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Actualités

La Loi*

Qu’est devenu le terrible dragon de Komodo-Rabyé ? Pas de nouvelles, bonnes nouvelles. Pour vivre heureux, vivons cachés. Aussi, cette bestiole égarée, précieuse et recherchée, bien à l’abri des regards indiscrets, doit se sentir aujourd’hui au comble de la félicité. En train de converser, sans doute, dans les bois ensorcelés de l’imaginaire bourgeois, avec le Loup-garou de Londres, Dracula et Frankenstein. De discuter de la nature ensoleillée de l’Éléphant rose.
On nous en fait donc voir de toutes les couleurs. Et de toutes les diversions. Sur fond de chimères. Mais l’on a beau faire, les tristes réalités libanaises nous rattrapent au matin, pour nous agripper à la gorge, à la poche ou au mental. Pour le peu qu’on nous en laisse, nous qui sommes de si près tenus (Rutebeuf) en laisse.
– Les parents vous parleront des frais scolaires. De l’impossibilité matérielle (c’est le mot) d’aller dans le privé. Ce qui explique que les 10 000 places créées dans le public à Beyrouth cette année sont loin de suffire à la demande. Ils évoqueront aussi les livres, ce commerce surexploité, que l’on change toutes les années. Alors que, de notre temps, nous pouvions étudier, chez les bons pères, dans les manuels de nos pères. Et même les cahiers que, pour se faire encore plus de sous, les écoles éditent elles-mêmes, avec leur logo en couverture et obligation d’achat.
– Mais à part ce que les journalistes appellent les marronniers, les sujets de saison, la rentrée porte en elle de lourdes préoccupations politiques. Pas plus que l’histoire du dragon, on ne sait ce que devient la fable du retrait. La course s’est arrêtée. Comme cela a failli se produire en Formule 1, à cause d’une affaire de largeur de pneus. Sur laquelle on avait, comme pour certaine présence chez nous, fermé les yeux pendant des années. Dès lors, certains bénéficiaires se sont crus en mesure de se réclamer d’un droit acquis inaliénable. En oubliant, comme c’est le cas chez nous, que la tolérance (en droit, justement) n’est pas un désistement. Et que l’ayant droit (qui peut plus que nous prétendre à ce titre ?) peut y mettre un terme à tout moment.
– En s’armant de la Constitution, dépositaire du principe de souveraineté. Une loi fondamentale, inattaquable sur le plan des principes premiers. Mais qui pèche beaucoup par sa malfaçon. Une vraie passoire. Ses failles, ses équivoques ont toutes été répertoriées. On sait, en effet, par les incessantes polémiques que cela entraîne, combien le flou concernant les prérogatives contribue au conflit déstabilisateur au sein du pouvoir. Mais à ce jour, bien peu de professionnels, même parmi les opposants, relèvent les lacunes, l’absence d’indications de base utiles, dépassant le cadre étroit de l’État pour couvrir le concept de nation. On s’explique : la Constitution de Taëf établit certes (encore qu’imparfaitement) les mécanismes du pouvoir. Mais ne définit pas ses rapports avec la société civile, les instances religieuses communautaires ou les organismes économiques. Les puristes juristes vous diront sans doute que cela n’est pas l’affaire de la Constitution, mais des lois ou règlements ordinaires, qui dotent par exemple les tribunaux militaires, les fédérations ou les syndicats d’un trait d’union avec l’État politique, d’un commissaire du gouvernement. Mais c’est un point de vue qui se discute. Parce que plusieurs pays évolués estiment, et cela paraît logique, que plus la loi générale est pointue, précise, détaillée, moins il y a de risques de perturbations.
– Tout cela pour en venir à un point capital d’actualité. Ces relations entre le pouvoir et l’opposition, que la Constitution omet de traiter. Ce qui fait que là, tout comme entre les dirigeants, c’est la confusion des sentiments (Zweig) et des genres. Au point que l’on a consacré cette pratique bizarre, prohibée même sous la cahotique et chaotique majorité plurielle de Jospin : la contestation, voire la fronde, au sein même de l’appareil d’État. Il n’est pas étonnant dès lors que les relations pouvoir-opposition prennent autant de formes qu’il y a de courants ou de personnalités singulières. Cela va de l’empathie, à des degrés divers, jusqu’à la franche détestation. Et l’on finit bien vite par oublier, dans ce capharnaüm, que le pouvoir et l’opposition peuvent (et doivent) discuter, polémiquer, négocier même. Mais qu’en aucun cas ils ne peuvent dialoguer. Pour la bonne raison que cela implique une entente préalable sur le sens des mots et sur les principes premiers comme l’indépendance ou le système. Si c’était le cas, si un tel accord existait, il n’y aurait en fait pas d’opposition. Ou alors, elle aurait, comme aujourd’hui chez nous, une bien drôle de position.

Jean ISSA

* De Jules Dassin, 1958, d’après le roman de Roger Vailland. Avec la Lollo et le Marcello.
Qu’est devenu le terrible dragon de Komodo-Rabyé ? Pas de nouvelles, bonnes nouvelles. Pour vivre heureux, vivons cachés. Aussi, cette bestiole égarée, précieuse et recherchée, bien à l’abri des regards indiscrets, doit se sentir aujourd’hui au comble de la félicité. En train de converser, sans doute, dans les bois ensorcelés de l’imaginaire bourgeois, avec le...