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L’expérience Chéhab, une référence

Engager une réforme politique et administrative, c’est le plus sûr moyen d’éradiquer progressivement la corruption. Il n’y aurait plus besoin d’ouvrir des dossiers, comme cela se fait pratiquement sous chaque régime, le plus souvent d’ailleurs dans un but politicien purement vindicatif.
Pour aller de l’avant, un vétéran de la haute administration préconise le retour à l’expérience Chéhab. Ce régime des années soixante avait évité de soulever des scandales, qui auraient entraîné des secousses, des reproches de discrimination et des querelles intérieures. Il avait donc évité une voie négative, préférant agir positivement. En créant des organismes de contrôle solides, ayant leur mot à dire dans les désignations ou au sujet des adjudications. Ces instances assumaient devant le Conseil des ministres la responsabilité des sanctions qu’elles prenaient contre des fonctionnaires en faute. Le système se déployait dans chaque ministère, pour en surveiller le bureaucratisme et l’exécution des projets. Afin de réduire les maux de la routine ordinaire et de stimuler le travail, l’on avait créé des services d’appoint, des offices ou des conseils, pour accomplir des tâches précises. On pouvait de la sorte cerner avec plus de précision et plus de transparence les dépenses. Parmi ces corps parallèles, on peut citer le Conseil exécutif des grands projets, le Plan vert, l’Office des fruits, le Conseil exécutif des grands projets de la ville de Beyrouth, l’Office des céréales et de la betterave sucrière, la sécurité sociale, l’Agence nationale d’information, etc.
Dans le système chéhabiste, les désignations ne se faisaient pas sur base d’interventions politiciennes, mais en base de concours de recrutement établissant la compétence technique des postulants. Ainsi, l’allégeance des fonctionnaires allait tout naturellement à leur employeur, c’est-à-dire à l’État et non à des protecteurs extérieurs, politiques, religieux ou autres. De même, les adjudications se faisaient sous sévère contrôle de la Cour des comptes, en pleine transparence, par les soins d’une direction administrative spéciale. Les ministères n’avaient donc pas partie liée avec ces procédures.
Il reste un problème récurrent qui n’a jamais été vraiment traité, même du temps de Chéhab : la lourdeur des formalités, qui est souvent une cause de tourment pour les administrés. Il s’agit d’alléger les réglementations, de supprimer d’inutiles étapes, de centraliser une formalité autant que faire se peut. Le ministre compétent, Karim Pakradouni, se dit déterminé à changer positivement les choses. Il veut aussi créer, comme en Europe, une fonction d’ombudsman ou, comme on dit en France, de médiateur de la République. Qui défende les dossiers des gens auprès des administrations et assure une bonne communication entre le public et les services du même nom. Par ailleurs, Pakradouni souhaite informatiser tous les départements. Ce qui accélérerait déjà beaucoup les formalités. D’où un appel d’air plus accentué à destination des investisseurs dont beaucoup sont découragés par les difficultés bureaucratiques qu’on leur oppose.
Sur le plan politique, la réforme implique en tout premier lieu l’élaboration d’une loi électorale égalitaire et juste, permettant une vraie représentation de proximité de toutes les composantes du pays. L’électeur et le député doivent se connaître. Autrement dit, il ne doit plus y avoir de parachutages, de bus, de bulldozers et de costumes taillés à la mesure des pôles privilégiés. Le patriarche Sfeir ne cesse de marteler dans ses sermons la nécessité d’une confiance mutuelle entre la population et l’État. Qui doit traiter tout le monde, toutes les fractions, à pied d’égalité. Les citoyens respecteraient alors de bonne grâce leurs obligations. Et les responsables assumeraient leurs fonctions d’une manière probe et transparente. En se sachant comptables devant un peuple qui aurait élu librement ses dirigeants.

Un test important
de crédibilité
Pour le moment, le projet de réforme se trouve illustré par le traitement du problème électrique. Indépendamment du volet social, ou pratique, du plan mis en branle, il est évident que l’opération constitue un test important de crédibilité (et d’autorité) pour le pouvoir. Il s’agit de savoir s’il va vraiment engager la lutte contre les dérives, la corruption en tête. S’il va, enfin, appliquer la loi à tous, et dans tous les domaines, au niveau des resquilleurs du fisc aussi bien qu’à celui des dilapidateurs de fonds publics.
On ne peut juger que sur pièces. Car ce n’est pas la première fois, tant s’en faut, que le Conseil des ministres prend de bonnes décisions, ou initie des actions positives. Mais il a été rarement, pour ainsi dire jamais, au bout de sa pensée et de ses intentions. On est donc fondé sinon à douter du moins à attendre, pour toucher du doigt de vrais résultats. Car l’opinion se demande, avec bon sens, pourquoi il devient brusquement possible de corriger le tir alors que pendant des années c’était inimaginable. Où se situaient les obstructions et comment a-t-on pu les lever ? La caste politique a-t-elle soudainement changé ses habitudes ? La justice devient-elle, d’un coup, moins hésitante ? Par quel coup de baguette magique parvient-on à priver les transgresseurs, les contrevenants, les pillards, de leurs efficaces protections ? L’ombrelle suprême, régionale, se trouve-t-elle repliée, et pourquoi ? Certains soutiennent que, par le passé, les forces régulières avaient tout simplement refusé leur concours à l’EDL ? Est-ce vrai, et pour quelles raisons ?
On voit que le dossier garde un fond psycho-politique incontournable. Même le ministre techniquement en charge, Ayoub Hmayed, en convient. Il déclare en effet, en tout premier lieu, que l’essentiel tient dans la détermination de l’État à appliquer la loi à tous, en gommant toute protection accordée à des contrevenants et en chargeant la justice d’un rôle de répression, comme de dissuasion, primordial. Cette proclamation de foi est certes rassurante. Mais les Libanais voudraient quand même savoir pourquoi, même maintenant, on ne leur dit pas tout. En effet, la transparence jouée à plein voudrait que les autorités divulguent des listes de noms, de transgresseurs comme de pourris. Pour qu’on leur demande des comptes, comme le veut la loi. Ignorée jusque-là dans au moins trois mille cas avérés de poursuites vainement engagées en justice contre des fautifs.
La méfiance sous-jacente des gens amène les observateurs à souligner que le pouvoir joue gros dans l’aventure. En effet, si son opération électrique devait avoir l’effet d’un pétard mouillé, plus personne ne croirait ses promesses d’éradiquer la corruption dans tous les secteurs publics. À ce stade, le scepticisme s’alimente de cette première constatation : depuis sa nomination, Kamal Hayeck a multiplié les rapports justifiés, les cris d’alarme et les requêtes sans que le Conseil des ministres daigne y prêter la moindre attention. Alors même que le problème crevait les yeux, c’est le cas de le dire. Or c’est ce même Conseil qui se décide à agir : quel prince charmant a-t-il su tirer la belle au bois dormant de sa longue léthargie ? Un sommeil extrêmement coûteux : trois milliards de dollars à fonds perdus, selon les indications du chef de l’État. Le président de la République souligne dès lors que les pénuries se poursuivent, sans qu’on puisse savoir pourquoi. Il souhaite à ce propos l’ouverture d’une enquête administrative par le biais de l’Inspection centrale et d’une autre par le truchement du parquet.
Émile KHOURY
Engager une réforme politique et administrative, c’est le plus sûr moyen d’éradiquer progressivement la corruption. Il n’y aurait plus besoin d’ouvrir des dossiers, comme cela se fait pratiquement sous chaque régime, le plus souvent d’ailleurs dans un but politicien purement vindicatif.Pour aller de l’avant, un vétéran de la haute administration préconise le retour...