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Actualités

Opinion Les carrières qui mangent le patrimoine

La décision du gouvernement d’interdire l’exploitation des carrières de pierre, de gravier et de sable sur l’ensemble du territoire libanais, sauf dans l’Anti-Liban, a suscité une virulente campagne dans certains milieux, dont les exploitants des carrières, les camionneurs, l’Ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth, l’Association des entrepreneurs et nombre de politiciens soucieux de s’assurer le vote des électeurs. Le reste du public, soit la quasi-majorité des Libanais, semble complètement désintéressé et ultrasilencieux. L’affaire revêt deux aspects, dont l’un financier et l’autre national.

Aspect financier
Avant la fermeture des carrières, le prix moyen du gravier livré aux chantiers était de 9 $. Une enquête personnelle auprès des exploitants des carrières et des camionneurs m’a révélé que ce prix pourrait doubler au cas où les carrières seraient établies dans l’Anti-Liban. Il y aurait donc une augmentation de 9 $/m3 du prix du gravier.
La quantité de gravier et de sable entrant dans la construction d’immeubles à différents titres – béton, enduit, parpaings, hourdis, carrelage, etc. – est d’environ un demi-mètre cube par mètre carré de construction. Soit une hausse de 4,5 $ par mètre carré. Au prix moyen de 450 $ le mètre carré d’un appartement, il y aurait donc une hausse de 1 %.
Cette hausse est basée sur l’utilisation du parc de camions existants, en grande majorité des 6 roues, qui seront graduellement remplacés par des poids lourds à remorque beaucoup plus performants et qui diminueront sensiblement les prix. L’argument des contestataires, selon qui le réseau routier ne pourra pas supporter des véhicules ayant une capacité supérieure, est fallacieux car la charge par roue reste inchangée par l’augmentation du nombre de roues.
Pour réussir ce programme, le gouvernement devra :
1. rester ferme sur sa décision. Tant que l’incertitude plane, aucun exploitant de carrière n’ira s’aventurer dans l’Anti-Liban en doublant son prix de revient ;
2. entamer immédiatement la construction de routes menant aux carrières.
Naturellement, les nouvelles carrières ne fonctionneront pas du jour au lendemain. Il y aura une certaine période d’adaptation durant laquelle le gravier et le sable pourront être provisoirement importés de Syrie.
Certaines entreprises vont être sûrement lésées par cette brusque et forte hausse des prix. Ce problème pourra être facilement résolu par l’application de la législation libanaise qui a prévu justement les cas semblables.
Donc dans l’ensemble, le plan ne présente pas de difficultés majeures et pourra être appliqué sans bouleversement (n’en déplaise aux contestataires, qui prédisent une catastrophe nationale).

Aspect national
Autoriser le millier de carrières à continuer leur œuvre, c’est leur permettre de continuer à « bouffer » (littéralement) le patrimoine, éventrant de majestueuses montagnes couvertes souvent de forêts verdoyantes, ensevelissant de belles vallées, détruisant de magnifiques paysages.
Si la destruction d’une forêt par le feu nous attriste, au moins nous gardons le ferme espoir que la nature la compensera et que la forêt renaîtra de ses cendres en quelques décennies. Mais dans le cas des carrières, aucune lueur d’espoir. Le mal est irréparable et persistera jusqu’à la fin des temps. La chirurgie esthétique peut opérer des miracles sur des visages humains, mais aucune chirurgie ne peut réparer le patrimoine abîmé par ses fils. Les innombrables générations qui peupleront le Liban nous maudiront pour ce crime commis contre le patrimoine.
Un exemple de patrimoine jalousement gardé est la région de Kessab, au nord de Lattaquié, à 4 heures de voiture de Beyrouth. Le bourg rustique, très apprécié des villégiateurs, a payé le tribut du développement rapide qui l’a envahi. Mais heureusement, il n’a affecté que le centre du bourg qui rappelle Bhamdoun. Le reste du pays, s’étendant sur des dizaines de kilomètres autour de Kessab, est couvert d’une forêt verdoyante s’étendant à vue d’œil sans aucune faille depuis le bord de mer jusqu’au sommet des montagnes, où la nature tout entière est restée intacte.
Nous sommes très loin de l’exemple de Kessab, mais nous sauvons au moins le peu qui reste.
L’opposition des exploitants des carrières et des camionneurs au nouveau plan est compréhensible, car ils ne sont intéressés que par le rendement. D’après le compte rendu des médias, l’Ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth s’est rangé à leur côté. Très étonnant. D’abord un très petit nombre d’ingénieurs est directement lésé par cette mesure. Ensuite et surtout, l’Ordre est une organisation non gouvernementale et apolitique, dont la noble mission est de servir en priorité, bien avant ses membres, la nation. Groupant un très grand nombre de spécialités techniques, l’Ordre représente la plus haute instance du pays pour conseiller l’État dans ses décisions de planning. Le plan d’aménagement des carrières en fait partie. J’espère fermement que l’Ordre révisera sa décision pour servir la nation.
J’espère que cet exposé pourra attirer l’attention des Libanais sur ce problème crucial et les inciter à participer activement à sa réussite.
Jirar KHATCHADOURIAN
Ingénieur civil AUB 1946
La décision du gouvernement d’interdire l’exploitation des carrières de pierre, de gravier et de sable sur l’ensemble du territoire libanais, sauf dans l’Anti-Liban, a suscité une virulente campagne dans certains milieux, dont les exploitants des carrières, les camionneurs, l’Ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth, l’Association des entrepreneurs et nombre de...