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INTERVIEW - Le ministre de l’Environnement déplore le manque de prérogatives de son département « La question des déchets a été traitée de façon cavalière par le Conseil des ministres », estime Boueiz

La fermeture prochaine de la décharge de Naamé et la résiliation récente du contrat avec Sukleen placent le dossier du traitement des déchets ménagers une fois de plus sous les feux de l’actualité. Interrogé sur cette question, Farès Boueiz, ministre de l’Environnement, considère que « l’affaire a été traitée de façon cavalière ». Tout en insistant sur le fait que son ministère n’a aucune prérogative exécutive dans ce dossier, il donne d’amples détails sur le plan directeur technique de traitement des déchets.

À tout problème écologique, surtout celui des déchets, il y a, selon M. Boueiz, deux volets, l’un technique (quel traitement adopter) et l’autre géographique (où situer les décharges). « Nous avons mis au point une politique nationale de traitement des déchets, un document qui a été envoyé à toutes les parties concernées », explique-t-il, rappelant que le ministère n’a aucune prérogative ni pour le ramassage ou le traitement des ordures, ni pour l’adjudication aux sociétés. « Il incombe dorénavant au ministère de l’Intérieur et des Municipalités de gérer ce problème au nom des conseils municipaux. »
Le problème réside, selon lui, dans la mise au point d’un plan directeur géographique qui définisse les sites aptes à accueillir des carrières. « Théoriquement, cela est du ressort des municipalités, dit M. Boueiz. Mais celles-ci paraissent incapables de s’acquitter de cette tâche, d’une part parce que personne n’accepte la construction d’une décharge ou d’une usine d’épuration des eaux usées à proximité de son domicile, d’autre part parce que les terrains ne s’y prêtent pas toujours ou que les moyens font défaut pour les expropriations. » L’État ne devrait-il pas intervenir pour remédier à cette situation ? « Il est temps en effet », répond-il.
En quoi consiste l’étude technique préparée par le ministère de l’Environnement et présentée à la presse il y a quelques semaines par le ministre lui-même ? Les conclusions de l’étude recommandent la mise en place d’un système de tri à la source, à partir des maisons, en vue d’une seconde séparation, qui se ferait dans des usines de tri établies dans les cazas.
Ainsi, des poubelles séparées seraient consacrées aux produits suivants : l’une aux papiers, bois et cartons, la seconde au verre, la troisième aux objets métalliques, ces trois catégories étant destinées à la vente ou au recyclage (pour lequel il y a un marché, selon le ministre). Quant à la quatrième poubelle, elle serait réservée aux déchets organiques et aux objets non recyclables.
Pour ce qui est du traitement, des centres de compostage (création de compost, une matière qui enrichit le sol, à partir des déchets organiques) devront être créés dans les mohafazats, pour accueillir environ 65 % des déchets, puisque 35 % auront déjà été acheminés vers d’autres destinations. Ce compost serait vendu à des agriculteurs ou servirait à réhabiliter les carrières en vue de les reboiser.
Il resterait donc 10 % seulement de déchets non recyclables et inertes. « Pour ceux-là, nous prônons l’enfouissement dans une décharge après traitement bactériologique, une option que nous préférons à l’incinération, coûteuse et source de dioxine (matière cancérigène) », souligne M. Boueiz. Il précise également que les décharges seront équipées de couches isolantes imperméables, seront aménagées en pente pour faciliter l’évacuation des eaux de pluie et seront dotées d’une ministation de filtrage de l’eau de pluie et de moyens de traitement bactériologique des ordures. « Il ne s’en dégagera ni odeur ni microbes tant que les déchets organiques n’y seront pas jetés et que les autres seront traités », poursuit-il. Mais n’avait-on pas affirmé la même chose à propos de la décharge de Naamé avant que celle-ci ne devienne une bombe à retardement ?

« Une catastrophe
écologique vieille de 50 ans »
Il reste les déchets dits « spéciaux ». Le ministre rappelle qu’une loi a été adoptée concernant les déchets hospitaliers, « qui n’est pas favorable à l’incinération mais recommande le traitement des déchets dangereux par décontamination à l’hôpital même, que l’établissement possède un équipement spécial ou qu’il ait recours à une société spécialisée ». Selon M. Boueiz, l’État « fait pression sur les hôpitaux pour appliquer cette loi ». Mais certains d’entre eux se plaignent de la lenteur administrative du ministère de l’Environnement qui les empêche de se lancer dans de tels projets... « Par conséquent, ajoute le ministre, nous ne faisons que bloquer les permis d’incinérateurs. Si les hôpitaux instaurent un système tel que celui que nous avons décrit, ils n’auront alors qu’à nous en informer. »
M. Boueiz évoque par ailleurs des catégories de déchets très dangereux qui se retrouvent régulièrement dans la nature : l’huile de vidange, particulièrement nocive, les batteries de voiture et les piles, les pneus. « Pour réduire les dégâts causés par ces détritus, nous envisageons de mettre en place un système de collecte et de traitement national, avec l’aide d’organisations internationales », explique-t-il. La dernière catégorie des déchets « spéciaux », ceux qui résultent de l’industrie, est souvent liquide. À court terme, ce problème devrait être résolu par l’installation de stations locales d’épuration des eaux usées.
« Nous sommes dans une situation environnementale catastrophique, constate enfin le ministre. Depuis cinquante ans, rien n’a été fait pour protéger la nature, et nous nous réveillons subitement avec un très grand problème. Ce qui n’arrange pas les choses, c’est que nous sommes dans une période très délicate politiquement et financièrement. La date de la présidentielle approche et l’activité de l’Administration est encore moins soutenue que d’habitude. Sans compter que le ministère ne jouit pas de prérogatives importantes. »

« Tout est politisé,
surtout les ordures »
Toutefois, si le rôle du ministère se limite à effectuer des études et à proposer des politiques nationales, pourquoi est-ce que la commission ministérielle chargée de la question des déchets a-t-elle discuté un document fourni par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) au lieu de se baser sur le plan directeur du ministère ? « En fait, il s’agit du même plan, puisque le CDR s’est inspiré de notre étude, souligne M. Boueiz. Mais sur le plan de la forme, c’est le CDR qui est chargé de l’exécution de tout plan national de traitement des déchets. » Y a-t-il un conflit d’intérêt entre les différentes administrations ? « Il y en a un effectivement, mais nous ne tenons pas à en faire une histoire actuellement puisque, par coïncidence, le CDR a adopté notre plan technique, répond-il. C’est une question de pure forme. »
Il rappelle que son cheval de bataille est l’adoption de lois qui élargiraient le champ de compétence du ministère de l’Environnement. Cela lui paraît-il plus difficile aujourd’hui ? « Certainement, l’adoption de textes juridiques est un processus long, fait-il remarquer. La courte vie de ce cabinet n’encourage pas trop les actions de longue haleine, mais il est important pour moi de livrer ce ministère avec certaines prérogatives à mon successeur. »
Ainsi, des textes de loi sur la création d’une police environnementale, de bureaux environnementaux dans tous les mohafazats et dans les ports, aéroports et postes-frontières, devront être présentés à court terme. M. Boueiz envisage également de faire en sorte que le ministère régisse le domaine de la chasse. Quant aux secteurs des déchets solides et des eaux usées, ils devraient également, selon lui, faire partie des prérogatives exécutives du ministère.
Rappelant qu’il avait contesté la rupture du contrat avec Sukleen, M. Boueiz considère que « la partie responsable de la collecte devrait être chargée du traitement, ce qui la motiverait à opérer un tri à la source plus efficace, sinon cela nous reviendrait trop cher ». Mais on dit que le prix payé à Sukleen était déjà élevé vu son monopole sur le marché. « Je ne suis pas contre la division du pays en quatre zones qui seraient tenues par quatre sociétés différentes », indique-t-il. Et de poursuivre : « Ma seconde réserve est la suivante : je suis favorable à la révision du contrat avec la compagnie, mais je considère que la résiliation a été décidée d’une façon très cavalière, et que cela pourrait nous créer un problème juridique. Enfin, nous ne nous sommes pas posé la question de savoir si les municipalités sont prêtes à assumer ces charges. » Était-ce une décision politique ? « Tout est politique dans ce pays, surtout les ordures », dit-il avec un sourire.
Va-t-on au-devant d’une crise ? « J’espère que ce ne sera pas le cas, mais l’affaire a été bâclée », conclut-il.
Suzanne BAAKLINI
La fermeture prochaine de la décharge de Naamé et la résiliation récente du contrat avec Sukleen placent le dossier du traitement des déchets ménagers une fois de plus sous les feux de l’actualité. Interrogé sur cette question, Farès Boueiz, ministre de l’Environnement, considère que « l’affaire a été traitée de façon cavalière ». Tout en insistant sur le fait...