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Scandale Entre Finances et Intérieur, Ubu roi

L’histoire aurait pu inspirer Alfred Jarry, Jean de La Fontaine, Tristan Tzara, Franz Kafka, George Lucas...
Un jeune médecin, J.A., se fait voler sa voiture, une GMC Yukon, devant sa maison, à Achrafieh, par une nuit de l’an 2000. Jusque-là, rien de bien anormal : nous sommes tout de même au Liban. Le bon docteur, le plus normalement du monde, va faire le jour même une déposition au commissariat de son quartier, et prend bien soin de conserver précieusement le procès-verbal, au cas où – nous sommes tout de même au Liban...
Quelques jours plus tard, le téléphone sonne. Les voleurs, finalement pleins de bonne volonté, ont réussi à trouver le numéro de téléphone du Dr J.A., grâce à sa plaque de médecin qui se trouvait dans la Yukon. Et s’engage entre eux un dialogue de téléfilm, de ceux que l’on regarde d’un œil amusé un dimanche soir. Les voleurs : « On te revend ta voiture 10 000 dollars. » Le docteur : « Hors de question, c’est complètement illégal, ça serait de la complicité. » Les voleurs : « Bon, on accepte de te revendre la voiture 5 000 dollars. » Le docteur : « Non, c’est non. » Les appels se poursuivent pendant de longs mois, le jeune médecin pense même demander ce que l’on mette son téléphone sur écoute (nous sommes tout de même au Liban...), mais les voleurs, confortablement installés à Brital, doivent changer à chaque fois d’appareil téléphonique. Finalement, ils mettent un terme à leurs propositions commerciales, et le jeune médecin, au fil des mois, se dit bien qu’il lui faudra acheter une nouvelle voiture.
Jusqu’à ce jour de juin 2003, quand l’armée et les FSI réussissent un joli coup de filet dans le joli village bien calme de Brital. Et retrouvent des centaines de voitures volées, dont la GMC Yukon de J.A. Les consciencieuses et bienveillantes forces de l’ordre appellent donc le jeune médecin, de Zahlé, et lui annoncent la bonne nouvelle. J.A. se rend à Zahlé et retrouve sa voiture, incrédule, mais heureux de voir que parfois – si peu... – il y a des choses qui évoluent au Liban. Les forces de l’ordre lui remettent donc un document attestant qu’il a récupéré son bien par les voies les plus légales qui soient. Et après s’être excusés très poliment, au nom de l’État, de ne pas avoir réussi, trois ans auparavant, à empêcher ce vol, ils lui demandent d’aller régulariser les papiers de sa voiture. Au service de la mécanique, qui dépend, comme tout le monde le sait, du ministère de l’Intérieur.
Le jeune médecin s’en va d’un pas guilleret au ministère en question, à Sanayeh, encore béat de bonheur, pour faire ses nouveaux papiers. « Mille mabrouks, lui dit le fonctionnaire, mais maintenant, pour obtenir ces nouveaux papiers, il va falloir que vous vous acquittiez des quatre ans de taxes mécaniques impayées, plus les amendes. » C’est-à-dire quatre fois six cent mille livres libanaises multipliées par deux, à savoir quatre millions huit cent mille livres libanaises, soit trois mille deux cents dollars de taxes et d’amendes pour une voiture volée pendant quatre ans. Le jeune médecin, tout naturellement, s’étrangle et pense halluciner.
« Au ministère de l’Intérieur, on m’a dit que j’ai raison, mais que tout cela dépend du ministère des Finances. J’ai écrit une lettre au ministre des Finances, Fouad Siniora, qui m’a répondu, par le biais de son directeur général, Alain Bifani, que c’est du ressort du ministère de l’Intérieur. Lequel ministère me redit que non, ce sont les Finances qui s’en occupent, que j’ai raison de protester, mais que la loi, c’est la loi, et tant que cette loi existe, ils ne peuvent rien y faire. Mais il est hors de question que je débourse le moindre dollar, c’est à eux de me payer des indemnités en compensation des torts occasionnés par le vol. Nous sommes des centaines dans ce cas, et ils ne veulent pas nous faire de nouveaux papiers, c’est scandaleux. » Le jeune médecin est intransigeant.
C’est effectivement scandaleux. Parce que faire prévaloir la prééminence d’une loi absolument inique dans un pays où les concepts de loi et de droit sont bafoués, violés, au quotidien et sous toutes leurs formes, relève soit de la bêtise la plus totale, soit du plus insensé des culots. Ou les deux. Cela sans compter la surréelle partie de ping-pong à laquelle se livrent deux des ministères les plus controversés de la République. Le tout, au détriment, bien entendu, du Libanais. Nous sommes tout de même au Liban...
Heureusement, il reste quelques députés – à peine une poignée – en qui il peut, comme l’ensemble de ses concitoyens, continuer d’avoir confiance, et qui ne pourront pas tarder à changer ne serait-ce que cette loi. Au moins cette loi. Même si le ridicule ne tue plus.

Z.M.

L’histoire aurait pu inspirer Alfred Jarry, Jean de La Fontaine, Tristan Tzara, Franz Kafka, George Lucas...Un jeune médecin, J.A., se fait voler sa voiture, une GMC Yukon, devant sa maison, à Achrafieh, par une nuit de l’an 2000. Jusque-là, rien de bien anormal : nous sommes tout de même au Liban. Le bon docteur, le plus normalement du monde, va faire le jour même une...