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Astrologie - Un horoscope à l’eau de rose L’étoile du destin*, portée par le shérif US


Bécaud for ever : « Trop beau, beaucoup trop beau, est notre amour, tu le sais bien, il sonne faux comme un duo de comédiens... »
Sfeir a sans doute raison. Il faut se méfier du soudain amour, dévorant, que Washington nous manifeste. Bush, Powell & Rice (on dirait la raison sociale d’une firme d’avocats texans) voient notre avenir en rose, prospère et démocratique, pour reprendre les indications fournies ici même par Émile Khoury. Les Américains ne connaissent pas le fatalisme. C’est là leur moindre défaut et leur sens intuitif s’en ressent. Peu suspects, en général, de clairvoyance, leurs voyances laissent dubitatifs. Ou incitent même sinon à la franche rigolade, du moins à de déplaisants, d’amers ricanements.
En effet, dans notre marc de café, ils prétendent lire l’émergence prochaine d’une classe politique libanaise propre, compétente, transparente, qui éradiquera la corruption, la gabegie, le gaspillage des fonds publics.
C’est ignorer la cause double du mal chronique, irrémédiable, qui nous frappe : la mentalité ancestrale et les systèmes politiques qui peuvent en découler. Formées, bon gré mal gré, dans un même moule, nos individualités se valent fatalement en définitive. L’honnêteté existe en force, même parmi les hommes publics du temps présent. Mais elle se trouve piégée, réduite à néant, tout simplement parce que le pouvoir corrompt. Et que les décideurs jouent sur cette fibre autant que sur nos divisions.
Donc, il est beaucoup moins important de changer le personnel politique libanais que de balancer le système en place. Dont la principale caractéristique, ne l’oublions pas, est qu’il sert d’instrument aux immixtions étrangères. Oui, aux immixtions au pluriel. Parce que les Américains, d’ailleurs homologués officiellement comme grands électeurs pour la présidentielle aux côtés des Syriens, rendent impossible notre indépendance par leurs propres interventions. Ainsi, on applaudit un peu trop vite l’initiative de l’ambassadeur Battle, qui démarche les milieux d’affaires de son pays et nos propres colonies émigrées, pour le compte du Liban. Démarche bien intentionnée mais finalement, dans son essence, tout aussi aliénante que les innombrables arbitrages syriens sur la scène locale. Parce qu’en politique, l’acte gratuit n’existe pas. Et il n’est pas sûr que le prix à payer aux Américains pour leur sollicitude soit gratifiant pour nous.
Mais alors, serait-on tenté de s’écrier, qu’est-ce qu’ils veulent, les Libanais ? Comment espèrent-ils s’en sortir tout seuls, alors même qu’étant un corps composé d’éléments troubles, ils ne peuvent qu’être victimes de leurs contradictions. Et ne sont pas en mesure, comme Taëf l’a prouvé, de mettre au point tout seuls une formule viable de coexistence. La solution, Sfeir y fait souvent allusion, est cependant simple : d’abord qu’on nous laisse tranquilles, que les amitiés se fassent moins envahissantes. Ensuite, sur le plan intérieur, amorcer l’unique processus permettant de compenser l’inévitable imperfection de tout compromis politique : la dépolitisation du pays. Comme au Japon. Mais cet objectif n’est-il pas illusoire ? Pas tellement : regardez Aley en été, tel que le décrit Patricia Khoder. Un îlot, qui n’est pas un îlot d’insécurité, où l’on ne pense qu’au client-roi, au touriste, au villégiateur arabe. Une cité en plein boom économique, qui ne fait plus de fixation sur sa composition confessionnelle, sur ses tendances joumblatties ou arslaniennes.
D’autre part, si la bonne volonté de Battle est évidente, il faut se rappeler qu’il est porteur d’un projet qui lui appartient pratiquement en propre. Au département d’État ou à la Maison-Blanche, on considère, à juste titre d’ailleurs, le dossier libanais comme trop secondaire pour faire l’objet d’un traitement de fond. On se contente d’exploiter la question libanaise à des fins de pressions, tactiques, sur la Syrie, l’Iran, la Palestine et même Israël. Et on laisse pour le reste carte blanche à un ambassadeur. Qui, un jour ou l’autre, va s’en aller. Dans cette même optique de sablier, rien ne garantit que l’Administration Bush, même reconduite pour quatre ans, aura le souffle nécessaire pour réaliser l’immense plan de restructuration de la région qu’elle annonce. Et dont l’entame irakienne se présente finalement assez mal.
Sans compter que les bouleversements historiques voulus par l’Amérique se sont toujours produits, jusque-là, par implosion sans attaque directe. Ce fut le cas pour la Pologne, le mur de Berlin, l’effondrement de l’URSS enfin. L’intervention directe, en Somalie, en Afghanistan ou en Irak n’a pas produit de succès évidents. Il faudra voir...
(Cela étant, c’est presque une infamie que de soutenir, comme le fait la presse française, que les Américains oublient les morts du 11 septembre quand le pétrole est en jeu. Mais c’est là une polémique vénéneuse qui ne nous concerne pas trop).
Pour en revenir à nos propres moutons, on peut avancer un argument restrictif supplémentaire et paradoxal : à supposer que la paix globale soit établie et le terrorisme (comme ils l’appellent) annihilé, il n’y aurait plus lieu pour les Américains de garder la Syrie sous pression. Ni pour le changement intérieur qu’ils lui réclament ni pour son influence politique déterminante au Liban.
Enfin, et pour conclure : le bel avenir que la boule de cristal US nous promet, peut-il se construire en trois ou quatre générations quand la note s’élève à 35 milliards de dollars ? Washington est-il prêt à mettre la main à la poche pour effacer cette lourde ardoise ?

Jean ISSA

– *The Lone Star, de Vincent Sherman, 1952. Un titre-écho, en guise de salut à Alain Plisson.
Bécaud for ever : « Trop beau, beaucoup trop beau, est notre amour, tu le sais bien, il sonne faux comme un duo de comédiens... »Sfeir a sans doute raison. Il faut se méfier du soudain amour, dévorant, que Washington nous manifeste. Bush, Powell & Rice (on dirait la raison sociale d’une firme d’avocats texans) voient notre avenir en rose, prospère et démocratique, pour...