamne sans réserve. Selon des sources fiables, le président de la République a effectivement réagi d’une manière très ferme, en ordonnant aux services qualifiés une enquête de terrain pointue, parfaitement objective, pour que les coupables soient dûment sanctionnés comme le veut la loi.
Cependant, certains ultras, adeptes sans doute du vieux tube N’avoue jamais, prétendent mordicus que les torts sont du côté de l’opposition. Pareils au loup de la fable, ils affirment que l’agneau est le vrai coupable. Pourquoi ? Parce que, répondent-ils, il est évident qu’organiser un déjeuner politique à Bteghrine (sous-entendu, fief de Michel Murr) constitue une intolérable provocation. Pour ces loyalistes, l’opération avait pour but de dresser encore plus les deux frères Michel et Gabriel l’un contre l’autre. Et de faire de Bteghrine une lice, comme le fut jadis Rome entre Rémus et Romulus, fondateurs de la Ville Éternelle.
Une comparaison flatteuse, sans doute, mais imprécise. Car si défi il y a, ce qui n’est pas certain du moment que chacun est libre, on peut considérer qu’il a commencé le 20 juillet et qu’il a été d’abord le fait du camp de Michel Murr. En effet, l’ancien ministre a organisé pour la Saint-Élie un grand rassemblement, plutôt tonitruant. Pour politique qu’il soit, un déjeuner revêt un caractère moins (grand) public. Certes, l’opposition aurait fait des déclarations, qui auraient donné lieu probablement à quelques entrefilets dans la presse et à la télé. Mais pas plus. Ce qui n’empêche pas les loyalistes cités de répéter qu’il était inadmissible de faire de Bteghrine, dont on sait bien qui est le patron, une tribune pour le camp d’en face. Un attachement remarquable, comme on voit, aux valeurs symboliques, aux traditions du Liban profond et de l’esprit de clan.
Bien entendu, l’opposition a beau jeu, répétons-le, de réfuter ces assertions. En s’attribuant à bon compte, au passage, le rôle flatteur de défenseur des lois et de l’État de droit comme des libertés publiques que la Constitution sacralise. Des pôles de Kornet Chehwane vont jusqu’à estimer que les abus commis apportent la preuve d’une faillite politique totale du personnel loyaliste en place. Ils ajoutent, par allusion à la regrettable extraterritorialité des camps palestiniens, que Bteghrine ne peut être assimilée à un îlot d’insécurité échappant au règne de la loi libanaise.
Toujours est-il que certains indices donnent à penser que, de part et d’autre, on pressentait qu’il se passerait quelque chose d’important. Ainsi Amine Gemayel, qui était en voyage, a précipité son retour pour répondre présent à l’invitation de Gabriel Murr, afin que nul n’aille s’imaginer des choses quant aux raisons de son absence. De son côté, Michel Murr, qui était en France, est revenu, pour être au village samedi, jour de l’invitation lancée par son frère.
Revenons un peu à l’aspect unificateur, pour l’opposition, des événements. Plus d’un membre de la Rencontre avoue que, ces derniers temps, les liens s’y étaient distendus. Nassib Lahoud indique, dans une intervention télévisée, qu’il y a des différences entre ses positions au sein du Renouveau démocratique et celles prises dans le cadre de Kornet Chehwane. Les bousculades de Bteghrine ont donc été pour les opposants une sorte de ballon d’oxygène. Ils étaient en effet un peu essoufflés. À cause du manque de visibilité de la situation régionale. Comme à cause des nuances dans les orientations de Bkerké dont les idées actuelles ne sont pas considérées avec la même faveur, la même piété filiale par tous les opposants. Certes, il n’y a pas eu de différend au grand jour, mais certains radicaux ne comprennent pas pourquoi le patriarcat semble lâcher du lest quant à la présence syrienne. Et si des questions n’ont pas été publiquement posées à ce propos, c’est surtout parce que tout le monde est d’accord pour estimer que la période actuelle est avant tout une phase d’expectative et d’observation, sur le plan régional. Il est donc inutile, voir néfaste, de prendre dans ce cadre des positions tranchées qui ne soient pas attentistes. Bteghrine est donc un cadeau pour Kornet Chehwane. Et l’on entend certains réclamer la démission d’Élias Murr, que Nassib Lahoud accuse d’avoir oublié de prendre les mesures nécessaires, une fois qu’il avait pris connaissance du déjeuner projeté par son oncle.

Philippe ABI-AKL
C’est devenu une tradition : les maladresses des loyalistes, sinon du pouvoir en tant que tel, procurent à l’opposition de douces saisons d’été, dans l’ivresse d’une union retrouvée. Le 7 août 2001, c’était la rafle de Kahalé, puis le tabassage du Palais de justice. L’an dernier, le 2 juin, c’était la partielle chahutée du Metn, avec l’éviction ultérieure...